Taux US, un parfait bear market rally?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

L’inflation encore et toujours

Le rally des taux longs américains ne nous plait pas du tout. Normal, diront nos contradicteurs, vous ne l’avez pas vu venir. Ce n’est pas faux mais notre agacement trouve sa source dans des arguments plus profonds. Depuis quand des taux longs peuvent saluer des chiffres d’inflation médiocres en se détendant? Nous n’avons pas de réponse évidente mais nous pouvons tenter une explication. Les marchés actions sont dans le déni de la stagflation et surveillent toujours l’inflation avec une vigilance accrue.

Les marchés de taux, quant à eux, ont «abandonné» leur mission première qui est justement d’être les gardiens d’une politique anti-inflation. Ces derniers sont obnubilés par le risque grandissant de récession et se remettent même à envisager de nouveau trois baisses de taux de la Fed cette année. Lorsque les statistiques PCE Deflator et Core PCE sont sorties vendredi, les marchés actions n’ont pas aimé du tout et «comme au bon vieux temps», la baisse de Wall Street a eu pour corollaire une détente des taux. C’est un comble puisque normalement, la décorrélation entre les deux marchés ne fonctionne pas du tout dans un cas précis, lorsque les craintes inflationnistes sont le sujet de préoccupation numéro un.

On pensait que l’économie allemande était en voie de «japonisation» et c’est sa politique budgétaire qui est en voie de «francisation»!

Pourquoi le marché obligataire US Treasuries se met à quasiment ignorer ces signaux de remontée de l’inflation? Et pourquoi ce sont les marchés actions qui se retrouvent à «faire son job»? C’est sans doute parce qu’il y a dans les marchés de taux actuels quelque chose de beaucoup plus fort. Plus fort que l’inflation, plus fort que la Fed, ce phénomène balaie sur son passage tous les arguments bearish taux longs. Il s’agit de la volonté farouche de Scott Bessent, puissant bras armé du président Trump au Trésor, de voir le 10 ans américain baisser significativement.

La Fed n’est pas en reste et sa décision de quasiment supprimer son programme de Quantitative Tightening a été perçue comme un signal puissant qui va dans ce sens. De là à imaginer un Quantitative Easing dans quelques mois… En termes d’investissement, cela signifie qu’il ne faut pas combattre ces adversaires si puissants et se contenter de surfer sur la vague du rally obligataire. Parier sur une remontée brutale des taux est un jeu dangereux. En revanche, sur le plus long terme, le sujet d’une inflation persistante reviendra. Attention à l’effet boomerang. Nous saluons donc ce beau parcours des taux longs US au cours de ce premier trimestre, estimons que le second sera sans doute de la même veine avec probablement un 10 ans autour de 4% avant l’été. En revanche, la suite pourrait se révéler plus chaotique.

La BCE peut encore baisser ses taux en avril

L’Espagne, locomotive de la zone euro, voit son taux d’inflation redescendre à 2,2%. La France se situe désormais à 0,9%. Ces deux statistiques publiées la semaine dernière remettent au goût du jour une possible baisse de taux de la BCE le 17 avril. La dernière intervention de Christine Lagarde avait sous-entendu des dissensions au sein du comité de politique monétaire. On a entendu Isabel Schnabel dire tout le mal qu’elle pensait d’une politique trop dovish alors que la lutte contre l’inflation n’est pas terminée. Les taux longs allemands se sont stabilisés et les spreads souverains semblent sous contrôle. La France s’en sort bien avec un écart de taux OAT-Bund de 72 points de base. Cela signifie que si les marchés savent pertinemment que la BCE est prête à intervenir à tout moment, ils ont également intégré le fait que l’abandon par les Allemands de leur légendaire orthodoxie budgétaire rebat les cartes. On pensait que l’économie allemande était en voie de «japonisation» et c’est sa politique budgétaire qui est en voie de «francisation»!

Pour les investisseurs, le marché des emprunts d’états apparaît compliqué et ennuyeux. Il leur reste la duration courte en crédits Investment Grade, si possible de bonne qualité puisque le spread A-BBB ne paie pas le risque accru inhérent aux dettes émises par des entreprises notées BBB. En mars, nos dettes hybrides de bonne qualité vont afficher une performance négative de l’ordre de -0,8%. Les dernières fois que nous avions connu un mois dans le rouge, c’était en février 2024, en août et septembre 2023 mais avec à chaque fois des corrections infimes d’environ -0,10%. Nous retrouvons donc un mouvement similaire à celui de février 2023 au cours duquel notre portefeuille avait régressé de -0,70%. Nous allons donc devoir surveiller de près ce marché qui n’est sans doute pas loin d’atteindre son point bas. Il faudra saisir les opportunités d’investissement, surtout dans le marché européen où elles sont plutôt rares.

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