Dollar: vers un long passage à vide

Yves Hulmann

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Le billet vert peinera à remonter au-delà de 0,90 franc par dollar. La devise helvétique devrait rester stable face à l’euro, selon les experts interrogés.

©Keystone

Il faut remonter à janvier 2015, soit juste après l’abandon du taux plancher entre le franc suisse et l’euro, pour retrouver une phase où le dollar a été aussi faible qu’aujourd’hui par rapport à la monnaie helvétique. La dépréciation du billet vert face à la monnaie helvétique a été spectaculaire durant le mois de juillet: son cours est passé de 0,9 franc par dollar fin juin à 0,856 jeudi matin, avant de stabiliser à 0,866 franc vendredi après-midi. Depuis le début de l’année, le billet vert a perdu 6,3% de sa valeur face à la monnaie helvétique. Par rapport à l’euro, le greenback s’est aussi déprécié de près de 4% depuis début janvier.

La correction subie par le billet vert ces derniers mois a-t-elle été exagérée? Pour Claudio Wewel, docteur en économie et spécialiste des marchés des devises chez J.Safra Sarasin, il faut s’attendre à ce que l’économie globale continue de s’affaiblir au cours des prochains mois, ce qui pourrait soutenir quelque peu le dollar face aux autres devises. Vis-à-vis de la monnaie helvétique, le potentiel d’appréciation du billet vert apparaît cependant limité aux yeux du stratège: «Par rapport au franc suisse, le mouvement de hausse du dollar devrait être plutôt modéré. Nous n’anticipons pas que le billet vert s'apprécie significativement au-delà de 0,90 franc par dollar».

Le franc s’appréciera quand l’attention des marchés se concentrera sur les futures baisses de taux de la Fed.

Par ailleurs, même si J. Safra Sarasin anticipe encore deux tours de vis supplémentaires de 0,25% du côté de la Réserve fédérale américaine au cours de cette année, la BNS devrait, elle, aussi relever son taux directeur d’un quart de point pour le porter à 2% en septembre. Le différentiel de taux ne s’accentuera ainsi que faiblement en faveur du dollar ces prochains mois. Ensuite, la perspective d’une baisse des taux directeurs aux Etats-Unis risque de peser davantage dans la balance: «Il est probable que le franc s'apprécie encore nettement face au dollar américain dès lors que les marchés concentreront leur attention sur les futures baisses de taux de la Fed», analyse Claudio Wewel.  

Proche d’un plancher

Le mouvement actuel des devises correspond avant tout à une faiblesse du dollar, estime de son côté Thomas Gitzel, chef économiste chez VP Bank. «Après la publication du dernier taux d'inflation américain pour le mois de juin, les marchés ont pris conscience que la Fed allait probablement procéder à sa dernière hausse de taux en juillet. Le dollar a ainsi subi un accès de faiblesse global. Nous pensons qu'il peut encore y avoir un peu de faiblesse du dollar, mais nous devrions être déjà proche du plancher», évalue l’économiste.

L’euro devrait rester stable aux environs de 0,95 franc ces prochains mois.

Que faut-il attendre quant à l’évolution du cours de l’euro par rapport au franc? Dans ses prévisions de début juillet, J. Safra Sarasin prévoyait un cours euro/franc situé à 0,96 sur trois mois (soit pratiquement le niveau affiché vendredi après-midi), puis de 0,95 à un horizon de douze mois. Le cours de la devise helvétique devrait se maintenir dans une fourchette située entre 0,95 et 0,98 franc par euro durant les prochains mois, anticipe Thomas Gitzel. L’économiste de VP Bank estime néanmoins que si l’euro devait continuer à s’apprécier sur le plan mondial face à d’autres devises, une poussée de la monnaie commune jusqu’à 1,02 franc par euro est tout à fait envisageable. Dans l’ensemble, l’économiste s’attend plutôt à une évolution «tout à fait ennuyante» du cours euro contre franc ces prochains mois.

Quid de l’euro contre dollar?

Quant à l’évolution du dollar face à l’euro, la plupart des experts des marchés des devises ne s’attendent pas à un rebond spectaculaire du billet vert. Alors qu’il fallait débourser 1,05 dollar pour un euro en janvier, la devise européenne s’échangeait à 1,113 dollar par euro vendredi, après avoir frôlé 1,13 dollar par euro en milieu de semaine. C’est proche du niveau de 1,12 dollar par euro qui était attendu par Lombard Odier à un horizon d’un an. «Nous nous attendons à ce que le taux de change de l’euro-dollar évolue dans une fourchette comprise entre 1,06 et 1,10 dans les mois à venir, avant d’atteindre un niveau de 1,12 dans un an», écrivait fin mai Samy Chaar, économiste en chef chez Lombard Odier dans un commentaire.

Une forte aversion au risque pourrait profiter au billet vert

Reste que certains analystes rappellent aussi que le billet vert pourrait retrouver les faveurs des investisseurs en cas de détérioration très marquée de la conjoncture mondiale. Ce serait par exemple le cas si le ralentissement conjoncturel en fin d’année devait s’avérer beaucoup plus abrupte que le scénario d’«atterrissage en douceur» souhaité par les banques centrales. En effet, en périodes d’incertitudes, le dollar tend généralement à retrouver son statut de valeur refuge. C’est ce que des économistes décrivent sous le nom du «Dollar Smile»: quand la conjoncture mondiale tourne à plein régime, le dollar s’apprécie sur fond de reprise de l’économie américaine, notamment en raison de la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis. Quand celle-ci ralentit, le billet vert perd alors peu à peu de son élan face aux autres monnaies. En revanche, si les choses tournent vraiment mal, le dollar tend alors à s’apprécier à nouveau en raison de l’aversion au risque plus marquée chez les investisseurs qui préfèrent se défaire de leurs placements dans des devises jugées risquées pour les rapatrier en dollars.

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