Milei un an après: que pasa?

Charles-Henry Monchau, Banque Syz

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L'ETF Global X MSCI (ARGT) de l'Argentine est l'ETF pays le plus performant de 2024. Les réformes pro-capitalistes du président Javier Milei ont pour partie contribué à cette avancée.

Javier Milei, 53 ans et économiste de formation, a défié tous les pronostics pour devenir président de l'Argentine, remportant les élections sans parti établi, sans expérience gouvernementale préalable et avec un financement minimal. S'autoproclamant «anarcho-capitaliste», Javier Milei a attiré l'attention du monde entier par son style peu orthodoxe et sa vision de l'économie. Près d'un an après son arrivée au pouvoir, la question se pose: La recette économique drastique de Milei peut-elle transformer un pays longtemps affligé par les crises économiques en un modèle de réussite? Cet article examine les réformes qu'il a introduites et leur impact sur la troisième plus grande économie d'Amérique du Sud.

«Shock therapy»

Après huit décennies de politiques socialistes, l'Argentine traverse l'une des expériences économiques les plus marquantes depuis la crise monétaire de 2001. A son arrivée au pouvoir, le président Javier Milei a hérité d’une situation macroéconomique critique: une inflation atteignant 230%, la plus élevée au monde, une dette publique dépassant 60% du PIB, un écart entre les taux de change officiel et parallèle supérieur à 200%, plus de 40% de la population vivant dans la pauvreté, et un taux de chômage à 7,7%.

S'autoproclamant «anarcho-capitaliste», Milei défend avec audace les principes de l'économie de marché. Pour lui, l'État est une nuisance intrinsèque, dont seuls le maintien de l'ordre public et l'administration de la justice justifient l’existence. Dès le début de son mandat, il présente le projet de loi «Ley Bases», comprenant plus de 600 réformes, accompagné d’un décret d’urgence, ajoutant 300 mesures supplémentaires. Cependant, son parti, «La Libertad Avanza» («La Liberté Avance»), ne disposant pas de la majorité parlementaire, Milei s’appuit sur des législateurs péronistes modérés pour faire avancer son programme. Après des échecs initiaux, il réussit à faire adopter environ 200 réformes grâce à leur soutien.

©Keystone

 


1. Réduire les dépenses publiques

Lors de ses rassemblements politiques, Javier Milei a souvent brandi une tronçonneuse, un geste spectaculaire symbolisant sa détermination à réduire les dépenses publiques et à démanteler les excès bureaucratiques. Fidèle à ce symbolisme, il a commencé par supprimer ou fusionner plusieurs ministères, regroupant par exemple l’éducation, la recherche, la culture et les affaires sociales en un unique ministère du Capital humain. Les ministères jugés inutiles ou idéologiquement orientés, comme celui des Femmes, du Genre et de la Diversité, ont été supprimés. En moins d’un an, il a fermé 13 des 22 ministères, réduit le budget fédéral de 32% et licencié près de 30’000 fonctionnaires. Par ailleurs, les salaires et pensions du secteur public ont été maintenus en dessous de l’inflation, tandis que les subventions sociales, notamment pour l’alimentation, l’énergie et les transports, ont été drastiquement réduites. Les projets d’infrastructure, autrefois financés par l’Etat, nécessitent désormais des investissements privés.

L'ascension inattendue de Javier Milei souligne l'influence croissante des mouvements populistes de droite dans le monde entier, tels que les leaders en Italie, aux Etats-Unis et en Inde. Le président Trump a décrit Javier Milei comme son «président préféré», soulignant leur vision politique commune. Ce lien fait de Milei un influenceur potentiel de la prochaine administration américaine, en particulier le département de l'efficacité gouvernementale (DOGE) dirigé par Elon Musk et Vivek Ramaswamy. Musk aurait consulté le ministre argentin de la déréglementation sur les coupoes budgétaires du pays. Avec Ramaswamy, il viserait à réduire les dépenses fédérales de 2000 milliards de dollars, en plaçant des experts du DOGE pour déterminer «le nombre minimum d'employés» nécessaires pour assurer les fonctions essentielles. Les plans prévoient des licenciements à grande échelle, des démissions volontaires provoquées par une obligation stricte de retour au bureau et des délocalisations d'agences en dehors de Washington.


Source: Reuters

 


2. Dollarisation

La dollarisation est au coeur des réformes de Milei, qu’il considère comme une solution durable à l’inflation chronique et à l’instabilité monétaire de l’Argentine. Malgré sa promesse d’éliminer la banque centrale et de remplacer complètement le peso par le dollar, son approche s’est révélée plus pragmatique. Parmi ses premières mesures, il procéde à une dévaluation de 50% du peso et propose un système de double monnaie, autorisant la circulation simultanée du peso et du dollar en tant que devises légales.

Milei plaide également pour la suppression des contrôles sur les capitaux et les changes, qu’il accuse de maintenir artificiellement le peso tout en affaiblissant la compétitivité économique du pays. Les premiers résultats sont prometteurs: l’écart entre le taux de change officiel et celui du marché noir a diminué, passant de 60% en janvier à 20% en octobre. Cependant, les critiques rappellent que, malgré ces progrès, la dollarisation complète reste un objectif lointain. Le dollar américain agit aujourd’hui comme une monnaie parallèle, utilisé pour l’épargne et les transactions privées, mais il n’est toujours pas reconnu comme devise légale pour le paiement des impôts ou des dettes.


Source: Reuters

 


3. Libéralisation du marché immobilier

Sous l'administration péroniste précédente, le marché immobilier argentin était paralysé par des politiques strictes de contrôle des loyers. Ces règles imposaient une durée minimale de bail de trois ans, limitaient les ajustements de loyer à une fois par an malgré l’hyperinflation, et exigeaient que les contrats soient libellés en pesos, une monnaie constamment dévaluée. En conséquence, de nombreux propriétaires ont choisi de retirer leurs biens du marché locatif. A Buenos Aires, on estime qu’un logement sur sept restait vacant, les propriétaires préférant éviter ces conditions défavorables.

Fin 2023, Milei signe un décret d'urgence visant à libéraliser le marché locatif. Désormais, les conditions de location sont librement négociées entre propriétaires et locataires. L'effet de cette réforme est immédiat: les plateformes immobilières ont rapporté un quasi-doublement des annonces disponibles, et les loyers réels ont chuté de 40%.

Si l’augmentation de l’offre de logements constitue une réussite indéniable, l’impact sur les loyers reste plus nuancé. De nombreux locataires ont vu leurs loyers tripler lors du renouvellement de leur bail, tandis que la suppression des subventions, comme pour les frais d'énergie, a entraîné des coûts supplémentaires pour les ménages.

4. Stimuler les investissements dans les secteurs de l'énergie et des matières premières

L'Argentine ne manque pas d'atouts. Outre ses trois titres de Coupe du monde, elle est la troisième économie d'Amérique du Sud, le premier exportateur mondial d'huile et de farine de soja, et le deuxième exportateur de maïs. Le pays possède d'importantes réserves de gaz et d'hydrogène, des conditions favorables aux énergies renouvelables et des ressources en matières premières importantes telles que le lithium, un composant essentiel pour la production de batteries, ainsi que le cuivre.

Jusqu'à présent, les investissements, notamment dans l'extraction de lithium, provenaient principalement de la Chine. Les conditions d'investissement difficiles en Argentine ont souvent découragé les investisseurs occidentaux. Milei a cherché à inverser cette tendance en introduisant le RIGI «Régimen de Incentivos para-Grandes Inversiones» («Système d'incitations pour les grands investissements»). Ce programme offre des exonérations fiscales sur 30 ans et simplifie les processus de commerce pour les projets dépassant 200 millions de dollars dans des secteurs comme l'énergie, les matières premières, les infrastructures et la technologie. Depuis l'adoption du RIGI, les annonces d'investissements étrangers se multiplient. Parmi les exemples figure le retour de BHP en Argentine après 20 ans d'absence, via un partenariat de 3,25 milliards de dollars avec Lundin Mining pour le développement de mines de cuivre.


Source: Reuters

 


Les premiers résultats

Un an après l'entrée en fonction de Javier Milei, sa «shock therapy» économique commence à porter ses fruits. L'inflation, l’un des problèmes les plus persistants de l’Argentine, est en baisse. En octobre, le taux d'inflation mensuel a reculé à 2,7%, contre 3,5% le mois précédent. Sur l’année, l'inflation est passée sous la barre des 200% pour la première fois en près d'un an, avec des baisses supplémentaires attendues à mesure que les effets des cycles inflationnistes hérités du précédent gouvernement s’estompent dans les calculs. Si la hausse des prix alimentaires ralentit, les loyers et les coûts de l’énergie continuent cependant de croître à un rythme supérieur à la moyenne.

Sur le plan budgétaire, l'Argentine a enregistré un excédent pour la première fois en 12 ans, atteignant 1,7% du PIB sur les neuf premiers mois de l'année, contre un déficit de 4,6% fin 2023. L’indice EMBI, qui évalue le risque souverain, a chuté de 1920 points à l’entrée en fonction de Milei à 984 en octobre. En 2025, le PIB devrait croître de 5 à 6%, porté par l’augmentation des investissements, de la consommation et par une plus grande stabilité monétaire.

«Ce n’est pas un miracle», affirme Milei, «mais simplement une gestion prudente sur le plan macroéconomique».

Les marchés financiers ont accueilli favorablement la «tronçonneuse» de Javier Milei. Cette année, les actions argentines ont bondi d’environ 125%, tandis que le Global X MSCI Argentina ETF, une option populaire pour les traders qui contournent les contrôles de capitaux restrictifs du pays, a vu ses actifs multipliés par sept, passant de 104 millions de dollars à l’arrivée de Milei à 750 millions de dollars. Les obligations ont également rebondi, le risque pays de l’Argentine diminuant de 10,4%, indiqué par l’écart entre les obligations d’État américaines et argentines.

Cependant, ces succès financiers ont un revers social. Les mesures d’austérité sévères mises en place par Milei ont aggravé la récession amorcée en 2023. Le FMI prévoit une contraction de 3,5% de l’économie en 2024. La pauvreté atteint désormais 53% de la population, un niveau inégalé depuis deux décennies. L’Argentine reste lourdement endettée envers le FMI, à hauteur de 44 milliards de dollars, et cherche à obtenir des fonds supplémentaires pour lever les contrôles des capitaux et des devises, qui prolongent la récession. Milei espère trouver un soutien auprès de Donald Trump, qui pourrait l’aider à renégocier ce prêt massif, contracté sous l’ancien président Mauricio Macri.


Source: Bloomberg

 


Conclusion

Javier Milei a orienté l'Argentine sur une voie sans précédent. Les premiers résultats, comme le ralentissement de l'inflation et l'augmentation de la confiance des investisseurs, sont prometteurs, mais sans majorité parlementaire, Milei doit s'appuyer sur des alliances pour faire avancer son programme et les litiges juridiques avec les créanciers internationaux, qui pourraient coûter jusqu'à 31 milliards de dollars, pourraient compliquer ses projets. Les années à venir détermineront si la formule économique de Javier Milei peut véritablement transformer l’Argentine et servir d’exemple à d’autres nations.

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