La finance va-t-elle devenir algorithmique?

Marie Brière, Amundi Investment Institute

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Les algorithmes imprègnent nos activités quotidiennes, façonnant les processus de production et la fourniture de services. La gestion d’actifs et de patrimoine sont emblématiques des possibles.

Les 20 dernières années, la domination croissante de la technologie et des données dans le domaine financier ont permis la rationalisation de nombreuses activités. Le recours aux algorithmes devrait encore s’accélérer, créant de nombreuses opportunités mais aussi d’importants défis.

Aujourd’hui, les modèles d'IA peuvent aider les institutions financières à (1) réduire leurs risques/coûts financiers et opérationnels par l’automatisation de certaines procédures (détection de fraude, credit scoring algorithmique, routage d’emails); (2) exploiter des données non structurées pour créer des opportunités d’investissement (trading algorithmique, analyse prédictive sur base de données textuelles, d’images); (3) mieux servir les clients par la personnalisation du service (clustering client, analyse comportementale, robo-advice).

L’IA générative permet d’automatiser des tâches particulièrement complexes.  La finance fait partie des secteurs où l’activité de «traitement de l’information» est prépondérante et beaucoup d’emplois qualifiés seront impactés par l’IA (Eloundou et al., 2023).

L’hyperpersonnalisation peut conduire à baser des décisions financières sur des caractéristiques clients sujettes à de larges erreurs d’estimation.

L’utilisation croissante de l’IA génère aussi des risques nouveaux. L’IA peut être une boîte noire et soulève des questions quant à la fiabilité des données et à l’explicabilité des algorithmes utilisés. Les indicateurs construits à l’aide d’IA sont aussi plus sujets à manipulation. La communication des dirigeants d’entreprises a par exemple été refaçonnée pour l’analyse algorithmique. Le scrapping de données sur les blogs et media sociaux peut produire une information excessivement volatile et sujette à du «sentiment». L’hyperpersonnalisation peut conduire à baser des décisions financières sur des caractéristiques clients sujettes à de larges erreurs d’estimation.

Le secteur de la gestion d’actifs est un laboratoire intéressant car il est emblématique des évolutions possibles. L’accès accru aux données et la technologie ont réduit l’avantage informationnel des gestionnaires actifs et rendu l’investissement passif plus compétitif. Par exemple, la capacité de sélection de titres des gérants actifs s’est détériorée avec l’usage accru de données satellitaires, sur l’univers de titres couvert par ces nouvelles données. En revanche, si l’abondance de données s’accompagne d’une détérioration de la qualité de l’information, les «bruits» peuvent réduire l’informativité des prix et rendre plus attractif l’investissement actif sur la base d’une analyse de long terme plus approfondie. De même, la baisse des coûts de transactions a d’abord favorisé le trading haute fréquence, mais elle a aussi participé à la renaissance du trading des particuliers, rendant les marchés moins efficients lors de certains épisodes (cf affaire Gamestop).

Les marchés restent difficiles à prévoir. Leur équilibre dépend de comportements dont l’évolution rend les dynamiques de rendements non stationnaires. La taille des données financières reste également relativement restreinte, même avec des données haute fréquence, et les champs d’application de l’IA y sont donc plus difficiles que dans d’autres domaines. En matière de prévision, les algorithmes de machine learning n’offrent pas des performances aussi prometteuses qu’on aurait pu l’attendre (Reminger et al., 2023).

Côté gestion de patrimoine et investissement des particuliers, les algorithmes offrent également de nombreuses promesses: robo-advising, analyse comportementale, customisation des interactions clients, etc. Les robo-advisors ont prouvé leur efficacité à conseiller les clients, mais leur capacité à éclipser le conseil humain semble stagner (aversion aux algorithmes des clients, contraintes réglementaires). L’utilisation accrue des plateformes de trading en ligne et des media sociaux ont exacerbé les biais d’investissement des particuliers (Brière, 2023).

Une chose semble certaine: l’IA profitera davantage aux grands acteurs et on devrait s’attendre à une concentration croissante du marché, y compris dans le domaine financier. La capacité à investir dans la technologie et les données constitue un différenciateur clé.

A l’aube d’une nouvelle phase de développement de l’IA et de ses applications, la recherche académique est cruciale face aux nombreuses questions qui se posent. (1) Quels risques potentiels pour la stabilité financière et économique, les inégalités? Quel coût financier et environnemental du développement de l’IA? (2) Quel impact des modèles d’IA sur les risques, les biais, la discrimination? (3) Quel impact du remplacement de la main d’œuvre sur les performances des entreprises et comment envisager des collaboration humain/machine efficaces? Et enfin (4) quelles solutions réglementaires pour un développement harmonieux de l’IA dans le secteur financier?

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