
Certes, le résultat des élections européennes en France a bouleversé la vie démocratique du pays, mais le centre de gravité du Parlement européen n’a, finalement, pas beaucoup bougé. Doit-on pour autant s’attendre à ce que les réformes s’enlisent, tardent, comme c’est souvent le cas sur le vieux continent? Probablement pas. Comme l’avait annoncé en son temps Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), le prochain exécutif européen doit plutôt se préparer à des bouleversements importants. D’une durée de cinq ans, le mandat européen qui se profile devrait être celui du «changement radical». Deux grands thèmes sont déjà identifiés: stimuler la compétitivité européenne d’une part, et accélérer la consolidation de l’industrie européenne de la défense d’autre part. S’ajoutera la sempiternelle question de l’élargissement, également au centre des futures décisions.
Compétitivité énergétique: le nerf de la guerre
L’Europe commence à riposter au mercantilisme chinois en instaurant des droits de douane sur les produits subventionnés, notamment dans les secteurs des énergies renouvelables et des véhicules électriques. Mais face à une Chine qui a affiné sa stratégie pour dominer ces industries, cette réaction tardive, bien que nécessaire, manque de vigueur. Les experts estiment que ces mesures ne suffiront pas à rétablir l’équilibre dans la compétition mondiale.
Au cours de la dernière décennie, l’Europe s’est efforcée de se positionner en leader mondial sur les questions climatiques et énergétiques. A titre d’exemple, la loi européenne sur le climat vise une réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, l’hydrogène est promu comme solution d’avenir, et la Banque centrale intègre les critères ESG dans ses investissements. Malgré ces engagements et ces ambitions affichées, les résultats concrets tardent à se manifester.
Pendant ce temps, la Chine investit massivement dans la recherche, notamment dans le nucléaire de nouvelle génération, avec une avance significative dans la technologie du Thorium. Pékin se prépare ainsi à rivaliser à long terme avec les Etats-Unis, qui profitent de prix de l’énergie ultra-compétitifs grâce à la révolution du gaz de schiste.
L’Europe a bel et bien entamé un virage vertueux en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de politique énergétique. Cependant, dans sa forme actuelle, cette transition risque d’aggraver son déficit de compétitivité face aux Etats-Unis et à la Chine, qui avancent à grands pas dans ces domaines.
Le serpent de mer de la défense européenne
Malgré la coopération au sein de l’OTAN, les tentatives de créer une défense européenne unifiée ont longtemps échoué, en raison de la frilosité de certains pays du Nord, du faible niveau d’investissements, et de la fragmentation de l’industrie de la défense. La guerre en Ukraine a révélé les graves lacunes en matière de production d’équipements militaires, provoquant un électrochoc. La perspective d’un retour de Trump et les risques d’affaiblissement de l’OTAN ont fini de convaincre les plus réticents. Désormais, des pays comme la Pologne et certains Etats scandinaves montrent l’exemple, tandis que les entreprises de l’UE commencent enfin à collaborer pour équiper les armées de manière coordonnée.
En dépit d’un départ tardif, l’urgence géopolitique a finalement éveillé une volonté politique et l’amorce d’une vision stratégique commune. Les défis pressants forcent les acteurs à s’unir, ouvrant la voie à une réponse collective, bien que le chemin reste long.
Implications économiques et financières
Habituellement, la (géo)politique a peu d’impact sur l’évolution macro-économique et des marchés. Cependant, dans les années à venir, en Europe, elle pourrait influencer de manière plus marquée les déficits ainsi que la compétitivité des entreprises cotées, tout en affectant indirectement la politique monétaire de la banque centrale. Ce contexte explique en partie la décote actuelle des actifs risqués européens et de certains secteurs.
Néanmoins, la stabilité de l’euro et les «spreads» de crédit raisonnables montrent que les investisseurs internationaux ne prévoient pas les pires scénarios. L’Europe devrait continuer à offrir des opportunités d’investissement intéressantes à des niveaux de valorisation attractifs. Une hypothétique résolution du conflit en Ukraine pourrait même provoquer un fort effet de rattrapage des actifs européens.