Le calme avant la tempête?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Des taux longs US stabilisés

Le 10 ans Treasury n’a pas réussi à franchir la barre des 0,80% au cours de la semaine passée tandis que le 30 ans a tenté par quatre fois de timides incursions au-dessus de 1,60% sans jamais donner l’impression que cette mini-correction pouvait déboucher sur un véritable sell-off. Est-ce le signal que nous avons déjà testé les niveaux de taux longs les plus élevés de ce quatrième trimestre? En théorie, nous serions tentés de répondre par l’affirmative avec toujours en point de mire une action de la Fed pour contrôler la pente de la courbe et les niveaux de taux longs. En pratique, rien n’est moins sûr car parmi les nombreuses incertitudes qui s’accumulent aujourd’hui, quelques-unes pourraient être susceptibles de tirer les rendements des emprunts d’état US vers le haut. En premier lieu, nous pouvons évoquer la perspective de stimulus pour relancer l’économie. Si le président Trump a envoyé des signaux contradictoires tout au long de la semaine écoulée, il ne faut pas être naïf: un plan de relance sera dévoilé tôt ou tard. Et si le verdict des urnes est favorable à Joe Biden le 3 novembre, ce stimulus sera peut-être encore plus généreux. 

Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle,
les volumes d’émissions de Treasuries risquent d’exploser.

Dans le même ordre d’idée, quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, les volumes d’émissions de Treasuries risquent d’exploser et tant que la Fed ne signalera pas aux marchés qu’elle pourra acquérir une partie substantielle de ces émissions, ces derniers seront inquiets car leur capacité d’absorption ne permettra pas de juguler une tension sur les taux longs, inévitable dans ce cas. En second lieu, le débat sur l’inflation n’est pas clos et nous sommes bien loin de l’unanimité sur le sujet parmi les experts. Chaque camp fait valoir des arguments recevables et il est bien compliqué de se faire une opinion basée sur de fortes convictions. C’est la raison pour laquelle le breakeven d’inflation à 30 ans s’est stabilisé autour de 1,8% depuis quelques temps. C’est plus élevé que les 1,5%-1,6% de l’été, signe que les risques d’inflation sont plus élevés et que le scénario de déflation est abandonné. En revanche, c’est encore plus faible que le niveau de 2% à partir duquel nous rentrons dans un environnement à inflation supérieure ou égale à l’objectif à long terme de la banque centrale. Résultat: nous stagnons sur le bas de la fourchette neutre (1,8%-2%) sans pouvoir anticiper aujourd’hui si ce breakeven va redescendre vers 1,6% (scénario 1) ou va atteindre ce fameux 2% (scénario 2). Il se pourrait que ce scénario 2 soit validé par les marchés, allant de pair avec un 30 ans nominal au-dessus de 1,75%. Dans ce cas, nous serions fortement tentés de céder la plupart de nos TIPS longs pour revenir sur les taux nominaux.

Risque déflationniste en zone euro

Des breakevens d’inflation à 1,8%, c’est sans doute le rêve des membres de la BCE. Nous n’en sommes pas là, loin s’en faut. Le breakeven d’inflation à 10 ans s’élève à 0,74% en Allemagne et à 0,50% en France. Nous y voyons deux enseignements majeurs signalés par les marchés. Premièrement, le risque déflationniste est plus que jamais bien présent en zone euro. Deuxièmement, les marchés considèrent les deux grands blocs, US et zone euro, de manière totalement différente car si, à long terme, une «japonisation» de l’économie outre-Atlantique est exclue, elle est très probable sur le vieux continent. Cela signifie que Fed et BCE se retrouvent face à des problèmes différents qui nécessitent des modes de communication et des boîtes à outils pas forcément semblables. 

Dans un avenir proche, il faudra sans doute
plus de QE de la part de la BCE.

Christine Lagarde a débuté son mandat en engageant une réflexion globale sur le fonctionnement de la BCE incluant notamment son rôle, ses missions, les instruments à sa disposition et les indicateurs utilisés par son équipe économique. Nous estimons que dans un avenir proche, il faudra sans doute plus de QE de la part de la BCE, soutenu par plus de relance de la part des gouvernements mais également une refonte du mode de calcul de l’inflation. A court terme, sauf petits à-coups par mimétisme avec les taux US, il ne faut pas s’attendre à des remontées de taux longs allemands, à des écartements de spreads significatifs des périphériques et à la fin du rally des crédits, notamment des CSPP. Cela crée sans doute quelques opportunités d’investissement, certes moins exceptionnelles qu’au printemps dernier. Par exemple, nous regardons de près l’évolution du spread Espagne-Italie qui évolue actuellement au détriment de l’Espagne suite aux derniers chiffres du Covid, plutôt rassurants en Italie et plutôt inquiétants dans la péninsule ibérique. Il s’agit peut-être d’une opportunité de modifier la composition de nos portefeuilles de crédit en euros en prenant de substantiels profits sur certains crédits transalpins pour investir un peu plus en corporates espagnols. C’est en tout cas une piste que nous explorons actuellement.

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