Le choc fiscal en Allemagne et en Europe représente sans aucun doute un changement sismique dans les politiques économiques du vieux continent. Après une longue période de déclin économique et face à la prise de conscience soudaine qu’elle doit prendre son destin en main, l’Europe est enfin prête à faire «tout ce qu'il faut» sur le plan fiscal pour soutenir sa défense et sa compétitivité économique.
Parallèlement, la Chine prend des mesures pour relancer son secteur intérieur en difficulté, dans un contexte de vents contraires externes croissants. L'ampleur de ces annonces est significative et a le potentiel de modifier la dynamique de croissance dans deux régions qui ont connu des difficultés ces dernières années.
L'inconvénient, c'est que cela s'accompagnera d'une augmentation importante de la dette publique, ce qui exacerbera une tendance déjà préoccupante. Les impacts de ces chocs fiscaux se feront sentir à moyen terme. Leurs implications complètes restent difficiles à évaluer, mais cela pourrait constituer un changement de donne durable pour la dynamique de l'Europe et de la Chine.
Allemagne – «Quoi qu'il en coûte», un revirement de cap dans la politique budgétaire
Mardi dernier, un accord a été annoncé entre le CSU/CDU (vainqueur des dernières élections) et le SPD (le partenaire le plus probable pour former la prochaine coalition gouvernementale) sur un virage radical de la politique budgétaire allemande. Le plan devrait être adopté dans les jours ou semaines à venir, au plus tard avant le 25 mars, par le Bundestag sortant, où il est probable qu'une majorité des deux tiers soit obtenue pour valider ces changements constitutionnels (ce qui pourrait ne plus être le cas dans le nouveau Bundestag issu des élections de février).
En substance, ces annonces représentent un assouplissement massif de la politique budgétaire allemande, dans lequel une augmentation significative des dépenses publiques et de l'endettement financera des investissements sans précédent dans la défense et les infrastructures.
- Un fonds dédié aux investissements dans les infrastructures, d'une valeur de 500 milliards d'euros, sera créé pour la prochaine décennie. Ce montant représente 11,6% du PIB annuel de l'Allemagne, ce qui équivaut à environ 1% de soutien fiscal à l'activité économique par an pendant les dix prochaines années. Ce dispositif contribuera également à améliorer la compétitivité future de l'économie allemande.
- Par ailleurs, le frein à l'endettement constitutionnel sera modifié pour exclure du calcul du déficit public les dépenses de défense supérieures à 1% du PIB, ouvrant ainsi la voie à une augmentation sans limite des investissements dans ce secteur, sans être contraint par la limite du déficit public. En fait, le futur chancelier allemand, Friedrich Merz, a promis de faire «quoi qu'il en coûte» en matière de dépenses de défense.
- De plus, les Etats fédérés seront désormais autorisés à présenter un déficit public, plafonné à 0,35% du PIB, et ne seront plus obligés d'équilibrer strictement leur budget.
Ce développement majeur est appelé à redéfinir les politiques économiques dans la plus grande économie d'Europe pour les années à venir. Avec un ratio dette/PIB relativement bas de 63%, l'Allemagne dispose d'une marge suffisante pour augmenter ses dépenses publiques. Le plan d'infrastructures devrait avoir un impact positif direct sur l'activité intérieure, et l'augmentation des dépenses de défense bénéficiera également à l'économie, en particulier à l'ensemble des secteurs industriels allemands orientés vers la défense.
Ce revirement de la politique budgétaire aidera probablement l'Allemagne à sortir d'une dynamique économique préoccupante
De plus, cette annonce laisse entendre que les deux principaux partis allemands se rapprochent déjà d'un accord pour former une coalition, et que le processus parfois long de formation d'une coalition pourrait être accéléré par les circonstances extraordinaires actuelles. Par ailleurs, l'annonce d'un important fonds d'infrastructures ouvre même la voie à une coalition potentiellement élargie, dans laquelle les Verts rejoindraient la coalition CDU/CSU-SPD, conférant ainsi une majorité robuste de 65 % au prochain Bundestag.
Nous considérons cette annonce comme une percée majeure et positive pour les perspectives de croissance économique de l'Allemagne, avec des retombées positives pour l'ensemble de l'Europe.
Europe – Dépenser mieux et ensemble à l'ère du réarmement
Parallèlement aux annonces faites par l'Allemagne, l'Union européenne a également dévoilé un plan visant à augmenter les dépenses publiques en prévision du Conseil européen de demain. Ce plan inscrit l'effort allemand dans un contexte européen plus large, en offrant davantage d'espace fiscal aux États membres, grâce notamment à une démarche commune d'emprunt à l'échelle de l'UE.
Les principaux éléments du plan présenté hier par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sont les suivants:
- Le plan « ReArm Europe » permettra aux Etats membres d'accroître leurs dépenses de défense sans déclencher la procédure pour déficit excessif prévue par le cadre budgétaire actuel.
- Une facilité de prêt de 150 milliards d'euros sera mise en place pour aider les États membres à financer leurs investissements dans la défense. Ce mécanisme constitue un financement européen conjoint visant à répondre en partie à l'augmentation des dépenses auxquelles les pays européens devront faire face.
- Le budget de l'UE sera révisé afin de diriger davantage de fonds vers les investissements liés à la défense.
Il s'agira également de faciliter et de mobiliser le financement privé pour répondre aux futurs besoins d'investissements européens.
En abandonnant sa doctrine de longue date en matière d'orthodoxie budgétaire, l'Allemagne ouvre la voie à la mise en œuvre de politiques fiscales plus proactives dans l'ensemble des économies européennes. Ce changement facilite également l'accès à des emprunts européens communs pour financer les investissements indispensables dans les années à venir, non seulement en matière de dépenses de défense, mais également pour les investissements technologiques et les infrastructures visant à renforcer la compétitivité européenne (cf. rapport Draghi).
Il ne s'agit donc pas uniquement du revirement brutal de l'Allemagne en matière de politique budgétaire, mais également d'un changement plus large dans l'attitude de l'Europe envers les dépenses publiques et les déficits. Des emprunts européens conjoints et une plus grande flexibilité budgétaire pour les pays membres permettront de financer les investissements indispensables à la défense et à la compétitivité, au prix d'une hausse de la dette publique à l'échelle du continent.
La dette publique augmentera en Europe afin de financer les investissements dans la défense et la compétitivité. L'Allemagne dispose d'une marge pour supporter une dette plus élevée, et des emprunts européens conjoints pourraient aider les pays aux finances fragilisées à financer cette hausse.
Ratio dette publique/PIB
Chine – Un soutien fiscal enfin annoncé pour stimuler la croissance intérieure
Par coïncidence, ce matin, la Chine a également annoncé un programme de relance budgétaire attendu de longue date. Alors que les tarifs américains sur les produits chinois sont de nouveau augmentés, le Premier ministre chinois Li Qiang a dévoilé les objectifs économiques du gouvernement pour cette année:
- Une croissance du PIB d’environ 5% sera de nouveau ciblée, un niveau supérieur au taux de croissance récent de la deuxième plus grande économie mondiale.
- Pour atteindre cet objectif, le déficit budgétaire sera augmenté d’un point de pourcentage, passant de 3% l’année dernière à 4% en 2025. Cela se traduira par une hausse équivalente à 180 milliards de dollars des dépenses publiques, financée par l’émission d’obligations spéciales ultra-long terme.
- Des mesures de soutien aux banques commerciales d’État et un renforcement de leur capital (pour un montant équivalent à 70 milliards de dollars) seront également financés par un endettement supplémentaire du gouvernement.
Les annonces de ce matin ne sont pas aussi surprenantes que les récentes évolutions européennes, car elles étaient attendues depuis l’automne dernier. Cependant, elles restent significatives puisqu’elles concrétisent le soutien attendu des autorités chinoises à une économie qui s’est récemment stabilisée après un long ralentissement, mais qui continue d’enregistrer une croissance intérieure décevante et sera confrontée à des vents contraires supplémentaires en raison de l’augmentation des tarifs américains.
La consommation, qui a constitué le point faible de la croissance chinoise ces derniers temps, devrait être relancée par ces mesures afin de compenser les pressions externes croissantes et de dynamiser la demande intérieure.
Conclusion
L’annonce des plans fiscaux en Europe et en Chine à l’ère du D.O.G.E aux Etats-Unis renforce l’attrait des actions internationales au détriment des Etats-Unis. Même si une partie des bonnes nouvelles est déjà dans les «prix», les actions européennes et asiatiques continuent de se traiter avec un escompte majeur par rapport aux actions américaines. Un certain potentiel de rattrapage demeure.
A contrario, les obligations européennes pourraient continuer à sous-performer les obligations américaines pour les raisons macroéconomiques décrites ci-avant. L’euro pourrait continuer à se raffermir par rapport au dollar.