En cas de paix en Ukraine, quels impacts sur les marchés financiers?

Charles-Henry Monchau, Banque Syz

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Le début des négociations bilatérales entre les États-Unis et la Russie au sujet de l'Ukraine incite les investisseurs à anticiper une levée prochaine des sanctions contre la Russie.

 

Après près de trois ans de conflit, des rapports récents indiquant le début de discussions sérieuses visant à mettre fin à la guerre entre la Russie et l’Ukraine offrent une lueur d'espoir pour les marchés financiers. Cette nouvelle initiative, menée par les États-Unis, pourrait entraîner un changement crucial dans la dynamique géopolitique et le sentiment des marchés. Toutefois, le chemin vers la résolution reste semé d'embûches, notamment en ce qui concerne le rôle de l'Ukraine et de l'Europe dans les négociations.

Une initiative menée par les États-Unis avec une implication limitée de l’Europe

Pour l'instant, les négociations sont menées par les États-Unis, qui ont été le principal soutien de l'Ukraine tout au long du conflit. La stratégie apparente du président Trump consiste à négocier un accord directement avec le président russe Vladimir Poutine, avec une participation limitée, voire inexistante, des pays européens. Cette approche soulève des questions sur la portée et les bénéfices à long terme d’un éventuel accord, en particulier pour l’Europe, qui a subi de plein fouet les conséquences économiques du conflit.

Les États-Unis sont le principal soutien de l'Ukraine depuis le début du conflit

Bien que les États-Unis soient indéniablement en position légitime pour mener les discussions, compte tenu de leur soutien considérable à l’Ukraine, tant l’Ukraine que les nations européennes ont également des revendications légitimes quant à leur rôle dans les négociations. Leur implication sera essentielle pour déterminer si un éventuel accord sera définitif et durable.

Cessez-le-feu ou paix globale

L’un des enjeux majeurs qui déterminera l’impact final de ces discussions sur les marchés financiers est la nature de l’accord. 

  • Cessez-le-feu: Un cessez-le-feu offrirait un soulagement à court terme, mais pourrait ne pas résoudre les problèmes sous-jacents, notamment en ce qui concerne les frontières territoriales. Bien qu'un tel accord puisse réduire les risques immédiats d'escalade, le manque de clarté sur les frontières pourrait laisser subsister des incertitudes significatives, empêchant une normalisation complète du marché. La possibilité d'une reprise du conflit dépendrait des interprétations subjectives des conditions du cessez-le-feu.
  • Accord de paix global: À l’inverse, un accord de paix complet offrirait une bien plus grande visibilité et stabilité, ouvrant potentiellement la voie à une normalisation des relations économiques avec la Russie. Cela pourrait inclure la levée des sanctions et la restauration des flux énergétiques vers l’Europe, des mesures qui bénéficieraient probablement aux économies européennes ainsi qu’aux marchés financiers mondiaux.

Le défi d’un accord américano-russe sans le soutien de l’Europe ou de l’Ukraine

Bien qu’un accord entre les États-Unis et la Russie puisse offrir un soulagement immédiat aux principaux acteurs du conflit, le conclure sans l'approbation de l’Ukraine ou des pays européens pourrait considérablement en limiter les bénéfices économiques à plus grande échelle.

  • Risques liés à l'exclusion de l'Europe et de l'Ukraine: Un accord entre les États-Unis et la Russie qui contournerait l’Europe ou l’Ukraine pourrait entraîner une levée partielle des sanctions américaines contre la Russie, permettant une certaine normalisation économique entre les deux pays. Cependant, si l’Europe ne soutient pas cet accord, elle risque de maintenir ses sanctions, notamment sur le commerce et les transactions financières, limitant l’impact économique positif à plus grande échelle.
  • Impact sur l'Ukraine: L’absence d’une approbation Ukrainienne pourrait rendre l’accord instable et insoutenable. Un accord imposé sans soutien de l’Ukraine pourrait entraîner des troubles internes et une incertitude persistante, réduisant les perspectives d’un scénario économique durablement positif.

Deux scénarios possibles pour les négociations

Au fil des discussions, deux principaux scénarios pourraient se dessiner, chacun ayant des implications financières distinctes:

  • Scénario 1: Accord entre les États-Unis et la Russie sans l'aval de l'Europe ou de l'Ukraine
    Dans ce scénario, les États-Unis et la Russie parviennent à un accord, mais l'Ukraine et les pays européens n'en approuvent pas véritablement les termes. Les États-Unis pourraient commencer à lever les sanctions contre la Russie, entrainant une certaine normalisation économique et le déblocage des avoirs russes. Toutefois, les sanctions européennes resteraient probablement en place, limitant les échanges commerciaux et les flux financiers avec la Russie.
  • Scénario 2: Accord entre les États-Unis et la Russie avec l'aval de l'Ukraine et de l'Europe
    Le deuxième scénario prévoit que les États-Unis et la Russie parviennent à un accord, mais que l'Ukraine et les pays européens soient ensuite «convaincus» d'en approuver les termes. Ce résultat pourrait être obtenu par une combinaison de pressions et d'incitations américaines, telles que le soutien financier à la reconstruction de l'Ukraine, le niveau et l'étendue des droits de douane ou des garanties concernant la sécurité en Europe de l'Est.
    Dans ce cas, les implications économiques seraient beaucoup plus positives. Les sanctions contre la Russie pourraient être progressivement levées, entrainant une reprise potentielle des exportations d'énergie russe vers l'Europe, une diminution des tensions sur l'approvisionnement et une baisse des coûts de l'énergie. La reconstruction de l'Ukraine pourrait également stimuler de manière significative les économies européennes.

Implications pour le marché et perspectives

L’ouverture de discussions entre les États-Unis et la Russie a été perçue positivement par les marchés financiers, car elle suggère une possible réduction des risques géopolitiques et la fin d’un conflit coûteux et meurtrier. Cependant, la réaction des marchés dans les semaines à venir dépendra en grande partie de la nature de l’accord ainsi que du degré d’implication de l’Ukraine et de l’Europe dans les termes finaux.

  • Impact du cessez-le-feu: Même si seul un cessez-le-feu est conclu, les marchés sont susceptibles de réagir positivement à court terme, car le risque immédiat d'escalade serait réduit. Toutefois, les avantages économiques plus larges pourraient être limités si les sanctions européennes restent en place et si les échanges avec la Russie continuent d'être restreints.
  • Accord de paix global: Si un accord de paix global est conclu et approuvé par toutes les parties, les bénéfices financiers seraient significatifs. La levée des sanctions, en particulier celles affectant l’énergie et le commerce, stimulerait les économies européennes. De plus, une éventuelle normalisation des relations avec la Russie pourrait soutenir les prix des matières premières à l’échelle mondiale, atténuer les contraintes d’approvisionnement énergétique et améliorer le sentiment des investisseurs envers les actifs financiers européens.

Une situation qui perdure et dont les implications sont considérables

Il s'agit d'une situation en constante évolution, avec un large éventail de résultats potentiels encore en jeu. Bien que des incertitudes importantes subsistent, l'ouverture de pourparlers de paix est une évolution encourageante. Si une solution est trouvée, elle conduira probablement à la levée progressive des sanctions, à l'amélioration des flux d'énergie et à l'intensification des efforts de reconstruction, apportant un soutien crucial à une économie européenne en difficulté. Du point de vue de l'investissement, la possibilité d'une résolution significative et durable ne doit pas être négligée.

L'impact potentiel sur les marchés d'actions

Les développements en cours pourraient s’avérer positifs pour les marchés actions européens, dans un contexte déjà devenu plus favorable depuis le début de l’année. En effet, après un second semestre 2024 difficile, le cadre macroéconomique européen a cessé de se détériorer récemment, avec des indices PMI rassurants et des surprises économiques positives en ce début d’année 2025. Les risques de récession à court terme s’estompent et la croissance se stabilise, bien qu’elle demeure très faible dans les économies «centrale» de la zone euro. Le sentiment pourrait encore s'améliorer à la suite des élections en Allemagne et de la perspective d'un soutien budgétaire supplémentaire. L'une des principales incertitudes à l'approche des élections est de savoir si les partis marginaux seront en mesure de bloquer une réforme du frein constitutionnel à l'endettement en rassemblant un tiers des sièges au Bundestag. Si c'est le cas, les perspectives de soutien budgétaire pourraient être réduites, mais l'option de plus en plus probable d'exclure les dépenses de défense des limites de déficit permettrait encore à la politique gouvernementale de donner une certaine impulsion positive. Entre-temps, bien que l'incertitude concernant les droits de douane américains sur les produits européens demeure, la menace d'une forte augmentation des droits de douane s'est atténuée, car elle semblait servir au président Trump d'outil de négociation pour obtenir des concessions de la part d'autres pays. 

Parallèlement, malgré la récente reprise, les valorisations des actions européennes restent attractives par rapport au marché américain. De plus, la croissance des bénéfices des entreprises européennes devrait s’accélérer, la stabilisation de l’environnement macroéconomique réduisant les risques de baisse de ces prévisions.

L'impact potentiel sur les marchés obligataires

L'impact sur les taux d'intérêt européens pourrait être plus complexe, car une évolution positive de la situation en Ukraine pourrait exercer des pressions haussières sur les taux longs en Europe. La combinaison de perspectives de croissance potentiellement améliorées et d’un endettement public plus important pour financer les dépenses de défense pourrait réduire l’attrait des obligations souveraines européennes à long terme. Cela pourrait être particulièrement marqué en Allemagne, qui se distingue des autres pays européens par une dette publique faible (62% du PIB, bien en dessous du niveau moyen de 87% de la zone euro) et la croissance la plus faible de l'union monétaire au cours des deux dernières années. L'augmentation potentielle de la dette publique et l'amélioration des perspectives de croissance pourraient pousser les rendements du gouvernement allemand à la hausse, surtout si elle s'accompagne de l'introduction d'emprunts européens conjoints pour financer l'augmentation des dépenses de défense. Un redressement de la courbe des taux en euros pourrait donc être anticipé, incitant à privilégier un positionnement sur les obligations de maturité courte à moyenne.

Toutefois, de meilleures perspectives de croissance économique pour l'Europe pourraient soutenir certaines obligations d'entreprises. Un accord de paix potentiel aurait un impact important sur le marché européen du gaz, car un nouvel accès aux importations de gaz russe réduirait le coût de l'énergie, ce qui profiterait aux services publics et soutiendrait indirectement les industries à forte consommation d'énergie. Actuellement, les coûts de l'énergie dans les pays voisins restent élevés par rapport aux niveaux d'avant-guerre. Par secteur, les entreprises européennes de services publics qui dépendaient du gaz russe à bas prix pour la production d'électricité seraient les bénéficiaires directs de la reprise des flux de gaz russe, réduisant les importations onéreuses de GNL (gaz naturel liquéfié). Les entreprises de transport de gaz et d'énergie des pays voisins bénéficieraient également de prix plus stables et d'une augmentation des exportations d'énergie vers l'Ukraine pour la reconstruction. En outre, les entreprises de défense en Europe, en particulier celles qui bénéficient d'un soutien gouvernemental fort, pourraient voir la demande d'avions militaires, d'hélicoptères, de véhicules blindés et de systèmes navals augmenter. Les banques et les entreprises qui ont maintenu leur exposition à la Russie pourraient également voir leurs actifs réévalués. Enfin, un cessez-le-feu donnerait à l'Ukraine l'occasion d'attirer les investissements étrangers et aux entreprises ukrainiennes dont les activités sont viables de retrouver l'accès au marché des capitaux.

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