
La mauvaise réputation de la Banque du Japon
À la fin du siècle dernier, l'éclatement des bulles immobilières, financières et économiques au Japon a profondément perturbé les cycles économiques du pays, le plaçant durablement en décalage par rapport aux autres grandes nations industrialisées. Le cycle macroéconomique japonais a littéralement déraillé, tant dans son rythme (désynchronisation) que dans sa structure (déflation). Le Japon est ainsi devenu le seul pays du G7 où la croissance nominale a stagné pendant trois décennies.
Cette longue parenthèse a pris fin à la suite d’un choc extérieur – la pandémie – qui a non seulement resynchronisé la politique économique japonaise avec celle du reste du monde, mais aussi provoqué le retour durable de l’inflation. Les grands instituts supranationaux de prévision économique prévoient désormais une croissance nominale supérieure à 3% en 2024 et 2025. La dynamique du secteur privé se transforme profondément, avec des tensions inflationnistes qui s’installent durablement, comme en témoigne la hausse récente des salaires. Les attentes d’inflation à long terme, compilées par la Banque du Japon (BoJ), qui tournaient autour de +0,7% en moyenne avant la pandémie, ont grimpé ces derniers trimestres pour atteindre environ +2,5%.
Malgré la longue période de déflation, la BoJ a tout de même dû resserrer sa politique monétaire à plusieurs reprises au cours de cette période. Ce resserrement est toujours intervenu très tard dans le cycle monétaire mondial, bien après celui des grandes économies du G10. Les taux directeurs ont été relevés à trois occasions précises: au début des années 90, des années 2000, et en 2008-2009. À chaque fois, le Nikkei a chuté. Plus surprenant encore, une récession mondiale est apparue dans les mois qui ont suivi! Bien sûr, le Japon n’a pas directement provoqué ces récessions à l’échelle internationale, mais on peut légitimement remettre en question la qualité du jugement de la Banque du Japon et, à tout le moins, noter son faible sens du timing!
Dénouement du Yen carry trade et Volmageddon 2.0
L’histoire ne se répète jamais exactement de la même manière. La bulle spéculative qui s’est formée au Japon entre 1986 et 1990 concernait principalement les actions et l’immobilier. Elle était largement due au rapatriement rapide de capitaux japonais depuis les États-Unis, suite à la forte dépréciation du dollar après les accords du Plaza. Or aujourd’hui, c’est le marché obligataire japonais, quasiment nationalisé par la politique de contrôle de la courbe des taux (YCC), ainsi que l’effondrement du yen, qui posent problème.
Dans un premier temps, le Nikkei s'est retrouvé au cœur de la tempête suite aux premiers resserrements de taux de la BoJ, mais les grands investisseurs institutionnels internationaux, notamment aux États-Unis, qui spéculaient sur la volatilité, ont également été touchés par un effet domino. Ceux opérant à crédit ont particulièrement souffert de l'augmentation de la volatilité observée sur différents actifs au cours de l'été. Face à cette situation, la BoJ a rapidement réagi en tentant d'atténuer l'impact et la rapidité de la normalisation de sa politique monétaire. Cette volte-face a été bien accueillie par les actifs risqués à l'échelle internationale, qui ont aussitôt rebondi. De plus, le pivot de la Fed, amorcé en septembre afin de préserver l’économie des Etats-Unis, ainsi que les baisses de taux à venir, pourrait réduire le différentiel de taux Japon-US dans les prochains mois. Cela signifie-t-il que les actifs risqués sont à l’abri d’une nouvelle correction? Pour un court moment, probablement.
Mais n’oublions pas que les élections américaines approchent. Et que si les Républicains parviennent à remporter la Maison Blanche, le dollar pourrait alors reprendre sa montée face au yen japonais. À moyen terme, le Japon devrait également être contraint de normaliser sa politique monétaire, le maintien de ses taux directeurs en territoire négatif en termes réels dans le contexte économique actuel ne faisant aucun sens. Après la forte secousse sur le marché actions japonais, c’est bien le marché obligataire japonais qui pourrait, à son tour, être chahuté.