Aux Etats-Unis, l’idée de bannir les crypto-actifs n’est plus un sujet!

Yves Hulmann

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Pour Samir Kerbage, CIO de Hashdex, les discussions en matière de régulation portent désormais sur l’encadrement des intermédiaires, non plus sur les cryptomonnaies.

Quel bilan peut-on tirer du semestre qui vient de s’achever en ce qui concerne les cryptomonnaies et crypto-actifs? Le point avec Samir Kerbage, directeur des investissements (CIO) chez Hashdex.

Après un recul continuel jusqu’à fin décembre, l’année 2023 a marqué une inversion de tendance complète pour l’évolution des cours du Bitcoin et d’autres cryptomonnaies ou crypto-actifs. Comment analysez-vous le gain de plus 80% du cours du Bitcoin durant le premier semestre 2023?

Il vaut la peine de prendre un peu de recul et de replacer les importantes fluctuations des cours des cryptomonnaies et crypto-actifs observées ces dernières années dans le contexte de l’adoption d’autres nouvelles technologies. Les crypto-actifs constituent un nouveau paradigme technologique et il faut garder à l’esprit que l’on se trouve encore relativement tôt dans l’évolution de cette technologie. Avec toute nouvelle technologie, il est normal d’avoir des cycles – qui vont de l’enthousiasme initial, parfois exagéré, à des phases de désillusion. Cela a pu être observé aussi bien avec l’arrivée d’Internet et de l’e-commerce au tournant du millénaire, avec l’apparition des crypto-actifs au cours de la dernière décennie ou plus récemment avec l’envolée des cours des entreprises associées à l’essor de l’intelligence artificielle, par exemple.

Au-delà des cycles inhérents aux développements de ces innovations, il faut aussi tenir compte des changements du contexte macro-économique depuis l’an dernier. Jusqu’à la fin de 2021, l’environnement de taux d’intérêt très bas, voire négatifs, a largement favorisé les investissements dans les technologies. Ensuite le mouvement s’est inversé en 2022 avec l’accélération rapide de l’inflation, puis la guerre en Ukraine. A partir de 2023, l’environnement macroéconomique est apparu plus stable, bien qu’encore difficile.

Dans ce contexte, il est apparu que l’évolution des crypto-actifs était bel et bien corrélée à l’environnement macro-économique ainsi qu’aux investissements technologiques. L’hypothèse d’une dé-corrélation complète des crypto-actifs avec d’autres actifs a été contredite. Au contraire, le rebond des cours entamé en début d’année est survenu au même moment que la reprise des valeurs technologiques.

«Avec toute nouvelle technologie, il est normal d’avoir des cycles qui vont de l’enthousiasme initial, parfois exagéré, à des phases de désillusion.»
Comment expliquez-vous plus spécifiquement le net rebond des crypto-actifs des cours du Bitcoin durant la seconde moitié de juin?

Je crois qu’il y a un lien évident avec les annonces effectuées par de grandes sociétés de gestions d’actifs comme Fidelity et surtout Blackrock qu’elles allaient développer des produits en lien avec le Bitcoin et d’autres crypto-actifs. Le message reçu par la communauté des investisseurs a été clair: le Bitcoin est désormais là pour rester.

Comment expliquez-vous la volatilité toujours très marquée des crypto-actifs, alors que les marchés d’actions ont évolué de façon plutôt calme récemment?

Cette forte volatilité est le reflet d’un champ de tension: d’un côté, vous avez les développements technologiques qui évoluent de façon positive. De l’autre, il y a l’environnement macroéconomique qui demeure plus incertain. C’est la tension entre ces deux aspects qui créée la volatilité. Dans l’ensemble, il y a de bonnes conditions pour qu’un nouveau marché haussier se mette en place.

Quelles sont vos attentes concernant l’évolution de la régulation encadrant les crypto-actifs?

Ici aussi, je pense qu’une clarification du cadre réglementaire en lien avec les crypto-actifs est un aspect favorable. Dans l’UE, les nouvelles règles sur les marchés de crypto-actifs, appelées MiCA en anglais, adoptées par le Conseil de l’Europe en mai apporteront davantage de clarté pour les fournisseurs de prestations en lien avec les actifs numériques. Au Royaume-Uni, la FCA travaille aussi sur de nouvelles règles en lien avec ce domaine, tout comme c’est le cas aussi à Hongkong en Asie. Sans oublier bien sûr la Suisse où existe un cadre réglementaire déjà très développé en lien avec les crypto-actifs qui a permis le développement d’une offre d’ETP en lien avec les crypto-actifs. Aussi bien au Brésil, où les ETF sur crypto-actifs sont accessibles, qu’en Suisse, il y a désormais une régulation innovante pour encadrer les crypto-actifs.

Et qu’en est-il des Etats-Unis où les autorités ont souvent donné l’impression d’être plus restrictives vis-à-vis des cryptomonnaies, notamment suite à l’effondrement de la plateforme FTX à l’automne 2022?

C’est en partie le cas. Toutefois, une fois que ces règles ont été édictées, elles permettent aussi d’avoir une meilleure visibilité au sujet des crypto-actifs. A ce sujet, il y a une évolution importante que l’on peut constater aux Etats-Unis en matière de régulation des crypto-actifs: l’essentiel des discussions ont porté sur l’encadrement des intermédiaires – mais non pas sur les crypto-actifs elles-mêmes. Début juin, la SEC a par exemple annoncé intenter des poursuites à l’encontre de Binance et de Coinbase. En revanche, elle n’a remis en question l’existence du Bitcoin ou d’autres crypto-actifs. Aux Etats-Unis, l’idée de bannir les crypto-actifs n’est plus un sujet ! Il y a quelques années encore, on entendait souvent dire que les crypto-actifs étaient soit destinées aux geeks ou détournées pour effectuer toutes sortes d’activités criminelles – maintenant, on discute de savoir comment la régulation doit encadrer les crypto-actifs. Il s’agit d’une évolution importante.

Il y a des discussions qui reviennent régulièrement au sujet des stablecoins, soit des «cryptomonnaies stables» adossées aux monnaies classiques comme le dollar, le franc ou l’euro, ou de monnaies numériques directement pilotées par les banques centrales. Que pensez-vous du projet évoqué fin juin par la Commission européenne de mettre sur pied un «euro numérique», possiblement à partir de 2027 ou de 2028?

Les stablecoins représentent un nouveau mode de paiement qui permet un règlement en temps réel et des transactions programmables, offrant efficacité et élimination des intermédiaires. Cependant, il est crucial de réglementer les émetteurs de stablecoins afin de protéger les utilisateurs contre une mauvaise utilisation des garanties des actifs. En ce qui concerne le projet de la Commission européenne pour un euro numérique, la proposition suggère une approche qui soit intermédiée par le biais de prestataires de services de paiement. Bien qu'il vise à protéger la stabilité financière, l'euro numérique fait défaut en termes de programmabilité, ce qui pourrait réduire son attrait par rapport aux stablecoins privés qui exploitent la technologie de la blockchain. Des détails supplémentaires sur la technologie utilisée et la compatibilité avec les réseaux de blockchain publics sont attendus. Une approche globale est nécessaire pour établir une infrastructure financière basée sur la blockchain, y compris des considérations sur les mouvements de fonds et les marchés de capitaux.

Quels sont les projets actuels de Hashdex sur le marché suisse ou en Europe et à quelles solutions s’intéressent vos clients actuellement?

Nous continuons de développer notre offre de produits indiciels. De manière générale, l’état d’esprit de la clientèle et du marché est très différent de celui qui prévalait encore en décembre dernier suite aux déboires de FTX aux Etats-Unis. Les discussions sont beaucoup plus orientées vers l’avenir. Je pense que c’est un bon moment pour venir sur le marché avec de nouveaux produits et solutions d’investissements.

Nos efforts se concentrent actuellement sur trois axes clés. Premièrement, il s’agit de la formation et de l’amélioration des connaissances de la clientèle en lien avec les crypto-actifs. Deuxièmement, de la gestion des risques en lien avec cette classe d’actifs. Troisièmement, des stratégies qui peuvent être mises en place par les investisseurs. Le message ici est que les crypto-actifs ne sont plus des actifs réservés aux spéculateurs qui agissent à très court terme. Au contraire, nous voulons aider nos clients à pouvoir tirer parti du potentiel des crypto-actifs dans une perspective de long terme. 

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