Le 30 ans US au-dessus de 1,5%, un pari risqué

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Tension sur les taux longs, vraiment?

Le 30 ans US est passé au-dessous de 1,20% en début de mois, atteignant au plus bas 1,16% le 6 août, puis a entamé une correction tout au long de la semaine dernière pour grimper jusqu’à 1,44% jeudi soir. Techniquement parlant, le risque est désormais d’aller tester 1,52% puis 1,60%. Il convient donc d’observer une vigilance extrême sur les taux longs américains au cours des jours qui viennent. Les bonnes nouvelles ne manquent pas et la plus emblématique de la semaine qui vient de s’écouler est sans doute le chiffre des jobless claims qui est repassé sous la barre de 1 million jeudi dernier, une première depuis la pandémie de COVID-19. Toutefois, cette correction attendue n’est pas certaine. 

Tout d’abord, quelques nuages sombres planent toujours au-dessus des Etats-Unis: pandémie de COVID non maîtrisée, conflit Maison Blanche-Congrès sur les aides apportées aux chômeurs, poursuite de l’élan en faveur du candidat démocrate après le choix de Kamala Harris come colistière par Joe Biden ou encore poursuite des tensions avec la Chine. 

Le risque majeur que devront affronter les partisans
de la correction des taux longs se nomme la Fed.

Nous pensons que le risque majeur que devront affronter les partisans de la correction des taux longs se nomme la Fed. Il nous semble impensable qu’en cas de tension sur la partie 10-30 ans de la courbe US, la Fed ne réagisse pas. Si elle n’a pas (encore) communiqué quoi que ce soit sur le sujet de la gestion de la pente de la courbe, elle ne se privera pas d’intervenir en cas de remontée trop brutale des rendements longs. Si elle ne le faisait pas, ce serait une majeure partie de sa stratégie globale qui serait mise à mal par un bear market. Les conséquences seraient un triple fiasco: un double échec économique et financier pour la banque centrale de Washington accompagné d’un revers politique pour le président Trump. Ensuite, l’histoire risque de répéter: si les taux longs se tendent d’une ampleur négligeable, Wall Street n’en tiendra pas compte mais, en revanche, en cas de correction plus marquée, les marchés actions pourraient mal digérer cette mauvaise nouvelle. 

Alors peut-on aller tutoyer 1,5% sur le 30 ans cette semaine? Pourquoi pas, mais il y a de grandes chances pour que ce pull-back n’aille pas plus loin. C’est notre scénario central qui comporte toutefois deux bémols qui se nomment humilité et pragmatisme. Il faudra être réactifs en cas de scénario alternatif (par exemple une correction amplifiée temporairement par des ventes massives de Treasuries par les Chinois) et ne pas s’entêter sur des schémas trop rigides.

Les oubliés du QE

Sur la partie courte de la courbe US, il n’y a plus grand-chose à espérer. Le 2 ans oscille entre 0,10% et 0,15% et les placements sur le marché monétaire ne rémunèrent plus grand-chose avec un Libor 3 mois proche de 25 points de base (ce qui est toujours mieux qu’en zone euro ou en Suisse). Il nous reste le marché des crédits de bonne qualité et duration faible, ce qui permet de tenter une approche buy and hold ou plutôt buy and watch par les temps qui courent. Mais que peuvent rapporter de tels investissements? 

Les rares bonnes affaires encore possibles ne font pas partie
des programmes d’achat de la Fed et de la BCE.

Dans une logique de gestion semi-passive, c’est le Yield To Maturity qui est le moteur de performance et il faut bien reconnaître que nous restons sur notre faim. Sur 18 mois, nous avons recensé Microsoft février 2022 à 0,13%, Apple à 0,22% ou PepsiCo mars 2022 à 0,25%. Sur 2 ans, nous trouvons Walt Disney septembre 2022 à 0,31% ou Visa à 0,20%. IBM août 2022 offre un rendement de 0,33%, un point de base de moins que Mondelez juillet 2022 offert à 0,34%. Dans ce créneau de maturités, les écarts de qualité ne se traduisent pas en écarts de rémunération, IBM est noté A, Mondelez BBB. 

Il reste quelques bonnes affaires mais dans des classes de notations inférieures ou dans des secteurs ou pays qui sont en difficulté. Pour illustrer ce propos, nous avons identifié par exemple EDP janvier 2021 (marché monétaire 6 mois) à 0,75% ou HVB juillet 2022 à 0,50% (un Oeffentliche Pfandbriefe allemand AAA qui «paie» au prix fort la nationalité de sa maison-mère, la banque italienne Unicredit). Ce rendement exceptionnel pour une telle qualité de crédit à maturité 2 ans semble vraiment intéressant, comparé au taux de 0,60% offert par la souche à 5 ans du méga-emprunt Apple sorti jeudi dernier à 28 points de base au-dessus des Treasuries. Quelques bonnes affaires sont donc encore possibles mais elles sont de plus en plus rares. Pour la plupart d’entre elles, un point commun les réunit: elles ne font pas partie des programmes d’achat de la Fed et de la BCE. C’est donc dans ce créneau des «oubliés du QE» qu’il faut sans doute travailler pour dénicher d’éventuelles pépites…s’il y en a encore!

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