Les raisons de l'exode des jeunes Allemands

Emmanuel Garessus

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Un million d’Allemands quittent le pays chaque année. En cause, la détérioration du rapport entre coûts et prestations de l’Etat et la dynamique économique. Un fort risque de fuite des cerveaux!

 

L’Allemagne a besoin d’une «secousse» («Ruck» en allemand). Ainsi s’exprimait le président allemand Roman Herzog il y a 30 ans lors d’un célèbre discours («Ruck-Rede» de Berlin). Il poursuivant ainsi: «Nous devons dire adieu aux acquis qui nous sont chers. Tout le monde est concerné, tout le monde doit faire des sacrifices, tout le monde doit participer.» Le choc espéré est venu des réformes du marché du travail lancées par Gerhard Schröder, mais l’Allemagne a ensuite multiplié les erreurs stratégiques si bien qu’elle est à nouveau le pays malade de l’Europe. Le gouvernement mis en place par le nouveau chancelier parviendra-t-il à provoquer le choc salutaire exigé par Roman Herzog? Le problème dépasse de loin les contours budgétaires. Il concerne aussi l’état d’esprit des habitants. Car si le thème de l’immigration est crucial, celui de l’exode de main d’oeuvre l’est également. L’Allemagne est en effet menacée par une fuite des cerveaux.

Le thème de l’immigration s’est imposé cette année, pour de bonnes raisons. L’économie allemande a par exemple besoin d’une immigration de travail de 400 000 personnes, comme l’écrit un rapport de l’économiste Stefan Kolev, du Ludwig Erhard Forum, qui met en exergue l’expression de Roman Herzog. Ce nombre traduit toutefois un solde net, entre immigrants et émigrants. Il a par exemple été atteint en 2021 quand l’Allemagne a accueilli 1,4 million d’immigrés et qu’un million de personnes quittaient le pays. On oublie cet exode massif.

Le rapport du Ludwig Erhard Forum, pour le compte de l’association des entreprises familiales, se penche sur les raisons profondes de la perte de confiance envers l’Allemagne qui amène 1 million de personnes à quitter chaque année l’ancienne locomotive de l’Europe. Il dévoile les mécanismes qui conduisent en particulier les jeunes Allemands à quitter leur pays, soit en se retirant de la vie locale ou en étant attiré par les partis extrêmes (ce qu’il nomme l’émigration interne), soit en partant sous des cieux étrangers plus motivants. Son rapport, intitulé «Wohlstand für Junge« (Bien-être pour les jeunes) porte sur le besoin de changer des conditions cadres défaillantes pour redonner davantage confiance aux jeunes.

La Suisse, pays d’émigration des Allemands

Le problème est structurel. Il traduit une perte de confiance majeure non seulement à l’égard des perspectives économiques allemandes mais aussi à l’égard des institutions. Il touche les jeunes parce que ce sont des «citoyens de crise», des personnes qui ont traversé une succession de crises, du covid au climat en passant par celle des réfugiés, de la crise de la dette et de la crise financière. 

«En effet, 55% des jeunes pensent que le contrat entre les générations, selon lequel les jeunes génèrent les rentes des plus âgés, s’est déplacé au détriment des jeunes».

L’analyse réalisée par Stefan Kolev révèle que l’exode annuel d’un million de personnes est loin d’être stable. Le nombre d’Allemands qui partent du pays a doublé en dix ans pour grimper à plus de 250'000 alors que l’augmentation des étrangers ayant temporairement résidé en Allemagne et qui repartent évolue nettement lentement.

La Suisse est le premier pays d’émigration des Allemands, devant l’Autriche, puis, nettement plus loin, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Turquie, la France, la Pologne. L’analyse évoque aussi le nombre élevé d’étrangers venus des pays d’Europe de l’Est en Allemagne, souvent dans les années 1990, et qui repartent maintenant dans leur pays. Cette émigration vers leur pays d’origine concerne 126'000 personnes parties en Pologne en 2019, 198'000 en Roumanie et 66'000 en Bulgarie. L’attrait relatif de l’Allemagne est donc en forte baisse. L’immigration nette des Polonais vers l’Allemagne a chuté ces dernières années de 66'0000 à 15'000, celle des Roumains de 86'000 à 16'000.

Stefan Kolev se penche essentiellement sur le sort des jeunes Allemands. Son analyse est réalisée sur la base de deux critères: la perception du coût de l’Etat par rapport à ses prestations et la dynamique économique de l’Allemagne, afin d’évaluer les perspectives de bien-être à long terme des citoyens. L’étude du Ludwig Erhard Forum se base sur un sondage auprès de 1000 jeunes Allemands (18 à 25 ans). Elle a été réalisée en décembre 2024 par l’Institut INSA-CONSULERE, pour le compte de l’association «Die Familienunternehmer».

Défaillance du contrat entre les générations

Il en ressort un message extrêmement sombre sur la réalité culturelle des jeunes: La moitié des sondés expriment un profond malaise à l’égard de l’Allemagne. La part des pessimistes au sein des 16 à 30 ans est deux à trois fois plus élevée que celle des optimistes.

En effet, 55% des jeunes pensent que le contrat entre les générations, selon lequel les jeunes génèrent les rentes des plus âgés, s’est déplacé au détriment des jeunes. De plus, 51% des jeunes personnes interrogées déclarent que que le coût de la bureaucratie et de la fiscalité les empêche de se mettre à leur compte en tant qu’entrepreneur. 

Moins de la moitié des personnes interrogées (49%) sont par ailleurs convaincues qu'en travaillant dur et avec application, elles bénéficieront d’une meilleure situation en Allemagne que leurs parents et 16% des personnes interrogées excluent totalement l’éventualité d’une ascension sociale. 

Sans surprise au vu de ces résultats, une majorité relative des personnes interrogées (46%) a déjà envisagé de partir d’Allemagne pour des raisons économiques. Seuls 11% des personnes interrogées sont absolument d'accord avec l'affirmation selon laquelle leur motivation n'a pas diminué depuis des années.

«Le nombre d’Allemands qui partent du pays a doublé en dix ans pour grimper à plus de 250'000».

Les trois principales raisons d’un départ d’Allemagne

Si l'on demande aux 542 personnes interrogées qui envisagent un avenir à l'étranger la principale raison de leur position, trois facteurs arrivent en tête dans leur décision de construire leur avenir professionnel à l'étranger: «charge fiscale réduite» (20%), «coût de la vie» (18%) et «possibilités de promotion financière» (17%). 

A l’inverse, les facteurs importent nettement moins: le coût du logement (11%), la qualité du système de santé (9%), la qualité de la formation (8%), la proximité culturelle d’un autre pays (6%), la qualité de l’administration (4%), un climat favorisant l’innovation (3%). 

Ces motivations sont sérieuses si l’on note que 51% disent que leur plans professionnels à l’étranger sont «concrets». Les trois principaux obstacles à ces plans d’émigration sont: la langue (48%), la perte de l’environnement social (46%) et le risque d’échec financier (40%).

La tendance est inquiétante car elle accompagne une perte de confiance envers les partis centristes traditionnels, qui est apparue à partir de la crise du Covid. Les dernières élections marquent un tournant, selon le rapport, dans le sens où pour la première fois le centre-gauche et le centre-droit présentaient des positions clairement distinctes. Le premier a privilégié une relance de la demande à court terme et le second une économie de l’offre à long terme. 

Les résultats de ce dimanche signalent une préférence pour le second. Mais un retour de la confiance nécessite des efforts considérables à long terme. Il s’agit d’améliorer le rapport entre les coûts et les prestations étatiques et d’accorder davantage d’importance à la culture du travail, aux incitations en faveur de l’investissement et d’encourager la culture de l’innovation. L’accent doit donc être placé sur les incitations pour le travail, l’investissement et l’innovation, et les facteurs culturels.

Le programme de la CDU/CSU va dans ce sens. Mais l’effort nécessaire est gigantesque. L’esprit entrepreneurial a fortement reculé en Allemagne ainsi qu’en témoigne le taux de création d’entreprises (de 2,59% en 2004 à 1,08% en 2022). D’ailleurs le nombre de création d’entreprises a chuté de moitié e deux décennies. Comme le démontre Stefan Kolev, l’Allemagne a besoin d’un nouveau départ.

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