Suède: vive les riches

Emmanuel Garessus

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La Suède, qui ne taxe ni les héritages ni les fortunes, est plus accueillante à l’égard des riches que les grands pays de l’UE.

 

La Suède est bel et bien tourné le dos à ce que certains appelaient un «modèle social-démocrate». Cette transformation traduit un virage culturel de la majorité de la société, comme le montre une étude d’Anders Ydstedt et Rainer Zittelmann («What Sweden thinks about markets, capitalism and the rich», Institute of Economic Affaires (IEA), dec 2024). Après avoir fait fuir ses entrepreneurs à la fin du siècle dernier, le pays scandinave est devenu l’un des plus accueillants au monde à l’égard des riches, de l’économie de marché et du capitalisme, selon divers sondages.

En 30 ans, en termes de liberté économique, rares sont les pays qui présentent des gains supérieurs à ceux de la Suède, notent Ydstedt et Zittelmann. La Suède est entrée dans le Top 10 de ce classement mondial et occupe le 9e rang, alors que les Etats-Unis, en recul depuis 1995, sont à la 25e place. Parmi les mesures phares décidées ces dernières années, Stockholm a supprimé l’impôt de succession, de donation et l’impôt sur la fortune.

Ydstedt et Zittelmann n’omettent pas que la charge fiscale, certes en diminution, reste élevée en Suède à 41,4% du PIB, que le taux maximum d’impôt sur le revenu s’élève à 57% et celui des entreprises à 20,6%. Mais la tendance pro-business est clairement établie.

Les perceptions à l’égard des riches, du marché et du capitalisme sont nettement plus positives qu’ailleurs selon deux sondages dans lesquels la définition de riche correspond à une fortune d’au moins 10 millions de couronnes investissable (hors immobilier), soit plus de 870 000 francs. Les personnes interrogées devaient approuver, désapprouver ou être neutres à l’égard de diverses affirmations. Les perceptions négatives les plus fortes, soit 29%, accompagnent la phase: «Les très riches veulent davantage d’argent et de pouvoir et sont responsables de la plupart des grands problèmes de ce monde (financiers et humanitaires)». En outre, 22% estiment que «Les très riches le sont devenus en poursuivant sans pitié leurs propres intérêts». Enfin, 21% pensent que les riches le seraient devenus au dépends des autres.

Si le climat est souvent hostile aux riches en Europe, en Suède un équilibre émerge: une petite majorité de sondés (26%) ont une perception positive des riches et une légère minorité (24%) une perception négative (sondage effectué en 2021): 36% les disent matérialistes, 32% centrés sur eux-mêmes, mais 31% les considèrent industrieux, 28% audacieux. Les perceptions sont d’autant plus favorables lorsqu’un sondé en connaît un dans son entourage: 19% des Suédois ont un riche parmi leurs connaissances ou leur famille et 50% le qualifient d’intelligent, contre 25% pour l’ensemble des sondés.

«Les perceptions à l’égard des riches, du marché et du capitalisme sont nettement plus positives qu’ailleurs selon deux sondages»

Ne pas trop taxer les riches

Les Suédois ne veulent pas trop taxer les très riches: 49% des Suédois disent que les riches doivent pays des impôts élevés mais pas excessivement élevés. En France et en Italie, ils ne sont que 19%, aux Etats-Unis 31%, en Pologne 51% et au Vietnam 63%. De façon intéressante, les pauvres (moins de 26 000 francs  revenu annuel) affirment que les riches ne devraient pas payer des impôts très élevés.

Un autre sondage, réalisé dans 13 pays en 2024 révèle ce que Rainer Zittelmann nomme des indicateurs d’envie. Il en ressort un «score d’envieux» très bas en Suède par rapport à la France, l’Allemagne, la Chine, l’Italie.et un niveau semblable à celui des Etats-Unis.

Le sentiment à l’égard des riches est calculé à travers un coefficient qui, s’il dépasse 1, signale une perception négative. Tel est le cas en France, en Allemagne et en Espagne. En revanche, les perceptions sont positives à l’égard des riches en Suède, en Pologne, au Japon, au Vietnam.

La même méthode est utilisée pour les des perceptions des Suédois à l’égard de l’économie de marché. La Suède fait parte d’un petit groupe de 7 pays (sur 35) ayant des perceptions favorables à l’économie de marché (avec la Pologne, les Etats-Unis, la République tchèque, la Corée du Sud, et l’Argentine (la Suisse étant l’un des moins négatifs).

L’une des plus fortes croissances en un siècle

Que de chemin parcouru pour la Suède puisqu’elle était l’un des pays européens les plus pauvres en 1864. C’est à ce moment qu’à l’initiative du ministre des finances Johan August Gripenstedt, elle a introduit les institutions élémentaires d’une économie de marché, comme la liberté des échanges et la protection de la propriété privée. Durant le siècle qui a suivi, la croissance économique de la Suède a alors été la troisième plus forte au monde, derrière l’Arabie Saoudite et le Japon, selon l’historien Johan Norberg.

A partir de 1950, la croissance s’est poursuivie mais à un rythme inférieur à celui d’autres pays. Des politiques étatistes menées par le gouvernement social-démocrate se succédèrent qui pesèrent sur la croissance. Le sommet de cette période socialiste a été atteint durant les années 1970, quand le taux d’imposition marginal du revenu a dépassé 100% et l’impôt de succession a bondi à 65%. De riches entrepreneurs, comme le fondateur d’Ikea, quittèrent le pays. En quelques années, la part de l’Etat dans l’économie avait plus que doublé.

Les difficultés économiques se succédèrent, auxquelles l’état réagit par des nationalisations d’entreprises en difficultés et des régulations. Ce qui conduisit à une hausse de l’inflation. Les dévaluations de la couronne n’arrangèrent rien. Une crise profonde survint en 1992. La Banque de Suède dut relever les taux jusqu’à 500%. C’est alors que le gouvernement entrepris de premières réformes en faveur d’une libéralisation de l’économie.

Le gouvernement social-démocrate a ensuite aboli, en 2004, puis l’impôt de succession, une décision approuvée à l’unanimité des partis, y compris avec des communistes. Et en 2007, un gouvernement centriste a aboli l’impôt sur la fortune.

L’économie répondit très positivement. La dette publique, qui avait atteint un sommet à 84% du PIB en 1995, a été diminuée de moitié. Comme le montre Johan Norberg, dans «Le mythe du socialisme suédois» (publié par l’Institut libéral), la santé actuelle de la Suède ne traduit pas un succès du socialisme suédois mais l’adoption des principes libéraux par la Suède.

Sur la bonne voie financière

Le retournement est impressionnant, y compris au plan boursier puisque, depuis 2014, 501 entreprises ont été introduites en bourse de Suède, soit davantage qu’en France, Allemagne, Pays-Bas et Espagne réunis. Sur cinq ans, l’indice OMX 30 a doublé alors que l’indice SMI a gagné 55%.

L’exode d’entreprises a pu être arrêté et les milliardaires sont de retour, avancent Ystedt et Zittelmann. En 2003, lorsque les impôts sur la fortune, les successions et les donations étaient encore en vigueur en Suède et en France, le ratio de milliardaires en dollars par million d'habitants était de 0,17 en France et de 0,22 en Suède. En 2017, ce ratio est passé à 0,46 en France et à 2,0 en Suède.

Aujourd’hui, la Suède détient un pourcentage de milliardaires plus élevé que les Etats-Unis (2,7 contre 2,4 par million d’habitants) en excluant évidemment les milliardaires suédois vivant à l’étranger. Au pays de Spotify et de Klarna, le climat a changé.

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