Chronique des taux de la banque Eric Sturdza

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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La Fed nous mène tout droit vers l’inversion de la courbe.

 

Un FOMC assez prévisible

La semaine qui vient de s’écouler a été marquée par la poursuite de la guerre commerciale de Monsieur Trump, focalisée désormais contre la Chine, et par le baptême du feu pour Powell, le nouveau gouverneur de la Réserve Fédérale. Ce FOMC n’a pas réservé d’énormes surprises.

La hausse de taux était déjà dans les prix et les «dots» n’ont pas révélé d’inflexion majeure. Ils étaient toutefois un peu plus «hawkish» et les révisions de projections économiques de la Fed ont contribué à donner à ce FOMC une tonalité plus restrictive qu’attendu. Le Comité a révisé la croissance économique 2018 de 0,2 points à 2,7% et celle de 2019 de 0,3 points à 2,4% (effets de la réforme fiscale) mais a laissé inchangées ses projections 2020 à 2% et à long terme à 1,8%. Les prévisions de taux de chômage ont été logiquement revues à la baisse: 3,8% en 2018, 3,6% en 2019 et 3,6% en 2020. Enfin, les prévisions d’inflation ont été légèrement augmentées à 2,1% pour 2019 et 2020.

«La possibilité de quatre hausses
en 2018 n’a pas disparu.»

A première vue, ces révisions sont favorables à la poursuite de la bonne tenue de l’économie US et cohérentes avec le scénario des «dots», à savoir trois hausses de taux en 2018, trois autres en 2019 et deux en 2020. Nous retiendrons trois éléments qui nous semblent révélateurs de ce FOMC: tout d’abord, la possibilité de quatre hausses en 2018 n’a pas disparu, six membres de la Fed étant favorables à trois relèvements mais six autres plaidant pour quatre hausses. Ensuite, le relèvement de la projection d’inflation est minime mais symbolique puisqu’à 2,1%, nous nous retrouvons au-dessus de l’objectif du Comité fixé à 2%.

Enfin, le taux de chômage à moyen-long terme a été abaissé à 4,5% mais avec une année à 3,8% puis deux années à 3,6%, il faudra bien que ce taux remonte un jour significativement pour rejoindre la moyenne. La Fed reconnaît donc implicitement que le chômage devra tôt ou tard retourner vers 4% voire au-dessus. Le problème est que seule une récession sera en mesure de provoquer un tel retournement de tendance. Finalement, que retenir de ce FOMC? Il y en avait pour tous les goûts: colombes et faucons ont pu çà et là grappiller des informations corroborant leur scénario. Dans de tels cas, les bonnes clés de lecture nous sont généralement fournies par les marchés obligataires.

Qu’en pensent les marchés obligataires?

Au cours de la semaine, la partie courte de la courbe US s’est détendue de trois à quatre points de base, le 10 et 30 ans restant à peu près inchangés mais les taux longs ont réagi sans ambiguïté au FOMC de mercredi soir. Le 30 ans est passé de 3,14% à 3,03% et le break-even d’inflation de 2,11% à 2,07%. Que les taux longs soient remontés en fin de semaine suite à l’assouplissement des barrières douanières vis-à-vis de l’Europe et à la veille d’une semaine d’adjudication de 300 milliards de bons du Trésor, cela n’est guère surprenant. Il faut surtout retenir que les taux longs n’aiment pas le ton de la Fed et que les marchés ne sont pas prêts à digérer d’autres hausses de taux.

«La liquidité dans les marchés de taux hors Treasuries
est en train de diminuer dangereusement.»

Les marchés de crédit ont également fourni une preuve accablante du trouble qui règne désormais dans les marchés obligataires. En fin de semaine, il n’y avait plus de bids sur le High-Yield US et la contagion commençait à toucher l’Investment Grade. La liquidité dans les marchés de taux hors Treasuries est en train de diminuer dangereusement. Nous avons désormais la conviction que sauf accident toujours possible (boycott des US Treasuries par la Chine en représailles par exemple), c’est le 30 ans qui va redescendre vers 3% et non le 10 ans qui va se tendre pour atteindre ce fameux rendement symbolique. A terme, la courbe des taux US pourrait s’inverser, conséquence d’un découplage entre les statistiques macroéconomiques et l’évolution des marchés. 

Vers un découplage macro/marchés 

En novembre dernier, nous estimions que l’aplatissement de la courbe US était un avertissement sans frais pour 2018. Début février, nous avons expérimenté l’avertissement avec frais et nous craignons que les marchés soient tentés d’entrer dans une phase de découplage entre leur évolution et celle de la macroéconomie. Dans un passé récent (nous retiendrons le «taper tantrum» de juin 2013 comme le dernier «accident»), l’analyse macroéconomique et les marchés financiers évoluaient de concert. Le plus grand risque qui nous guette désormais est que les marchés se mettent soudainement à anticiper dès à présent le scénario de ralentissement/récession de 2020. Dans ce cas, malgré des statistiques économiques toujours excellentes, nous pourrions assister de nouveau à des mouvements brutaux de marchés tels que ceux que nous avons connus début février et ainsi redécouvrir le rôle protecteur des emprunts d’Etat à long terme. 

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