Les Treasuries n’ont pas dit leur dernier mot

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
600 dollars par semaine

C’est le montant qui était alloué jusqu’à fin juillet à tout travailleur américain touché par le chômage. Cette assurance fédérale permettait d’atténuer les effets catastrophiques de la pandémie sur la croissance économique et, au passage, de lisser les différences d’indemnisations entre Etats les plus et les moins généreux. Aujourd’hui, le Congrès n’a pas encore décidé d’étendre cette aide et les discussions avec la Maison Blanche sont compliquées. Ce sujet sensible a réussi jeudi et vendredi à faire passer au second plan des chiffres de l’emploi (jobless claims et non farm payrolls) en légère amélioration. Visiblement, le vrai sujet, c’est désormais l’économie réelle avec comme marqueurs principaux le chômage et la consommation des ménages (deux tiers du PIB) car les rêves de rebond V-shape sont passés aux oubliettes. 

Le secteur de la tech, principal moteur du rally de Wall Street,
pourrait retomber violemment de son nuage.

Il va donc falloir regarder de plus près les évolutions des discussions au Congrès en espérant que Donald Trump évitera dans les jours qui viennent de mettre de l’huile sur le feu dans son bras de fer avec Pékin. Après Tik Tok, c’est le WeChat de Tencent qui est dans le collimateur de la Maison Blanche et le secteur de la tech, principal (unique?) moteur du rally de Wall Street, pourrait retomber violemment de son nuage. Les investisseurs de plus en plus prudents se mettent donc à la recherche de valeurs refuges et l’once d’or qui a franchi la barre des 2'000 dollars semble se diriger vers 3'000, ce qui serait compatible avec la tendance actuelle des niveaux de taux longs réels. Aujourd’hui, les rendements des TIPS sont tout bonnement époustouflants avec un 10 ans atteignant -1,1% et un 30 ans proche de -0,5%. Les breakevens longs d’inflation sont bien installés au-dessus de 1,6% et semblent se diriger tout droit vers 1,8%. Si nous atteignons la zone 1,8%-2%, il sera temps de liquider une grande partie des positions TIPS pour se repositionner sur les taux nominaux. Ces derniers n’ont pas dit leur dernier mot.

Le 30 ans sous les 1%?

Le rally des taux longs US n’est sans doute pas terminé. Certes, pour atteindre des niveaux significativement plus bas, il faudrait un coup de grisou sur les marchés actions, les spreads de crédit ou les marchés émergents. Pour l’instant, envisager le pire est vraisemblablement une mauvaise stratégie mais les taux nominaux US n’ont pas besoin d’une catastrophe à Wall Street pour poursuivre leur marche en avant. L’économie réelle, les tensions avec la Chine, les chiffres effrayants de la propagation du virus et la probable victoire de Joe Biden (d’après les sondages) peuvent suffire largement à entretenir le rally. L’analyse technique vient de surcroît corroborer nos convictions: le 30 ans pourrait bien franchir la barre symbolique des 1% à la baisse pour se diriger vers une zone 0,75%-0,8%. La partie courte n’est pas en reste et le 2 ans peine à offrir un rendement de seulement 10 points de base. Par conséquent, la chasse aux crédits à faible duration offrant des rendements de 0,3% à 0,5% est ouverte et les opportunités d’investissement dans ce segment de marché deviennent très rares. 

Les obligations corporates les plus risquées aujourd’hui sont les dettes hybrides
d’émetteurs dont la dette senior perd son statut Investment Grade.
Pas de free lunch sur le crédit!

Certains gérants obligataires hésitent également à investir dans des crédits fragilisés car les agences de notation, très promptes à réagir dans cet environnement hostile, peuvent rapidement les forcer à revendre des titres ne respectant plus certaines contraintes d’investissement. Si aujourd’hui plus de la moitié des crédits notés A-/A3 peuvent basculer en catégorie BBB, il devient délicat d’investir massivement dans cette catégorie de notation. Nous prenons volontairement l’exemple de downgrades de A- à BBB+ car le plus souvent les investisseurs ont l’impression que le seul critère de vente forcée concerne les gestions Investment Grade qui doivent se séparer de leurs dettes BBB-/Baa3 qui basculent en catégorie spéculative. Nous estimons que les obligations corporates les plus risquées aujourd’hui sont les dettes hybrides d’émetteurs dont la dette senior perd son statut Investment Grade suite à une baisse de notation à BB+/Ba1. Les conséquences pour la dette subordonnée sont majeures et à prendre très au sérieux. C’est l’occasion de rappeler l’un de nos critères fondamentaux de sélection de nos crédits hybrides: il faut que la notation de leur dette senior soit Investment Grade le jour de l’achat et le soit encore (d’après nos recherches et analyses de crédit) le jour de la date du premier call. Au moindre doute sur ce dernier point, nous vendons par principe de précaution: en période trouble, mieux vaut passer à côté d’une bonne affaire potentielle si c’est au détriment d’une gestion du risque rigoureuse.

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