Tarifs douaniers: rester réactif plutôt que proactif

Jack Janasiewicz, Natixis Investment Managers

3 minutes de lecture

L’administration Trump a cité la collecte de revenus comme l’une des motivations, ainsi que la volonté de remodeler l’ordre commercial mondial.

Sont-ils appliqués? Suspendus? Retardés? Telle est la réalité des investisseurs tentant de décrypter le flot incessant de titres d’actualité pour comprendre les perspectives et l’impact des tarifs douaniers. L’éventail des incertitudes est vaste. Quelle sera l’ampleur des tarifs? Quels produits seront concernés? Y aura-t-il des exemptions? L’incertitude autour de ces questions complique davantage la prise de position sur les marchés. En conséquence, il n’est pas surprenant que ce climat pousse de nombreux investisseurs à adopter une approche réactive plutôt que proactive. Le principal risque dans ce contexte? La confiance et le sentiment commencent à s’éroder, tant au niveau des entreprises que des ménages. Ce qui n’est jamais une bonne chose pour l’économie ou les actifs risqués.

Comment devrions-nous alors penser aux tarifs douaniers? Nous avons reçu quelques indices sur la manière dont la Réserve fédérale américaine pourrait percevoir une telle politique en examinant son Teal Book de 2018. Les analystes de la Fed ont réalisé une analyse sur l’impact potentiel d’un tarif universel de 15%. Et leurs conclusions? La Fed devrait considérer les tarifs comme une hausse de prix ponctuelle, car les données montrent que l’impulsion inflationniste est transitoire (ce mot encore !). Réagir à une telle hausse ponctuelle des prix par une augmentation des taux d’intérêt accroîtrait le risque de récession, une issue peu souhaitable. Regarder au-delà des tarifs suggérait que l’inflation évoluerait peu à long terme et qu’une récession serait évitée. Cependant, cette prévision reposait sur un élément clé: le maintien des anticipations d’inflation bien ancrées. Ironiquement, le président de la Fed, Jay Powell, a noté après la réunion de décembre que certaines projections d’inflation des analystes et des membres votants de la Fed prenaient déjà en compte les effets potentiels des tarifs. D’un côté, les recherches du Teal Book suggèrent donc que la Fed devrait ignorer les tarifs, tandis que les prévisions économiques les plus récentes impliquent que plusieurs membres font exactement l’inverse!

L’objectif des tarifs douaniers est également un aspect qui mérite d’être mentionné. L’administration Trump a cité la collecte de revenus comme l’une des motivations, ainsi que la volonté de remodeler l’ordre commercial mondial. La collecte de revenus a été présentée comme un moyen de compléter les recettes fiscales sur le revenu, Trump suggérant même que les revenus issus des tarifs pourraient complètement remplacer l’impôt sur le revenu.

Sachant que les Etats-Unis importent environ 3'000 milliards de dollars de marchandises selon les derniers chiffres annuels et que les impôts sur le revenu génèrent environ 2'000 milliards de dollars, un tarif universel de 66% sur toutes les importations américaines serait nécessaire. Et cela ne prend même pas en compte les représailles commerciales et le ralentissement probable de la croissance qui résulterait d’une guerre commerciale. Ainsi, la collecte de revenus pourrait aider au financement gouvernemental, mais seulement à la marge. Restructurer l’ordre commercial mondial? C’est une ambition noble, mais qui prendrait des années à se concrétiser. Certainement pas quelque chose qui pourrait être achevé en quatre ans. Pour l’instant, considérons que les tarifs sont un outil de négociation visant à obtenir des concessions.

Jusqu’à présent, la menace des tarifs a été purement transactionnelle: menacer d’imposer une taxe à l’importation sur certains biens à moins que mes exigences ne soient satisfaites. Cette approche semble quelque peu efficace, au vu des réactions récentes. Certaines de ces concessions étaient déjà en préparation, ce qui signifie qu’elles n’en sont pas vraiment, mais certaines avancées ont bien été obtenues grâce à ces menaces. Pour l’instant, ces menaces incitent les parties à venir à la table des négociations et le président Trump obtient certains résultats. Mais à un moment donné, crier au loup avec les tarifs ne rapportera plus de concessions, et le marché devra prendre du recul pour voir si la menace est aussi importante qu’elle en a l’air. Les investisseurs semblent déjà avoir intégré une partie de ces perspectives, avec certains secteurs particulièrement exposés aux tarifs internationaux sous-performant le marché global. En outre, les marchés des devises semblent également s’être ajustés en prévision de l’éventualité de nouveaux tarifs.

Rappelons que si un tarif de 10% est appliqué aux importations mexicaines et que le peso mexicain perd 10% de sa valeur par rapport au dollar américain, alors le prix d’importation ajusté en dollars américains reste inchangé. Les marchés des devises peuvent donc s’adapter pour amortir le choc. Mais les effets de premier ordre des tarifs sont déjà difficiles à cartographier, sans parler des effets de second et troisième ordre. L’exportateur réduira-t-il le prix de ses produits soumis aux tarifs pour maintenir des prix constants? L’importateur absorbera-t-il le coût du tarif ou le répercutera-t-il sur le consommateur? Mais si l’on se concentre uniquement sur les effets de premier ordre (sans supposer de représailles ni d’effets en cascade), on peut s’attendre à une baisse des bénéfices. Plus le tarif est élevé, plus l’impact sur les bénéfices sera important. Les secteurs à vocation purement domestique en bénéficieraient – comme les services publics. En revanche, les secteurs dont les revenus dépendent des partenaires commerciaux soumis aux tarifs seraient les plus durement touchés. Ces secteurs incluraient probablement la technologie, les biens de consommation de base et les biens de consommation discrétionnaire.

Qui a attiré les foudres de Trump? Les pays affichant un important excédent commercial. La Chine, l’Union européenne et le Mexique figurent en tête de cette liste. En examinant l’Union européenne, les secteurs les plus susceptibles d’être touchés sont ceux liés à l’automobile, à la chimie et aux machines. Ces catégories représentent les plus grandes exportations de l’UE vers les Etats-Unis en pourcentage du PIB. Mais ce qui complique encore davantage la situation, ce sont les effets de second tour résultant des économies européennes orientées vers l’exportation. L’Europe tire près de 25% de ses revenus des marchés émergents, avec une part importante liée à la Chine. Par conséquent, les effets des tarifs sur les produits chinois se feront probablement ressentir aussi en Europe. Une économie chinoise affaiblie par un tarif universel sur les biens chinois signifierait un impact pour les exportateurs européens fortement exposés aux consommateurs chinois – comme les marques de luxe et l’automobile. De plus, la simple incertitude entourant la menace de tarifs pourrait commencer à peser sur le sentiment des entreprises et des consommateurs, agissant comme un frein à une croissance économique qui peine déjà à s’accélérer. Dans un scénario de double impact, en ajoutant la possibilité de représailles, il est tout à fait envisageable que les bénéfices des entreprises européennes chutent de 5 à 8%.

Réactif plutôt que proactif. Avec tant d’incertitudes entourant les tarifs et l’économie mondiale, il est difficile de se positionner de manière appropriée. Les fondamentaux sous-jacents restent favorables à la croissance des bénéfices. Mais si le sentiment et la confiance s’érodent face à la menace persistante des tarifs, ce tableau pourrait rapidement changer.

A lire aussi...