La Banque du Canada grille la politesse à la BCE

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

La BCE prudemment dovish

Vous avez failli avoir droit à l’expression «hawkish cut» mais nous avons trouvé que la formule avait déjà été utilisée de trop nombreuses fois et surtout qu’elle n’était finalement pas adaptée à la situation. Madame Lagarde n’a en aucun cas été hawkish jeudi dernier. Elle a juste été prudente car bien incapable de nous donner un calendrier, même vague, des futures baisses de taux. C’est tout à fait compréhensible à partir du moment où elle n’est pas en mesure, comme nous tous, d’évaluer avec un minimum de précision et de certitude le rythme de décrue de l’inflation.

La majorité des intervenants de marché penchent pour deux baisses supplémentaires en 2024, l’une en septembre et l’autre en décembre. Nous aurions tendance à croire que sauf péril en la demeure, la seconde baisse de taux en zone euro devrait intervenir à la suite de la première baisse de taux de la Fed, ou juste avant puisque la BCE se réunit le 12 septembre et la Fed le 18. Par conséquent, début septembre, si la baisse de la Fed est quasi-certaine, la BCE passera à l’acte le 12. Mais il ne faudrait pas que les Américains tardent trop. Or, c’est la tendance qui se dessine du côté de Washington en ce moment.

Il n’est pas nécessaire d’être un gourou de la Fed pour comprendre que plus d’inflation salariale, c’est plus d’inflation tout court!

Attendue comme l’événement de la semaine, la réunion de la BCE s’est retrouvée éclipsée par celle de la banque centrale canadienne la veille. La Banque du Canada (BoC) a en effet baissé ses taux mercredi, ce qui fait d’elle la première banque centrale du G7 à amorcer une détente de sa politique monétaire. La surprise était grande dans le grand public, beaucoup moins dans les marchés puisque des membres du gouvernement avaient préalablement vendu la mèche, sans trop se soucier du concept d’indépendance de la banque centrale. Bien entendu, il y a de grandes différences entre les économies des deux pays nord-américains. Il n’empêche que lorsque votre voisin prend une telle décision, la pression monte sur vos épaules pour que vous lui emboîtiez le pas.

Nous y voyons surtout l’exemple d’un voisin des Etats-Unis qui n’a pas eu droit aux largesses budgétaires et fiscales de l’administration Biden (que nous n’hésitons pas à qualifier d’«Helicopter Money») et qui, par conséquent, se retrouve avec une banque centrale plus dovish que la Fed puisque son économie est plus vulnérable. Il s’agit sans doute d’un comportement précurseur: le jour où la future administration américaine issue du prochain scrutin (qu’elle soit démocrate ou républicaine) sera moins généreuse que l’actuel tandem Biden-Yellen, l’économie s’essoufflera et la Fed passera plus volontiers en mode accommodant.

Des chiffres de l’emploi en trompe-l’œil

Commençons par ce que nous avons tous vu et qui n’est pas bon pour les taux. Les 272'000 créations d’emplois en mai ont surpris les marchés puisque le consensus s’attendait à +180'000. Mais il y a plus grave que les créations d’emploi: les Average Hourly Earnings, avec +0,4% sur le mois, se retrouvent à +4,1% YoY contre 4% le mois dernier. Il ne faudrait pas que la tendance se poursuive car il n’est pas nécessaire d’être un gourou de la Fed pour comprendre que plus d’inflation salariale, c’est plus d’inflation tout court! Donc potentiellement des baisses de taux jetées aux oubliettes. C’est la raison principale pour laquelle le marché des US Treasuries a mal réagi. Ainsi, après avoir atteint un plus bas à 4,27%, le 10 ans US s’affichait à 4,45% hier après-midi.

Attardons-nous maintenant sur ce qu’il fallait également voir pour se faire une idée plus précise du marché de l’emploi (mais pas sûr que la Fed y attache autant d’importance que nous, c’est ce qui nous tracasse). La Household survey fait état de 408'000 destructions d’emplois. Quant au full-time employment, il se retrouve à -625'000. Il ne s’agit pas de minimiser de bons chiffres de l’emploi, synonymes d’une économie en pleine forme et de salaires entretenant la spirale inflationniste. Nous souhaitons simplement attirer l’attention sur des données qui ternissent la bonne impression générale donnée vendredi dernier.

Les marchés, s’ils ont légèrement sanctionné les taux longs, ont également revu légèrement à la baisse leurs attentes de réductions de taux en 2024. Ces dernières, qui s’élevaient à 49bp avant la publication des NFP, sont tombées à 37bp vendredi soir. Toutefois, ils sont toujours 60% à s’attendre à une baisse de 25bp le 18 septembre. Si l’on en croit la règle qui stipule que lorsque le consensus attend un mouvement de la Fed à 60% ou plus, la banque centrale a de très grandes chances de suivre les marchés, le premier geste accommodant est pour septembre. Toutefois cette règle n’est pas fiable à 100% et surtout, elle concerne le consensus dans le mois qui précède le FOMC. Nous sommes début juin, d’ici le 18 septembre de l’eau peut couler sous les ponts et le consensus peut évoluer dans tous les sens. Malgré tous les bémols que nous avons énumérés, il faut se rendre à l’évidence, la Fed n’a sûrement pas du tout aimé les chiffres de vendredi (surtout le volet inflation salariale).

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