Trump 2.0
Pendant sa campagne, le président Donald Trump s’est présenté comme un dirigeant qui n’avait pas déclenché de nouvelles guerres au cours de sa première présidence et s’est engagé à ce que, sous son deuxième mandat, il n’y ait pas de nouvelles guerres. Il s’est même déclaré comme le président qui pourrait «empêcher la troisième Guerre mondiale».
Pourtant, depuis qu’il a décroché son second mandat, Donal Trump a principalement mis l’accent sur sa politique étrangère «L’Amérique d’abord», adoptant des ambitions qui s’apparentent à de l’impérialisme.
Trump a notamment exprimé son intention de récupérer le canal de Panama et d’acquérir le Groenland, éventuellement par des moyens militaires, et envisage de recourir à la répression économique pour amener le Canada à devenir le 51e Etat des Etats-Unis.
Cet article explore les motivations derrière l’agenda «impérialiste» de Trump, en s’interrogeant sur la nature de sa stratégie: s’agit-il d’un calcul réfléchi, d’une démonstration de force, ou d’un peu des deux?
Le cas du Groenland
À la fin de l’année dernière, Trump a déclaré sur sa plateforme Truth Social que «la propriété et le contrôle du Groenland sont une nécessité absolue» pour assurer la «sécurité économique» des Etats-Unis. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont brièvement occupé l’île arctique avant d’abandonner leurs bases peu de temps après. Le Groenland, sous contrôle danois depuis le XIVe siècle, est devenu un territoire autonome pleinement intégré au Danemark en 1953. Trump avait déjà évoqué l’idée d’acquérir l’île en 2018, lors de son premier mandat, mais cette fois-ci, il semble déterminé à prouver son sérieux. Pour cela, il a envoyé son fils aîné, Donald Trump Jr., à bord de son jet privé dans la capitale groenlandaise, Nuuk, dans le cadre d’une visite touristique. Mais pourquoi Trump voudrait-il s’approprier le Groenland? Deux raisons stratégiques semblent motiver cette ambition.
Tout d’abord, le Groenland revêt une importance stratégique en raison de ses routes maritimes. Situé au nord-est du Canada et en grande partie recouvert par l’immense inlandsis groenlandais, il s’agit de la plus grande île au monde, bien qu’elle ne compte qu’environ 60'000 habitants. Territoire semi-autonome du Royaume du Danemark, le Groenland dispose de son propre gouvernement élu. Sa localisation, à la croisée des Etats-Unis, de la Russie et de l’Europe, lui confère une valeur inestimable tant sur le plan économique que militaire. La fonte de la banquise arctique a ouvert de nouvelles routes maritimes, renforçant son rôle dans le commerce international et les stratégies de défense. Le Groenland abrite également la base militaire américaine la plus au Nord. «Nous avons besoin du Groenland pour des raisons de sécurité nationale», a déclaré Trump. «Je parle de protéger le monde libre. Il y a des navires chinois partout, des navires russes partout. Nous ne laisserons pas cela se produire. Nous ne le permettrons pas.»
Source: MSN
La deuxième raison réside dans les ressources naturelles inexploitées du Groenland. Ses calottes glaciaires fondent à un rythme alarmant, perdant 270 milliards de tonnes d’eau par an, et la région pourrait être libre de glace dès l’été 2030. Bien que cette situation souligne l’urgence de la crise climatique, cela ouvre également l’accès à des ressources autrefois inaccessibles. Le Groenland est riche en pétrole, gaz naturel et minéraux, dont le lithium et le graphite, essentiels à la production de batteries pour véhicules électriques. Actuellement, la Chine contrôle 65% de la production mondiale de graphite, ce qui fait du Groenland un fournisseur alternatif stratégique. Le Groenland abrite également d’importantes réserves de minéraux de terres rares, indispensables aux technologies avancées telles que les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et les équipements militaires comme le F-35.
La Chine et la Russie contrôlant 90% de la production de terres rares, le Groenland représente une opportunité d’indépendance stratégique dans la sécurisation de ces matériaux. La demande de terres rares est actuellement supérieure à l’offre, ce qui maintient les prix à un niveau élevé.
Source: Politico.
Quatre scénarios sont envisageables
- Trump se lasse et rien ne se passe. Il pourrait s’agir simplement de paroles en l’air. Certains pensent que les déclarations de Trump ne sont qu’une tactique visant à faire pression sur le Danemark pour qu’il renforce les défenses du Groenland contre l’influence croissante de la Russie et de la Chine dans l’Arctique.
- Le Groenland déclare son indépendance et se rapproche des Etats-Unis. Les Groenlandais considèrent depuis longtemps que l’indépendance est inévitable et, s’ils votent en faveur de la séparation, le Danemark respectera probablement leur décision. Le Groenland pourrait alors se tourner vers les Etats-Unis pour obtenir leur soutien, peut-être par le biais d’un accord de libre association, à l’instar des Îles Marshall, ou la Micronésie.
- Trump joue la carte économique. Les tactiques économiques de Trump, telles que des droits de douane élevés sur les produits danois, pourraient forcer le Danemark à céder sur la question du Groenland.
- Trump envoie les troupes. Bien que peu probable, une intervention militaire reste possible. Avec des bases militaires déjà présentes sur le territoire, le refus de Trump d’exclure le recours à la force maintient cette «option nucléaire» sur la table.
Le canal de Panama
Il s’agit d’une voie de navigation stratégique, représentant environ 40% du trafic de conteneurs des Etats-Unis, selon CargoNOW. Il relie l’océan Pacifique à la mer des Caraïbes, puis à l’océan Atlantique, réduisant considérablement les délais de livraison et les coûts de carburant pour le commerce international.
Autrefois sous gestion américaine, le canal a été transféré au Panama le 31 décembre 1999, à la suite d’un traité signé par le président Jimmy Carter en 1977. Depuis, Donald Trump a critiqué ce traité, le qualifiant d’«erreur» et menaçant de l’annuler, tout en affirmant (probablement) à tort que le canal était désormais sous contrôle chinois. Trump justifie cette prise de contrôle comme une nécessité pour la «sécurité économique» des Etats-Unis, affirmant que le canal est mal géré. «Le canal de Panama est essentiel pour notre pays. Il est contrôlé par la Chine. La Chine! Et nous avons donné le canal au Panama, pas à la Chine, et ils en ont abusé. Ce cadeau n’aurait jamais dû être fait», a-t-il déclaré.
Cependant, le président panaméen, José Raul Mulino, a formellement rejeté ces accusations, affirmant: «Il n’y a absolument aucune ingérence ni implication de la Chine dans la gestion du canal de Panama.»
Source: MSN.
Le cas du Canada
Les ambitions expansionnistes de Donald Trump se sont étendues au Canada, pourtant allié de longue date des Etats-Unis. Bien qu’il ne soit pas allé jusqu’à menacer d’une action militaire, Trump a évoqué l’utilisation de la «force économique» pour inciter le Canada à devenir le 51e Etat américain.
En effet, sa frustration vis-à-vis des dépenses américaines en produits canadiens et en soutien militaire est manifeste, affirmant qu’elles n’apportent aucun bénéfice réel aux Etats-Unis.
En qualifiant l’ancien Premier ministre Justin Trudeau de «gouverneur», Trump a réitèré son souhait d’annexer le Canada. «Si le Canada devenait notre 51e Etat, ses impôts seraient réduits de plus de 60%, ses entreprises doubleraient immédiatement de taille et il bénéficierait d’une protection militaire incomparable.», a-t-il écrit sur les réseaux sociaux, brandissant la carotte avant le bâton.
Toutefois, Trudeau ne sera plus là pour longtemps pour répondre à Trump. Il a démissionné début du mois, après une chute de popularité et des pressions internes au sein de son parti. Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur, apparaît comme le successeur probable. Réputé pour ses positions en faveur de la protection de la vie privée et de l’utilisation des crypto-monnaies, Poilievre pourrait être un interlocuteur plus favorable pour Trump. Cela dit, Poilievre n’a pas montré d’intérêt pour la rhétorique de Trump concernant l’annexion.
Menace réelle ou simple tactique de négociation?
Les déclarations peu diplomatiques de Donald Trump sur la récupération du canal de Panama, l’annexion du Groenland et l’incorporation du Canada en tant que 51e Etat ont remué la communauté internationale. Le ministre panaméen des Affaires étrangères a affirmé que la souveraineté du canal était «non négociable», tandis que le Premier ministre danois, a réaffirmé que «le Groenland appartient aux Groenlandais». Quant au Canada, Justin Trudeau a rejeté l’idée, précisant qu’il n’y avait «pas une chance de boule de neige en enfer» de fusion avec les Etats-Unis.
La véritable question avec Trump ne réside pas dans ses propos, mais dans leur sérieux. La sénatrice Elizabeth Warren a suggéré qu’il pourrait s’agir d’une simple distraction, visant à détourner l’attention de ses choix ministériels. Dan Hamilton, expert en politique étrangère à la Brookings Institution, pense que ces commentaires sont plus une tactique qu’une véritable menace.
Trump semble chercher à contrer la Chine et d’autres rivaux, en revenant à la doctrine Monroe, vieille de 200 ans, qui affirmait la souveraineté des Etats-Unis sur l’hémisphère occidental. Cette approche fait écho à la «théorie du fou» de Nixon, qui utilisait l’imprévisibilité pour déstabiliser ses adversaires et les amener à négocier. Hamilton suggère que Trump adopte une version moderne de cette stratégie, visant à désorienter ses alliés de l’Otan et à les contraindre à «augmenter la mise» pour préserver leurs relations avec Washington.
Il est également possible que Trump 2.0 soit plus engagé dans une idéologie extrême que ne l’était Trump 1.0. Ayant survécu à deux mises en accusation, quatre inculpations, deux tentatives d’assassinat, et bénéficiant d’une quasi-impunité grâce à la Cour suprême, Trump semble alimenté par un sentiment d’invincibilité. Il a même affirmé avoir été épargné par Dieu pour «sauver un pays brisé».
Source: Syz-Research-Lab, the White House.
Entre-temps, il semble que les marchés prennent Trump au sérieux. Les CDS sur le Panama sont en hausse, le Global X Uranium ETF (URA), qui comprend Greenland Minerals and Energy parmi ses positions, a perdu du terrain et l’action de la Banque du Groenland monte en flèche, dans un contexte de spéculation sur les ambitions expansionnistes de Trump.
Source: ZeroHedge, Bloomberg.
Source: BofA.
Conclusion
La vision de Trump d’annexer le Canada ou d’acquérir le Groenland et le canal de Panama a peu de chances de se concrétiser, mais elle alimente un climat de tension. Son véritable objectif est peut-être de renforcer le mouvement MAGA et de déclencher une vague de patriotisme américaine agressive.
À long terme, cependant, cette stratégie risque de créer davantage d’ennemis et de déstabiliser encore plus un monde déjà fragmenté.