Réglementation: il faut persévérer dans ses efforts

Ophélie Mortier, DPAM

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Doit-on craindre un ralentissement des progrès de l’investissement responsable suite au report de réunions internationales telles que la COP 26?

L’évolution de la réglementation concernant l’investissement responsable pourrait être freinée, ce qui mettrait en péril les ambitions internationales en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Il convient toutefois de distinguer les progrès réglementaires concernant l’investissement durable de ceux qui touchent plutôt les entreprises et les pouvoirs publics. De même, il faut dissocier les ambitions européennes des ambitions internationales.  Pour ce qui est de ces dernières, la situation actuelle incite au pessimisme.

La Chine a fait marche arrière sur le plan environnemental afin de retrouver un rythme de croissance normal le plus rapidement possible. Aux Etats-Unis, l’évolution dépendra probablement plus des différents états que des ambitions du président. En l’Europe, la situation est mitigée. D’une part, les déclarations en faveur du maintien du «Pacte Vert» (Green Deal) au cœur du plan de relance se sont multipliées, mais d’autre part, le soutien apporté par la BCE, notamment au travers de son programme de rachat d’obligations, ne semble guère différer de celui consenti durant la présidence de Mario Draghi. Or les programmes de ce dernier avaient été fortement contestés, car contraires aux objectifs environnementaux et climatiques de l’Union européenne. 

La dernière directive sur les obligations d’information liées à la durabilité dans
les services financiers aura un impact significatif sur l’intégration des facteurs ESG. 

En ce qui concerne la réglementation des investissements durables, la taxonomie de la Commission européenne est bien établie et la dernière directive concernant les obligations d’information liées à la durabilité dans le secteur des services financiers (Sustainable disclosure regulation) aura un impact significatif sur l’intégration des facteurs ESG. 

Le Pacte Vert, au cœur de la relance dans l’UE

Le 28 novembre 2019, le Parlement européen a adopté une résolution déclarant l’urgence climatique et environnementale en Europe et dans le monde. Puis en décembre 2019, le Conseil européen a publié des propositions concernant les moyens de parvenir à la neutralité climatique pour l’UE d’ici 2050. En novembre de cette même année, la Banque Européenne d’Investissement (BEI) communiquait sa stratégie d’investissement dans laquelle elle s’engageait à aligner sa politique de financement sur les objectifs de l’Accord de Paris dès 2020. Elle envisageait notamment de cesser d’investir dans les projets liés aux énergies fossiles dès 2021. Il reste donc à s’assurer que le soutien de la BCE en faveur de la relance de l’économie ne vienne pas saper les efforts de la BEI en matière de durabilité. Il faudrait éviter d’arriver à une situation dans laquelle la BEI exclurait les pratiques et activités économiques non durables alors que ces dernières seraient subventionnées par la banque centrale au motif de relancer l’économie.

Le Pacte Vert vise à atteindre la neutralité climatique dès 2050 et il invite l’UE à relever ses ambitions en la matière. C’est dans ce contexte que la Commission européenne a publié sa «stratégie renouvelée sur la finance durable», laquelle représente la suite de son plan d’action pour une finance durable de 2018 et s’inscrit dans le cadre du Pacte Vert.

A l’heure actuelle, les détails de ce pacte ne sont pas encore connus, mais il est certain que son impact sur les différents secteurs de l’économie sera très important. Le pacte s’articule autour de quatre axes principaux: 1) la fixation d’un prix adéquat pour les émissions de carbone ainsi que l’élaboration d’un mécanisme d’ajustement pour les émissions importées et exportées; 2) l’adoption d’une loi climatique européenne qui vise la neutralité climatique pour 2050; 3) la fixation d’objectifs de décarbonisation de plus en plus ambitieux d’ici à 2030 (la réduction des émissions de carbone passe de 40% à un minimum de 50-55%); 4) la promotion de l’économie circulaire, notamment au travers du projet «de la ferme à la table» pour le secteur agroalimentaire.

Il est évident que le secteur public ne sera pas en mesure de répondre
tout seul à ces besoins, surtout dans le contexte actuel de la crise.

Les investissements nécessaires pour atteindre ces objectifs sont très conséquents et, pour assurer une transition équitable, ils doivent inclure la reconversion de certains sous-secteurs. Il est évident que le secteur public ne sera pas en mesure de répondre tout seul à ces besoins, surtout dans le contexte actuel de la crise. De plus, ces investissements doivent être effectués d’ici 5 à 10 ans au maximum, faute de quoi le défaut d’investissements et leur retard ne feront qu’aggraver la situation et augmenter les financements nécessaires.

Les réglementations en faveur de l’intégration des facteurs ESG

La crise liée au COVID-19 a mis en évidence les conséquences sociales des problématiques climat et biodiversité et elle a également montré à quel point l’investissement durable et responsable a plus que jamais besoin d’un langage unifié et clair pour soutenir sa croissance.

Tous les acteurs reconnaissent la complexité des approches proposées actuellement et leur manque d’homogénéité, ce qui crée une grande confusion chez les investisseurs. L’amélioration du reporting des entreprises, qui passe par la publication de données extrafinancières pertinentes et cohérentes, représente une étape clé pour l’évolution de l’intégration des facteurs ESG. Différentes initiatives telles que le SASB (Sustainability Accounting Standard Board), le GRI (Global Reporting Initiative) ou la TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures) tentent de répondre à ce besoin, mais leur diversité même contribue au désarroi des investisseurs.

La taxonomie: une solution?

La «taxonomie verte» rédigée à l’initiative de la Commission européenne a été très critiquée. En effet, bien qu’elle se défende de chercher à distinguer ce qui est vert de ce qui ne l’est pas, elle fournit néanmoins aux entreprises une sorte d’indicateur de référence pour se mesurer leur «conformité». Les entreprises vont donc être incitées à prendre des mesures nécessaires pour optimiser cette conformité afin d’attirer davantage d’investissements.

Cette évolution pourrait être similaire à celle observée au niveau de l’empreinte carbone. La pression à mesurer cette dernière s’est accrue, notamment du fait de réglementations telles que l’article 173 de la loi sur la transition énergétique en France. Et en dépit de ses faiblesses unanimement reconnues par les investisseurs, la mesure de l’empreinte carbone a conduit d’une part la création des indices bas carbone, dorénavant réglementés au niveau européen, et d’autre part aux stratégies de décarbonisation des portefeuilles. De la même manière, on peut donc s’attendre à voir émerger des politiques d’investissement qui cherchent à optimiser leur conformité aux critères définis par la taxonomie verte.

La taxonomie peut également avoir un impact
sur la gouvernance ou la stratégie des entreprises.

Cette dernière concerne tous les investissements et non pas le seul segment des produits durables. Ils doivent donc s’assurer d’être en ligne avec les deux objectifs environnementaux de la taxonomie, à savoir l’adaptation au changement climatique et son atténuation. Ils doivent également prendre en compte leur impact potentiellement négatif vis-à-vis d’objectifs futurs tels que la pollution, l’eau et autres. La taxonomie peut également avoir un impact sur la gouvernance ou la stratégie des entreprises dans la mesure où elle remettrait en question certaines activités. Par ailleurs, elle est susceptible d’influencer les politiques de fusions/acquisitions, les entreprises accordant la préférence aux acquisitions les plus conformes aux critères de la taxonomie de manière à pouvoir améliorer rapidement leur propre niveau de conformité.

La taxonomie verte viendra également en support à la «Stratégie renouvelée sur la finance durable». Renforcée par la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers, cette stratégie aura un fort impact sur toute la chaîne de valeur de l’investissement, au niveau opérationnel comme sur les fonctions de support.

Les réglementations futures, qui pourraient se matérialiser assez rapidement, chercheront à limiter l’écoblanchiment et à rediriger les investissements vers les projets durables et verts. Cependant, ils recèlent également le risque d’imposer une surcharge administrative et de travaux de reporting à l’ensemble des parties prenantes. Dès cet automne, il faudra donc examiner soigneusement les résultats de l’étude de marché initiée par la Commission européenne et qui porte sur l’amélioration de la transparence du marché des instruments d’évaluation de la durabilité.

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