Les conséquences économiques des politiques de l’administration Trump

Michael Spence

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L’administration Trump semant la confusion et l’incertitude, il est compréhensible que les perturbations à court terme attirent particulièrement l’attention.

 

Qualifier d’«incertain» l’environnement économique mondial actuel est bien loin de suffire pour décrire la confusion qui règne depuis quelques moins, en particulier depuis la mise en place des droits de douane du «Jour de la libération» par le président américain Donald Trump, début avril. Ces taxes ont été presque immédiatement suspendues par Trump, après l’agitation observée sur les marchés de capitaux, notamment sur les marchés obligataires américains. Pour autant, à l’exception peut-être de quelques membres de l’administration Trump, personne ne sait si le président américain réactivera au cours de l’été ces droits de douane – suspendus pendant 90 jours, le temps de déterminer si les pays concernés parviendront à de nouveaux accords commerciaux bilatéraux avec les États-Unis – ou s’il les remplacera par un ensemble d’accords négociés avec les partenaires commerciaux. Nous pouvons en revanche déjà prédire certains des effets que les politiques de Trump exerceront sur l’économie américaine et l’économie mondiale.

Certaines conséquences à court terme sont d’ores et déjà inévitables. Plusieurs régions des États-Unis seront confrontées à des pénuries de produits importés, en particulier en provenance des pays asiatiques. De manière plus générale, la demande globale s’oriente vers une dépression, dans la mesure où quasiment tous les acteurs économiques – entreprises, investisseurs et ménages – adoptent une approche attentiste en matière d’investissement et de consommation. Aussi bienvenu soit-il, l’accord entre la Chine et les États-Unis consistant à suspendre les droits de douane prohibitifs durant 90 jours ne résout pas totalement l’incertitude.

Les droits de douane chers à Donald Trump ne conduiront toutefois pas nécessairement à une catastrophe immédiate pour les États-Unis. L’économie du pays n’est en effet pas particulièrement exposée au commerce: services inclus, les importations ne représentent qu’environ 14% du PIB, et les exportations un peu plus de 11%. Par ailleurs, s’il était mis en œuvre efficacement, le programme de déréglementation élaboré par l’administration Trump pourrait stimuler la croissance, en libérant une vague d’investissements nationaux dans une multitude de secteurs, ainsi que dans les infrastructures.

Le reste du monde pourrait lui aussi parvenir à éviter à court terme certains des pires effets des droits de douane appliqués par Trump. Représentant 25% du PIB mondial, l’économie américaine affiche une telle envergure que des perturbations généralisées pourraient être observées, la vulnérabilité variant selon les pays et les régions. Néanmoins, tant que les autres pays (qui représentent ensemble trois quarts de l’économie mondiale) continueront de commercer librement les uns avec les autres – tout en brandissant potentiellement des droits de douane en représailles contre les États-Unis – les dégâts pourront être largement contenus.

Le Fonds monétaire international confirme cette idée, puisqu’il annonce que les droits de douane imposés par Trump impacteront principalement la croissance aux États-Unis (-0,9%), puis au Canada et en Chine (-0,6%), suivis par le Japon (-0,5%). Le FMI prévoit également une baisse de croissance de 0,5% au Royaume-Uni, ce qui ne tient toutefois pas compte de l’accord-cadre commercial récemment conclu entre les États-Unis et le Royaume-Uni. Enfin, une baisse de 0,3% tout au plus est à prévoir pour les principales économies d’Europe continentale. Pas tout à fait idéal, mais rien de catastrophique.

C’est à plus long terme que les effets de la politique tarifaire de Trump s’annoncent plus importants – et plus prévisibles. Indépendamment de leurs défauts, les États-Unis ont été considérés pendant des décennies comme un acteur mondial fiable, que ce soit en matière de commerce, de finance, de politique étrangère ou de sécurité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les dirigeants politiques et les entreprises étant désormais convaincus que l’on ne peut plus compter sur les États-Unis, ils actualisent leurs stratégies de résilience et de sécurité.

L’Europe revoit d’ores et déjà fortement à la hausse ses dépenses consacrées à la défense, en réaction à l’indifférence manifeste de l’administration Trump à la sécurité d’alliés de longue date des États-Unis. De nombreuses économies diversifieront également leurs échanges commerciaux en prenant leurs distances par rapport à l’Amérique. À titre d’illustration, dans sa négociation des révisions de l’accord États-Unis-Mexique-Canada – que Trump avait salué comme une grande victoire durant son premier mandat, mais qu’il entend désormais modifier – le Canada s’efforcera également d’élargir ses liens en matière de commerce et d’investissement, ainsi que de réduire les obstacles internes aux échanges commerciaux. Ces efforts de diversification modifieront fondamentalement la structure de l’économie mondiale.

La stabilité à long terme de l’économie et du système financier américains est également menacée, le président Trump s’acharnant en effet sur plusieurs de leurs fondements institutionnels: l’engagement pour l’ouverture des comptes de capitaux ainsi que la stabilité des prix et des finances publiques, une Réserve fédérale américaine non soumise aux pressions politiques à court terme, ainsi qu’un système juridique et réglementaire qui applique les règles et tranche les litiges de manière équitable pour les acteurs nationaux comme étrangers. Si cette tendance se poursuit, les flux d’investissements étrangers risquent de se détourner des États-Unis – une évolution précisément contraire à l’objectif affirmé par Trump.

Autre coup dur potentiel pour les perspectives à long terme des États-Unis, les meilleurs talents scientifiques et technologiques pourraient être incités à quitter le pays, compte tenu des réductions de financement imposées par l’administration Trump à la recherche fondamentale et appliquée en science et technologie, dans le cadre de ses relations tendues avec les universités concernant ce qu’elle perçoit comme un parti pris de gauche. Bien que l’on ne dispose pas encore de données complètes sur un début de fuite des cerveaux, plusieurs éléments indiquent l’envoi d’un nombre croissant de curriculum vitae vers l’Europe et l’Asie. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, invite par ailleurs aujourd’hui explicitement les chercheurs à s’installer en Europe.

La gouvernance mondiale constitue un autre domaine dans lequel les politiques de l’administration Trump produiront des effets à long terme. Certes, les institutions et les cadres multilatéraux nécessitaient une refonte bien avant l’arrivée de Trump sur la scène politique. En revanche, là où Trump serait ravi de les supprimer intégralement au profit d’accords bilatéraux, les dirigeants des autres économies développées, comme la quasi-totalité des économies émergentes, demeurent attachés à une version pratique et adaptative de l’engagement multilatéral, du moins en principe.

Par conséquent, les efforts se poursuivront en direction d’un nouveau multilatéralisme plus complexe – tenant compte de la durabilité, du commerce numérique et de celui des services, ainsi que de l’intersection entre la politique économique et la sécurité nationale – avec dorénavant une bien moindre contribution des États-Unis. Ce sont davantage l’UE et les grandes économies émergentes, en premier lieu desquelles la Chine, qui prendront les devants. Compte tenu de la dépendance des économies asiatiques au commerce avec la Chine, cet appui commun au nouveau multilatéralisme sera crucial pour éviter que le système commercial mondial ne se fragmente en blocs essentiellement régionaux.

Le rôle prépondérant des États-Unis dans les accords de sécurité en Asie compliquera ce processus, mais il n’empêchera pas le système multilatéral d’évoluer, ni l’influence américaine de décliner – et cela durablement, même si les États-Unis décident par la suite de rentrer dans le rang.

L’administration Trump semant la confusion et l’incertitude, il est compréhensible que les perturbations à court terme attirent particulièrement l’attention. Or, ces sont les effets à long terme de certaines des politiques de l’administration Trump qui se révéleront les plus significatifs, de plus grande envergure – et probablement réversibles seulement partiellement.

 

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