La Fed à contretemps?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

2 minutes de lecture

Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.


De bons CPI et PPI

La semaine dernière a été marquée par des publications de statistiques d’inflation CPI et PPI de bonne facture. Le Core CPI YoY est passé de 3,6% à 3,4% tandis que le Core PPI est passé de 2,5% (révisé) à 2,3%. Cette tendance encourageante nous permet d’envisager un Core PCE à 2,6%, ce qui permettrait de considérer que la décrue est enfin amorcée. Nous aurons la réponse vendredi 28 juin mais les marchés de taux n’ont pas eu la patience d’attendre si longtemps. Le 10 ans s’échangeait aux alentours de 4,20% vendredi après-midi, alors qu’il valait un peu plus de 4,60% le 29 mai. Ce mouvement, en grande partie explicable par les chiffres macroéconomiques, a sans doute été amplifié par le nombre record de positions shorts sur les marchés de dérivés. Certains appels de marge ont dû être douloureux et nous soupçonnons qu’un phénomène de short squeeze a participé au mini-rally.

C’est le moment qu’a choisi la Fed pour nous informer qu’elle ne s’attend plus qu’à une seule baisse de taux de sa part en 2024. Il s’agit d’un curieux timing et les marchés obligataires ont peu réagi à cette potentielle mauvaise nouvelle. En premier lieu, la Fed étant plus que jamais «data dependent», elle peut tout à fait faire machine arrière si les espoirs de décrue de l’inflation venaient à être confirmés dans un mois. Les dot plots le 31 juillet ne sont peut-être pas ceux du 12 juin! Ensuite, comme nous l’avons déjà évoqué en début de mois, cela devient ridicule de prévoir un nombre de baisses de taux en 2024. Il ne reste plus que quatre réunions cette année et que la Fed baisse ses taux le 18 décembre 2024 ou le 29 janvier 2025, quelle importance? Peu importe finalement l’itinéraire emprunté et le temps mis pour le voyage. Ce qui compte c’est la destination ! En l’occurrence allons-nous vers 4,5%? 4%? moins de 4%?

Des taux Fed funds à 4% à un horizon 12-18 mois nous semblent un objectif très raisonnable si l’inflation continue de baisser (un peu trop lentement mais sûrement) tandis que la croissance montre quelques signes d’essoufflement. Toutefois, nous avons le devoir de rester humbles et de pouvoir changer d’avis en fonction de l’évolution de la conjoncture. Cette dernière est très difficile à appréhender et nous allons finalement nous comporter de la même manière que la Fed en restant «data dependant». Nous n’excluons pas totalement un scénario catastrophe qui pousserait les taux vers 2%. Il faudrait pour cela que la crise latente des dettes CRE apparaisse au grand jour. Pour l’instant, tous ceux qui, comme nous, mettent en garde les investisseurs sur ce risque ne sont pas écoutés ou passent pour de oiseaux de mauvais augure. Mais lorsque c’est Pimco qui, le 11 juin, annonce s’inquiéter d’une vague de faillites de banques régionales américaines provoquée par les dettes CRE, espérons que le sujet sera enfin pris au sérieux.

La BCE, acheteur d’OAT en dernier ressort

Lorsque Standard & Poor’s avait downgradé la France à AA-, le spread OAT-Bund avait à peine bougé. Depuis le résultat des élections européennes suivi de l’annonce de dissolution, l’écart de taux France-Allemagne s’est écarté sensiblement. Il atteignait hier 80 points de base. Cet écartement d’une trentaine de points de base en moins d’une semaine nous ramène à de mauvais souvenirs datant de 2011! En soi, ce n’est pas vraiment catastrophique et c’est plutôt logique et «mérité». C’est comme si l’instabilité politique récente remettait la dette française à son juste prix. Aujourd’hui les marchés s’inquiètent et se tournent logiquement vers la BCE.

Au cours d’une intervention à Dubrovnik vendredi, Christine Lagarde s’est refusée à tout commentaire sur la situation politique à l’intérieur d’un pays membre. A une question relative aux turbulences sur les marchés français, elle a répondu laconiquement que la BCE atteindra son objectif en matière d’inflation. Elle a soigneusement évité d’évoquer le TPI (Transmission Protection Instrument), ce qui est judicieux car le simple fait d’en parler aurait immanquablement provoqué le déclenchement de son utilisation. Se souvenant de sa gaffe («je ne suis pas là pour gérer le spread de l’Italie»), elle a géré du mieux qu’elle pouvait les salves de questions gênantes sur la dette française. Mais en cas de véritable problème, nul doute que le TPI sera mis en œuvre afin de ne pas fragmenter la zone euro. Il reste que la France est un membre fondateur dont la dette avoisine les 3'100 milliards et c’est plus compliqué à gérer qu’une crise grecque. Pour l’instant, nous pouvons nous accrocher au TPI comme à une bouée de sauvetage et la BCE pourra, en cas de besoin, communiquer sur le sujet. Normalement, il suffirait simplement à la BCE d’évoquer l’existence du TPI pour calmer les marchés sans avoir à l’utiliser. Mais qu’est-ce qui est normal de nos jours? 

A lire aussi...