L’once d’or à 2100 dollars d’ici le début de 2024?

Yves Hulmann

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Au terme des présentations des stratégistes pour le 2e semestre, plusieurs tendances se dégagent pour profiter d’une croissance atone et d’une inflation persistante.

©Keystone

Perte d’élan, décélération, ralentissement, récession. Au cours des derniers mois, toutes sortes de termes ont été utilisées pour décrire les différents scénarios possibles concernant l’évolution de la conjoncture en seconde partie d’année. Selon Raiffeisen, l’inflation a certes déjà dépassé son pic mais, étant donné que les taux sous-jacents se maintiennent un peu partout au-dessus des objectifs d’inflation des banques centrales, il faut s’attendre à ce que ces dernières poursuivent leur politique monétaire restrictive pendant un certain temps, anticipe la banque dans ses perspectives de placement pour le deuxième semestre présentées début juillet.

Des signaux clairs de récession

Les indicateurs conjoncturels avancés, en particulier ceux de l’industrie, envoient maintenant des signaux clairs de récession, n’hésite pas à avancer Matthias Geissbühler, directeur des investissements chez Raiffeisen Suisse. Pratiquement, Raiffeisen anticipe une croissance du produit intérieur brut (PIB) suisse limitée à 1% en 2023 et qui devrait encore ralentir à 0,8% en 2024. En revanche, notre pays devrait être l’un des premiers en Europe à voir l’inflation reculer nettement en dessous de la marque des 2%, avec un renchérissement qui passera de 2,5% cette année à 1,4% l’an prochain. Dans ses prévisions publiées mercredi, UBS se montrait un peu plus optimiste concernant la croissance helvétique l’an prochain: après une hausse du PIB limitée à 0,9% en 2023, celle-ci devrait s’accélérer à nouveau pour atteindre1,3% en 2024.

«Croissance faible et inflation aux Etats-Unis, les conditions de la stagflation sont réunies, et cela depuis déjà 18 mois.»

Dans la zone euro, l’économie, déjà atone cette année avec une croissance estimée à seulement 0,5%, pourrait glisser en territoire légèrement négatif (-0,1%) l’an prochain, prévoit Raiffeisen. L’OCDE se montre, elle, plus optimiste: l’organisation anticipe une ré-accélération de la croissance du PIB de la zone euro à 1,5% en 2024, après 0,9% cette année.

Etats-Unis: vers une période de stagflation?

Au cours des prochains mois, tous les regards resteront tournés vers les Etats-Unis où la croissance du PIB devrait ralentir à 1,6% en 2023 selon les prévisions de l’OCDE, puis à 1% en 2024. L’inflation globale devrait être ramenée à 3,9% cette année aux Etats-Unis, puis à moins de 2,6% l’an prochain. Publiés mercredi, les chiffres de l’inflation américaine pour le mois de juin, qui est redescendue à 3,0% sur un an contre 4% en mai, allaient dans le sens d’une poursuite de la diminution du renchérissement outre-Atlantique. Cela suffira-t-il? Le scénario d’une décélération graduelle de la croissance de l’économie américaine, qui permettrait de faire diminuer l’inflation tout en évitant un ralentissement trop brutal de la conjoncture, ne convainc pas tout le monde.

James Perry, CIO de Perry International Capital Partners, redoute un scénario de stagflation outre-Atlantique: «Aux Etats-Unis, la croissance annuelle ne devrait pas dépasser 1% cette année, alors que l’inflation reste supérieure à 4,5% et va en augmentant. Croissance faible et inflation, les conditions de la stagflation sont réunies, et cela depuis déjà 18 mois», déclare le directeur des investissements à Allnews.ch. «La Fed devrait encore relever les taux prochainement, comme toutes les banques centrales des pays développés, rongés par leurs dettes publiques. En fin d’année, les taux des bons du Trésor devraient se trouver au-dessus de 6%. On attendait une récession mais elle ne se produit pas parce que la liquidité - celle créée sur les dix dernières années par les banques centrales - ne tarit pas et qui dit liquidité, dit hausse des actifs financiers», résume James Perry.

Actions: les secteurs défensifs privilégiés

Un des paradoxes de la situation actuelle, caractérisée par des attentes très prudentes concernant la conjoncture et une forte remontée des principaux indices boursiers, est que rien n’est parvenu à entraver le mouvement de hausse qui s’est mis en place au début de cette année. Les marchés des actions ne se laissent pas impressionner par un environnement plus risqué, observait aussi la Banque cantonale St-Gall (SGKB). Arguments évoqués: les taux d’inflation baissent, la fin du cycle de hausse des taux est en vue et l’économie a des chances de pouvoir se reprendre en seconde moitié d’année.

Les niveaux d’évaluation atteints préoccupent néanmoins certains stratèges. «Le marché des actions aux Etats-Unis est cher aussi bien d’un point de vue historique que relatif», considère Melda Mergen, responsable globale pour les actions chez Columbia Threadneedle, qui s’exprimait lors d’une vidéo-conférence début juillet. Les actions américaines apparaissent toutefois moins chères sur la base des évaluations du cash-flow libre – avec des multiples très inférieurs à ceux qui avaient été observés juste avant la crise financière ou au début des années 2000, nuance-t-elle.

Les perspectives au sujet de l’IA divisent

Suite à la remontée des marchés au cours des derniers mois, Raiffeisen observe que les avancées actuelles en bourse ne reposent pas sur une large assise. «La reprise est portée par quelques actions seulement, dont la valorisation a nettement grimpé. L’engouement autour de l’intelligence artificielle a surtout donné un gros coup de pouce aux grands titres technologiques américains», fait remarquer Matthias Geissbühler. Dès lors, il vaut mieux selon lui privilégier les titres de secteurs défensifs comme l’alimentation, la santé et les biens de consommation à usage quotidien. Dans le contexte mondial, cela plaide en principe en faveur du marché helvétiques des actions, ajoute le responsable des investissements chez Raiffeisen.

Quelque peu relégué au second plan en première moitié d’année, l’or reste recommandé en tant qu’élément de diversification.

Carmignac abondait dans le même sens: «Le ralentissement économique nous incite à favoriser les valeurs et les secteurs défensifs», relevait le gérant d’actifs français qui identifie plus particulièrement des opportunités dans des secteurs tels que la santé, la consommation mais aussi dans les valeurs technologiques. «Les avancées de l’intelligence artificielle (IA) et le virage vers le contrôle des coûts renforce l’attrait du secteur qui tend à bien se comporter dans un contexte de baisse des taux d’intérêt à long terme et de ralentissement économique», analyse Kevin Thozet, membre du comité d’investissement chez Carmignac dans une note.

Interrogée au sujet des développements en lien avec l’intelligence artificielle, Melda Mergen de Columbia Threadneedle ne peut toutefois s’empêcher de tirer des parallèles entre l’engouement actuel pour l’IA et celui pour les valeurs liées à l’Internet au tournant du millénaire. «On retrouve dans l’IA aussi un peu de la même histoire qu’avec l’essor de l’Internet durant les années 1998 et 1999», met-elle en perspective.

Les obligations redeviennent incontournables

Dans leurs perspectives pour le second semestre, beaucoup d’instituts soulignent l’attrait retrouvé des obligations. «Au niveau actuel des taux, les obligations d’Etats et d’entreprises solides sont attractives et offrent de nouveau une option intéressante de placement dans des portefeuilles diversifiés», considère Matthias Geissbühler. Le CIO de Raiffeisen accorde sa préférence aux obligations de qualité investissement (IG) mais se montre plus prudent au sujet des emprunts à haut rendement, estimant que les écarts de crédit reflètent trop peu les risques accrus de récession.

Daniel Rempfler, responsable du marché des obligations chez Swiss Life, relève aussi que les obligations sont redevenues intéressantes en tant que classe d’actifs. Il observe du reste qu’un certain nombre d’investisseurs ont réduit leurs placements dans les actifs réels pour revenir sur le marché des obligations. De plus, la décorrélation entre les marchés des actions et ceux des obligations devrait à nouveau fonctionner à l’avenir, contrairement à ce qui s’est passé en 2022. Par ailleurs, ajoute Daniel Rempfler, seules les obligations tiennent déjà compte d’une possible récession. «Les marchés des actions n’intègrent, eux, pas un scénario de récession dans leur prix», observe-t-il.

L’or à plus de 2000 dollars l’once?

Quelque peu relégué au second plan en première moitié d’année, l’or reste recommandé en tant qu’élément de diversification. L’or offre une bonne protection contre l’inflation et les crises, estime Raiffeisen. Lombard Odier considère aussi que l’or dispose encore d’un potentiel d’appréciation: «Nous pensons que l'or peut faire face aux vents contraires économiques, notamment des taux durablement plus élevés. Nous estimons que son cours pourrait atteindre 2'100 dollars l’once d'ici le début de 2024, soutenu par un pic des taux réels américains, un affaiblissement du dollar américain et une robuste demande de la part des investisseurs, des banques centrales et des consommateurs», estime Christian Abuide, responsable de la l’allocation d’actifs chez Lombard Odier dans un commentaire publié début juillet.

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