Les droits de douane s’imposent comme la recette miracle du gouvernement américain. Ils sont censés contribuer à la réduction de la dette et des dépenses publiques. Et ils permettent aux autorités de faire avancer des dossiers tels que la lutte contre la drogue et la gestion de l’immigration. Ce «retour » des droits de douane est traité par les économistes sous l’angle de leurs effets. Mais qu’en est-il des modifications des incitations non seulement des consommateurs mais aussi des hommes politiques? Et comment y réagir?
L’histoire économique a montré que les droits de douane étaient un obstacle au bien-être des consommateurs locaux. Frank Shostak, de l’Institut Mises, les appelle des «destructeurs de richesses». Il rappelle l’enseignement de Llewellyn Rockwell (Menace of Tariffs) pour qui« les consommateurs américains n'ont aucun avantage à ce que les entreprises soient implantées ici plutôt que dans des pays étrangers. Ce qui importe aux consommateurs, c'est d'obtenir le prix le plus bas pour les biens et les services qu'ils désirent ; et si l'entreprise qui offre le prix le plus bas se trouve en Chine plutôt qu'en Amérique, qu'importe?»
La théorie des choix publics
Un point clé de la recherche économique paraît ignorée, celui qu’a approfondi la théorie des choix publics. En vertu des travaux de James Buchanan et Gordon Tullock, les hommes politiques sont des acteurs comme les autres dans le sens où ils agissent et réagissent en fonction de leurs intérêts individuels: «S'ils sont égoïstes sur le marché, ils seront égoïstes en politique. S'ils sont bienveillants sur le marché, ils le seront aussi en politique. Et surtout, dans la sphère politique, les gens réagissent aux incitations, comme partout ailleurs», écrit Jon Murphy, chercheur à l’Institut pour une société entrepreneuriale à l’Université de Syracuse, sur le blog econlib.
En vertu de cette théorie, Donald Trump atteindra-t-il ses divers objectifs et peser sur les négociations avec d’autres gouvernements en menaçant de relever les droits de douane? Pour Jon Murphy, «le problème de ce raisonnement est qu'il suppose à tort que les hommes politiques sont confrontés à l'intégralité des coûts des droits de douane. Bien entendu, ce n'est pas le cas. Dans le meilleur des cas, les politiciens ne font face qu'à une petite partie des coûts. L'écrasante majorité des coûts retombe sur les citoyens des deux pays sous la forme de pertes de revenus et d’importations». Ce n’est donc pas une surprise si les droits de douane échouent en tant qu’instruments de négociation. Comme les sanctions économiques d’ailleurs. Le développement de DeepSeek en témoigne.
«Il n’y a aucune incitation pour les hommes européens qui ont créé les normes actuellement en vigueur de les détricoter».
Les droits de douane produisent des effets souvent incertains sur les hommes politiques, comme l’a expliqué Adam Smith il y a plus de 300 ans dans La richesse des nations: «pour juger si ces croits de douane auront ces effets, il ne faut pas se fier à la «science du législateur », qui a des principes généraux, mais plutôt à celle de l'homme politique, qui est guidé par les affaires du moment. De telles négociations peuvent fonctionner, mais elles peuvent aussi conduire à la guerre, comme ce fut le cas, selon lui, en 1672.»
Les effets des incitations sur toutes les personnes concernées par les droits de douane sont difficiles à imaginer, avance Murphy: «une «nation» est une abstraction utile, (…) en fin de compte composée d'individus qui choisissent. Une «nation» ne choisit jamais, jamais. Et un gouvernement n'est pas synonyme de nation ou de peuple qui s'y trouve».
D’ailleurs la fixation du regard sur le solde commercial est une aberration, comme l’a relevé Frédéric Bastiat, au 18e siècle: «Supposez, si cela vous amuse, que l’étranger nous inonde de toutes sortes de marchandises utiles, sans nous rien demander ; que nos importations sont infinies et nos exportations nulles, je vous défie de me prouver que nous en serons plus pauvres». Le déficit commercial américain n’a pas empêché les Etats-Unis de présenter une plus forte croissance des revenus des Etats-Unis que de l’UE, malgré l’excédent de ce dernier.
La meilleure réponse possible de l’UE
Il n’en demeure pas moins que les pays soumis à des relèvements de droits de douane doivent s’adapter pour éviter que leurs entreprises n’aient à subir une hausse de leurs coûts. Comment l’Europe doit-elle réagir?
L’UE représente un marché considérable avec un PIB de 17 trillions de dollars (2023), mais le continent est en déclin. En 2050, il devrait tomber en-dessous de 10% du PIB mondial, selon un rapport (Trade in a Time of Tariifs) du laboratoire d’idées Epicenter (European Policy Information Center).
L’UE a mis en place un cadre juridique qui assure la protection des consommateurs et de l’environnement. Mais le coût de ces protections réglementaires est largement excessif. La solution pour l’UE passe, selon Epicenter, par un cadre plus flexible afin d’accroître la compétitivité européenne. Le premier pas consiste à réduire les obstacles non-tarifaires représentés par les réglementations sur la protection des données (GDPR, Digital Markets Act, Digital Services Act), sur l’agriculture (Carbon Border Adjustment Mechanism) et bien d’autres, qui augmentent excessivement les frais de compliance et pénalisent sa compétitivité dans un monde qui reste très interconnecté.
Une étude récente de Demirer et al. (2024) a estimé que les entreprises européennes, après l'adoption du GDPR, ont réduit le stockage et le traitement des données de 26% et respectivement de 15 %, par rapport à leurs homologues américaines. «Cela a réduit la capacité des entreprises de l'UE à utiliser l'analyse des données et d'autres outils numériques pour être compétitives dans l'économie d'aujourd'hui, fondée sur les données», selon le rapport. A quoi bon promettre des milliards d’investissements dans l’IA si les normes ruinent ces efforts? Le problème est général. Il touche aussi l’industrie pharmaceutique: «En 2020, le délai médian d'approbation de l'Agence européenne des médicaments (EMA) a dépassé les 400 jours, tandis que la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a enregistré un délai médian de 244 jours».
L’investissement (FDI) est certes en augmentation dans l’UE au cours de la dernière décennie. Il est passé de 9,9 à 14,6 trillions d’euros depuis 2013, selon le rapport. Mais les écarts entre les pays européens sont considérables. C’est surtout l’Irlande qui a tiré profit de la dernière décennie avec un bond de 326%. Or l’Irlande profite d’un cadre plus libéral que ses partenaires du continent.
L’UE souffre donc d’obstacles qu’elle crée elle-même. Pour sortir de l’impasse, est-il raisonnable d’espérer un allégement des normes? Il suffit de considérer la fierté des hommes politiques européens à la protection accrue offerte par les réglementations agricoles, technologiques, médiatiques et pharmaceutiques pour douter de l’imminence d’un changement de tendance.
Pour en revenir à la théorie des choix publics, il n’y a aucune incitation pour les hommes européens qui ont créé les normes actuellement en vigueur de les détricoter. Seul un choc économique ou politique peut imposer un changement.