US-Chine: du dérisquage au découplage

Patrick Zweifel, Pictet Asset Management

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Face aux subventions chinoises, les droits de douane ne sont pas la bonne réponse; il serait judicieux pour l'UE d'explorer une approche alternative.

À la mi-mai, l'administration Biden a annoncé l’augmentation des droits de douane sur une gamme de produits fabriqués en Chine, principalement issus de leurs industries vertes. Les Etats-Unis justifient cette mesure par les importantes subventions que la Chine accorde à ces industries, créant ainsi une distorsion de la concurrence internationale et menaçant les industries américaines et les emplois associés.

Il est généralement admis que les droits de douane ne sont pas une solution optimale. Pour rappel, les premiers accords commerciaux internationaux, signés à Genève en 1947 et proposés par les États-Unis, ont été mis en place pour éviter de répéter les erreurs des politiques protectionnistes des années 1930 qui ont aggravé la Grande Dépression.

Les théories économiques suggèrent que bien que les droits de douane puissent effectivement encourager la production domestique grâce à des prix plus élevés, cette augmentation de production ne compense pas la réduction des importations, diminuant ainsi le bien-être global des consommateurs qui se retrouvent à payer plus cher pour moins de produits.

De plus, les taxes sont souvent inefficaces car elles peuvent être contournées. Il existe de nombreux exemples où les entreprises ont légèrement modifié leur production pour éviter les droits de douane, comme Honda avec ses motos de 699cc pour esquiver la taxe américaine sur les motos de plus de 700cc dans les années 1980. Pour contourner les taxes imposées par Trump en 2018, les entreprises chinoises reroutent leurs exportations via le Mexique ou le Vietnam.

En l'absence d'une taxe carbone mondiale reflétant les véritables coûts sociaux des émissions de carbone, l'urgence climatique justifie l'utilisation de subventions comme alternative aux taxes. 

Enfin, les droits de douane entraînent le plus souvent des représailles, nuisant encore une fois aux consommateurs et risquant d’escalader en une guerre commerciale.

Economiquement, justifier de telles taxes est difficile. Le seul argument valable serait la préservation et la création d'emplois, à condition que ces taxes protègent effectivement les secteurs concernés et que l’on soit prêt à payer un coût élevé. Permettre aux entreprises chinoises d'investir et de produire aux États-Unis serait aussi créateur d'emplois.

L'introduction de ces taxes se justifie surtout politiquement. Domestique d’abord, puisqu’elle permet à Biden de gagner la faveur des électeurs des États les plus affectés par la concurrence chinoise, qui sont souvent des États pivots dans les élections présidentielles. Géopolitique ensuite, puisqu’il est question de la dominance dans les secteurs stratégiques de demain tels que les semi-conducteurs et les énergies renouvelables.

En l'absence d'une taxe carbone mondiale reflétant les véritables coûts sociaux des émissions de carbone, l'urgence climatique justifie l'utilisation de subventions comme alternative aux taxes. L'expansion rapide de la Chine dans le domaine des technologies propres a significativement réduit les coûts, rendant les énergies renouvelables plus accessibles à l'échelle mondiale. Tandis que certains plaident en faveur de droits de douane compensatoires pour sauvegarder les emplois et les industries domestiques, d'autres estiment que ces mesures sont souvent plus préjudiciables qu'avantageuses pour la santé économique globale1.

La Chine, pour sa part, a déposé une plainte à l'OMC pour concurrence déloyale, invoquant le principe économique des avantages comparatifs. Selon ce principe, chaque pays gagne à se spécialiser dans la production de biens pour lesquels il a un coût relativement plus faible, favorisant ainsi un échange mondial mutuellement avantageux. Cet argument est valable, mais il fonctionne dans les deux sens. Par conséquent, la Chine devrait également importer plus de biens pour lesquels elle a un avantage comparatif moindre. Cependant, la Chine continue d'accumuler des excédents commerciaux en raison d'une demande intérieure trop faible. La consommation des ménages chinois représente moins de 40% du PIB, tandis qu'elle atteint près de 70% aux États-Unis. La perception occidentale est que la Chine n'exporte pas seulement son surplus de capacité, mais aussi son incapacité à rééquilibrer son économie intérieure. Ce problème est connu depuis longtemps, tout comme sa solution. Lorsque le gouvernement chinois prendra en charge de manière plus adéquate la sécurité sociale et les coûts de l'éducation, les ménages chinois cesseront d'épargner autant.

L’Europe est encore indécise quant à l’attitude à adopter à l’égard de la Chine, mais elle pourrait adopter une approche plus conciliante. Cela ne découle pas tant d’une préoccupation accrue pour le bien-être mondial, mais plutôt du fait qu’elle aurait beaucoup plus à perdre que les Etats-Unis en cas de représailles chinoises. De plus, l’Europe accorde moins d’importance à la dimension géopolitique.

Afin de préserver un monde multilatéral et d’accélérer la transition énergétique, il est clair que l’augmentation des droits de douane n’est pas la bonne solution. Nous espérons que l’Europe choisira une voie différente en juillet.

 

1 Dani Rodrik développe brillamment ce point dans un article de Project Syndicate, repris par Allnews.ch ici.
 

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