«Japonisation» du monde occidental

Salima Barragan

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Pour Adrien Pichoud de SYZ AM, il s’agira de tirer parti des mini-cycles qui se sont substitués aux cycles longs auxquels nous étions habitués.

En ce début d’année, cinq personnalités du monde de la finance partagent avec les lecteurs d’Allnews leurs vues sur trois grands thèmes qui marqueront les douze prochains mois: guerre commerciale, politiques monétaires et fiscales, élections américaines. Ils dévoilent aussi quelle sera leur politique d’investissement. Autour de quatre questions clés, l’équipe d’Allnews vous souhaite une heureuse année 2020.

Dans ce cinquième et dernier volet des grands thèmes de 2020, Adrien Pichoud, chef économiste chez SYZ Asset Management, explique que la guerre commerciale, n’a pénalisé les deux principaux protagonistes que de manière limitée mais a amené l’incertitude sur l’ensemble du commerce mondial et a freiné les dépenses d’investissement au niveau global. Il souligne également que les politiques monétaires atteignent leurs limites alors que les taux d’intérêt négatifs sont sous le feu des critiques. Dans le contexte d’une «japonisation» du monde occidental, il compte miser sur les actifs à même de générer des revenus comme les actions à haut dividende, les obligations d’entreprise et la dette émergente.

Quel bilan tirez-vous des dommages créés par la guerre commerciale?

Il y a deux aspects à cette question: la guerre commerciale «stricto sensu» entre les Etats-Unis et la Chine, qui a eu pour l’instant un impact moins important qu’on pouvait craindre: ni l’économie américaine, ni l’économie chinoise ne sont tombées en récession en 2019. Cela est dû à la prédominance des services dans l’économie américaine, qui rend ce secteur moins sensible au cycle global, et au fait que les entreprises n’ont jusqu’à présent pas répercuté les hausses de tarifs dans les prix de détail, comme en atteste le niveau toujours très bas de l’inflation. Le deuxième aspect est, de manière plus générale, l’apparition d’une incertitude significative autour des termes du commerce mondial. L’attitude de l’administration américaine et sa propension à utiliser les droits douaniers comme levier de négociation dans ses relations avec le reste du monde a, pour le coup, certainement pesé sur la croissance mondiale cette année. L’incertitude et le caractère imprévisible des impositions, hausses et retraits des droits douaniers ont freiné les dépenses d’investissement à travers le monde, affectant en premier lieu les économies les plus exposées à la production de biens d’équipements telles que l’Allemagne. Malheureusement, cette incertitude risque de durer et ne sera que partiellement dissipée même en cas d’accord entre les Etats-Unis et la Chine sur le premier volet de leurs négociations.

Les actifs à même de générer un revenu doivent
faire partie des portefeuilles de façon structurelle.
 Quel mix de politiques monétaire et de relance pourrait prolonger le cycle économique?

Les politiques monétaires en Europe (BCE, BNS…) peuvent difficilement être «assouplies» davantage, en particulier dans un contexte où l’impact défavorable des taux négatifs sur certains secteurs suscite déjà des critiques grandissantes. Mais le simple fait que les banques centrales indiquent ne pas envisager de remonter les taux d’intérêt à horizon visible offre déjà la possibilité aux Etats qui le peuvent de bénéficier de conditions de financement ultra-attractives pour entreprendre des dépenses d’investissement, de relance etc. Toutefois, les résistances politiques à ce type de mesure paraissent encore suffisamment ancrées pour que la relance fiscale ne soit pas utilisée de façon pro-active (pour stimuler la croissance), mais plutôt de façon réactive (uniquement si la croissance venait à flancher davantage). Aux Etats-Unis, la Fed a encore en théorie un peu de marge d’assouplissement monétaire mais elle a dernièrement signalé qu’elle ne s’y résoudrait que si la situation économique se détériorait de façon significative en 2020. Quant à la politique fiscale, il ne faut rien en attendre l’année prochaine aux Etats-Unis, alors que le Congrès est tout entier tourné vers les élections de la fin d’année.

Qu’attendez-vous des élections américaines de novembre?

La première étape sera de savoir quel(le) sera la ou le candidat(e) Démocrate qui affrontera Donald Trump. La physionomie de l’élection, et même ses conséquences politiques et économiques, seront très différentes selon que les Démocrates se choisissent un candidat modéré (tel que M. Bloomberg ou P. Buttigieg) ou un candidat plus radical comme E. Warren ou B Sanders. Quel que soit la configuration (et le vainqueur final), nous nous attendons à un retour de la politique fiscale sur le devant de la scène après l’élection, favorisé par des taux qui resteront bas dans un contexte de « japonisation » du monde occidental qui n’épargne pas les Etats-Unis.

Quelle sera votre politique d’investissement en 2020?

Dans le contexte de «japonisation» du monde occidental, nous pensons que les actifs à même de générer un revenu doivent faire partie des portefeuilles de façon structurelle: actions à haut dividende, obligations d’entreprise et dette émergente. Nous pensons également qu’il convient d’être flexible dans l’allocation pour tirer parti des mini-cycles qui se produisent désormais en lieu et place des cycles longs auxquels nous étions habitués. Ainsi, après deux années de ralentissement économique, les conditions nous paraissent réunies pour un rebond de la croissance en 2020, qui devrait soutenir les actifs risqués, actions en tête, en particuliers compte dans le contexte de taux d’intérêt très bas. Mais la capacité à ajuster l’allocation en cours d’année, en investissant dans des actifs liquides et en s’appuyant sur un processus discipliné d’analyse des fondamentaux économiques et de marchés, sera encore une fois primordiale pour, à la fois, générer de la performance et gérer le risque des portefeuilles en 2020.

 

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