Les algorithmes rendent la gestion plus sûre

Emmanuel Garessus

5 minutes de lecture

Une analyse rigoureuse des données «de bonne qualité» améliore la gestion des risques, selon Jorge Bolivar, CEO ETS Asset Management Factory, laquelle est dotée d’un département de 30 quants.

 

L’investissement à travers les modèles quantitatifs (quants) n’est encore qu’une niche au sein de la gestion d’actifs. Mais les résultats, en termes de rendement ajusté du risque, sont convaincants, ainsi qu’il ressort d’une présentation effectuée par la société espagnole ETS Asset Management Factory, à Zurich.

Cette équipe de 30 «quants» gère 5 milliards d’euros. Elle a pour but de mettre en oeuvre des stratégies non corrélées pour dégager une valeur ajoutée à long terme pour l’investisseur. Elle s’appuie à la fois sur la qualité des données utilisées dans ses algorithmes et celle de ses experts. Sur des marchés toujours aussi sensibles aux émotions et à divers biais comportementaux, ETS AM Factory promet de profiter de l’objectivité fournie par les modèles mathématiques, la discipline des processus de gestion, l’emploi d’énormes quantités de données et sa qualité dans la recherche de relations cachées entre les données. ETS Asset Management Factory a pour clients des institutionnels, des hedge funds et des family offices qui entendent diversifier leurs avoirs à travers ce type d’instruments. Jorge Bolivar, son CEO, répond aux questions d’Allnews:

En tant qu’investisseur doté d’un portefeuille par exemple de 60% d’actions et de 40% d’obligations, où placer l’investissement «quant», soit l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la gestion?

La question du «comment» importe davantage que celle du «où». Plutôt que de parler d’intelligence artificielle, je préfère parler d’emploi des algorithmes et des mathématiques dans l’investissement. Le but consiste à  apporter de l’objectivité, qu’importe votre profil de risque et sans égard pour les différentes classes d’actifs. Il s’agit de prendre des décisions d’investissement en toute objectivité. Compte tenu de votre profil de risque et de votre exposition aux différents marchés, vous devez gérer votre portefeuille en permanence. Les mathématiques vous offrent la possibilité de le gérer de façon disciplinée et en toute objectivité.

Cela ne signifie pas que le résultat soit constamment meilleur que la stratégie traditionnelle de «Buy and Hold», mais il sera probablement plus sûr.

Pourquoi est-ce plus sûr?

La stratégie «Buy and Hold» consiste à s’appuyer sur le rendement annuel promis historiquement par exemple par l’indice S&P 500, lequel est d’environ 9%. Sous l’angle mathématique, le rendement moyen offre cette moyenne sur un siècle, mais il faut ajouter l’écart avec la moyenne si l’on veut prendre en compte le risque. Dans le cas des actions japonaises (Nikkei), le sommet de l’indice a été atteint en 1990, il y a 35 ans, et il n’a toujours pas été dépassé. Le marché chinois (Hang Seng) a reculé de 59% depuis son plus haut. Le marché connaît de spectaculaires mouvements à la baisse. Si l’investisseur, par malchance, achète au mauvais moment, il peut attendre de longues années avant de gagner de l’argent. Il existe toutefois des techniques destines à limiter ce risque, par exemple des achats réguliers en bourse. Mais le processus doit être automatisé. L’approche «quant» réduit ce risque comme nous l’avons démontré ces dernières années.

Est-ce qu’en utilisant le terme d’intelligence artificielle vous n’utilisez pas un terme à la mode pour une méthode ancienne, celle de l’emploi des mathématiques dans l’investissement?

J’essaie de l’éviter. Notre conférence parle d’«intelligence quant». Je préfère parler d’algorithmes et de notre capacité à analyser des données. Les outils de l’IA, à l’image des réseaux neuronaux et du «machine learning», ont fait leur apparition dans l’investissement dès les années 1990. Nous disposions toutefois d’un plus petit nombre de données et les marchés étaient moins complexes. Pour que l’algorithme fonctionne, vous devez disposer de bonnes données sur les marchés, d’une forte capacité d’intuition et procéder à des tests.

Est-ce que cela fonctionne sur tous les marchés?

Cela dépend des objectifs de l’investisseur. A mes débuts, nous nous concentrions sur les actions, les obligations, les Futures, mais les marchés étaient étroits et moins liquides. Aujourd’hui, les marchés sont plus complexes et plus liquides.

«Pour que l’algorithme fonctionne, vous devez disposer de bonnes données sur les marchés, d’une forte capacité d’intuition et procéder à des tests.»

L’investissement «quant» atteint les objectifs uniquement en fonction de vos objectifs. Vous pouvez adopter une stratégie «market neutral» à travers un hedge fund long/short et, comme nous l’avons démontré, obtenir un très bon résultat. Il est aussi possible d’avoir une stratégie de «tireur d’élite» et chercher à extraire de la valeur en vertu de modèles à court terme et en minimisant le temps de l’exposition sur un marché. Les deux objectifs sont complètement différents. L’emploi des algorithmes est possible dans les deux cas. Pour l’investisseur, il s’agit d’utiliser les mathématiques pour obtenir de meilleurs résultats de façon systématique.

Par rapport aux autres stratégies «quants», où se situe votre valeur ajoutée? Est-ce dans la qualité des données et des algorithmes?

Notre avantage se situe dans la qualité des données et dans ce que nous appelons les «augmented Data», c’est-à-dire dans la transformation des données brutes dans des données qui peuvent être utilisées par nos algorithmes. Un algorithme ne peut pas extraire de la valeur à partir du bilan d’une entreprise. Le bilan a besoin d’être transformé dans des nombres susceptibles d’être normalisés à des fins de comparaisons avec d’autres entreprises et d’autres secteurs. Ensuite, nous devons disposer d’une forte capacité d’intuition pour cibler au mieux nos efforts de recherche. L’intuition est une vertu humaine qui s’appuie sur l’expérience des marchés, et qui a besoin d’être testée. C’est pourquoi nous devons analyser les données de façon approfondie.

Comment l’investisseur peut-il être confiant que vous présenterez cette supériorité de façon stable dans le temps, sachant que les données changent chaque jour?

L’investissement «quant» apporte l’équivalent d’une signature. Il fonctionne d’une façon particulière en termes de risque/rendement. De plus, nous suivons le rendement attendu et nous nous assurons que le rendement réalisé corresponde effectivement avec le rendement attendu. La performance de notre stratégie «long/short» a par exemple connu un recul de 3% il y a une semaine. Cela peut surprendre, mais une telle baisse correspond tout à fait à ce qui doit être attendu. Nous savons aussi que la performance de notre fonds est positive lors de 7 mois sur 10.  Si les statistiques devaient diverger de ce que nous attendions, un clignotant rouge devrait s’allumer. Nous appelons cela le monitoring quantitatif.  

La finance reste une science humaine. Si Donald Trump prend une initiative, est-ce que cela impacte les données et détériore leur qualité?

La qualité des données n’est pas en cause. Mais cela m’amène à la façon dont nous créons des séries chronologiques temporelles. Elles sont meilleures que d’autres parce qu’elles sont capables de simuler des groupements de volatilité (volatility clustering). En effet, la volatilité n’est pas stable. Pour des raisons par exemple politiques, elle peut s’accroître subitement. En raison du comportement émotionnel des investisseurs et par exemple d’une peur accrue des participants, le marché peut baisser. Le quant n’en a que faire. Son comportement est discipliné. Il se retire d’une position si le stop-loss est atteint. Si une stratégie ne fonctionne pas comme prévu, nous nous retirons de cette exposition.

Votre performance dépend de la qualité de vos employés et de vos données. Mais comment pouvez-vous concurrencer les grandes banques en termes de nombre d’ingénieurs et de masses de données?

Je ne connais pas d’autre institution qui dispose d’un département doté de 30 «quants». Nous sommes une petite entreprise au sein du monde financier mais nous sommes à 100% dédiés à l’investissement quant. Aucune banque n’est dans cette situation. De plus, nos quants sont loyaux et nous accompagnent depuis de très longues années, notre Managing direction depuis 15 ans et moi depuis 38 ans. J’ajoute que nous sommes une entreprise familiale, ce qui nous permet de prendre des décisions que d’autres ne pourraient pas prendre. Et cela se traduit par une grande stabilité. Enfin, nous avons un family office pour piloter le tout. L’alignement des intérêts est garanti. Toute nouvelle stratégie est d’abord testée à titre personnel.

Quand verrons-nous une stratégie d’investissement décidée par un modèle tel que ChatGPT?

J’utilise ChatGPT pour d’autres tâches que l’investissement, par exemple pour générer des textes. Il est très efficace pour présenter une analyse d’un marché financier. Mais je ne gérerai jamais mon portefeuille à partir de ChatGPT. Vous pouvez le comprendre en considérant la complexité des données et leur sensibilité aux erreurs.

La finance est fonction d’incitations. Si l’investissement quant ne représente qu’une petite partie de l’asset management, peut-être 3%, est-ce parce que les revenus sont trop faibles ou les résultats décevants?

Je ne suis pas sûr que cela ne représente que 3% de l’industrie. Plusieurs institutions utilisent certaines formes d’investissement quant, mais sans l’utiliser de façon systématique. D’autres institutions essaient d’accélérer leurs processus et leurs analyses, sans toutefois les amener au point où les modèles remplacent l’humain. Aucune institution ne peut survivre sans employer les mathématiques et les statistiques.

Pourquoi votre stratégie n’est-elle pas plus populaire? Est-ce un problème de distribution?

Nous ne commercialisons pas nos stratégies nous-mêmes. Nous sommes un instrument au service de l’asset management et créons des stratégies par exemple pour des hedge funds et des family offices. Nos clients préférés sont les family offices parce qu’ils disposent de l’expertise qui leur permet de comprendre la beauté de notre approche. Elles nous utilisent pour diversifier leurs investissements. D’ailleurs ETS appartient à un familiy office.

Quelle est votre stratégie de développement?

Le marché américain appartient à nos priorités, fort de ses 20'000 conseillers financiers régulés, dont le plus petit gère 1 milliard de dollars, et plus généralement les pays industrialisés dont la Suisse, le Royaume Uni, le Mexique.

J’ajoute que nous sommes en train de lancer un hedge fund en Irlande qui devrait être considéré comme notre produit phare. Nous voulons mettre en oeuvre toutes les stratégies dont nous avons à disposition au sein d’un «flagship» que nous pouvons ensuite répartir en différents produits spécifiques. Nous aurons alors un instrument capable de souligner le pouvoir d’une stratégie quant multi actifs sur des produits cotés. Les clients finaux devraient être les family offices. Ces stratégies génèrent un alpha sous de nombreux scénarios de marchés, y compris un krach, et permettre d’être décorrélées.

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