Fed: l’emploi s’invite dans le débat

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

Jay Powell a parlé

Le patron de la Fed n’a finalement pas attendu le FOMC du 31 juillet et le symposium de Jackson Hole fin août pour faire comprendre aux marchés que la Fed est mine de rien en train de changer de fusil d’épaule. Une attitude un peu plus dovish a été clairement perçue lors de son audition au Sénat. Il a en effet reconnu que les récents chiffres d’inflation envoyaient des signes encourageants. Toutefois, il a affirmé que l’économie américaine était solide, tout en admettant que certaines banques étaient confrontées à des problèmes liés aux CRE loans. Lundi, invité à l’Economic Club of Washington D.C, il a été plus explicite! Il a d’abord annoncé une évidence mais qui n’avait jamais été prononcée par un membre de la Fed: ils ne vont pas attendre un retour de l’inflation à 2% pour commencer à baisser les taux. Il a ensuite expliqué que les dernières données en leur possession sur l’inflation étaient encourageantes. Si le premier trimestre les a poussés à être prudents, le second trimestre est bien meilleur.

Ainsi, la Fed va commencer à se soucier de l’état de l’économie. Mais pas toute l’économie qui, selon Jay Powell est toujours en bonne santé (pas de hard landing ou de récession à l’horizon selon lui). La Fed va désormais se concentrer sur les données du marché du travail. La situation de l’emploi se détériore et la Fed l’a bien noté. Par conséquent, inflation en baisse et marché de l’emploi plus difficile ont propulsé les probabilités de baisse de taux le 18 septembre à 95% hier. Les marchés obligataires restant incorrigibles, il n’en a pas fallu plus pour qu’ils remontent leurs anticipations de baisses de taux avant la fin de cette année à trois. Finalement, si cela s’avère exact, la Fed aura respecté ses prévisions d’octobre 2023. Trois baisses, si l’on exclut d’emblée le FOMC du 31 juillet, cela fait une baisse à chaque meeting! Nous allons déjà nous contenter d’une baisse en septembre en restant attentifs. Jerome Powell a entretenu cet optimisme dovish des marchés obligataires en affirmant que si la Fed doit agir, elle ne se préoccupera nullement du calendrier électoral. Bon à savoir…  

«Nous prévoyons deux baisses de taux, le 12 septembre et le 12 décembre.»

Afin de nous faire patienter du côté de Washington, nous écouterons attentivement Christine Lagarde jeudi. Elle nous dira sans doute plus ou moins la même chose que son homologue de la Fed avec un bémol. Oui, l’inflation en zone euro recule suffisamment et oui, l’économie ralentit. La différence de taille c’est que contrairement à Jay Powell, elle ne peut pas affirmer avec autant de certitude que le risque de hard landing voire de récession est très faible sur le Vieux Continent. Nous prévoyons deux baisses de taux, le 12 septembre et le 12 décembre.  

Trump et le bullish steepening

Donald Trump sera vraisemblablement le prochain président des Etats-Unis. Après un weekend invraisemblable au cours duquel il a échappé au pire, les marchés obligataires ont réagi plutôt logiquement pour ensuite revenir rapidement à des préoccupations moins dramatiques et plus terre à terre. Concrètement, la tentative d’assassinat de Trump a fait remonter le 10 ans US à 4,25% (il avait clôturé à 4,18% vendredi) et a surtout fait franchir au steepening de courbe une étape supplémentaire de taille avec la fin de l’inversion 2-30 ans. A l’heure à laquelle nous rédigeons ces lignes, le 10 ans est revenu dans la zone de 4,18% et le 2-30 est repassé très légèrement négatif à -5bp (4,46% et 4,41% respectivement).

Ce n’est peut-être que partie remise, mais une telle déformation de la courbe (ou plutôt «reformation» serait-on tenté de dire) ne sera pas forcément liée à la présence de Donald Trump à la Maison Blanche. La courbe va graduellement redevenir normale car la Fed va baisser ses taux. Nous nous acheminerons petit à petit vers une partie courte proche de 4% et une partie longue aux alentours de 4,25%. Cette légère «repentification» sera surtout dû à une forte baisse de la partie longue. Un 10-30 ans avec une pente faible (par exemple 10 ans à 4,15% et 30 ans à 4,30%) serait assez logique mais comme les niveaux actuels sont similaires (10 ans proche de 4,20% et 30 ans de 4,40%), il n’y a pas grand-chose à gagner – ni à perdre – sur ce segment de courbe. Un peu de duration ne fait pas de mal mais attention!

Ce scénario est le plus plausible et il est compatible avec les deux affirmations de Jay Powell au cours des six derniers jours: un hard landing ou une récession sont «unlikely» et une crise des CRE s’avère peu probable car les problèmes sont identifiés et traités. Ça, c’est la version officielle de la Fed. Si tout scénario alternatif impliquant un krach de l’immobilier commercial devait voir le jour, les taux courts plongeraient violemment par anticipation de nombreuses baisses de taux de la banque centrale. Ils emporteraient sans doute les taux longs dans leur forte détente et dans ce cas-là, un peu plus de duration serait une initiative bienvenue. Il s’agit toutefois à ce stade d’un scénario possible mais pas central. Il ne faut pas l’exclure et se préparer à adapter notre stratégie «si jamais». Mais lorsque Jerome Powell, auditionné par le Sénat dit: «CRE risk is going to be an issue for many banks», en ajoutant «et pour longtemps», nous ne sommes pas totalement rassurés, surtout connaissant le track record de la Fed en la matière!

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