Vous avez dit «sans risque»?

Yves Hulmann

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De l’affacturage de Greensill aux dérivés d’Archegos, la combinaison «low risk / high return» ne tient pas toujours ses promesses.

Diversifier votre portefeuille grâce quelques emprunts «high yield» émergents? Trop risqué! Des actions de Tesla? Bien trop chères! Investir dans les cryptomonnaies? Jamais! Ou alors… diversifier vos placements avec des fonds qui investissent dans la «supply chain finance», des solutions à même de générer des rendements réguliers, décorrélés des marchés et, de surcroît, couverts par des assureurs de premier plan? Voilà qui semble plus raisonnable!

Pourtant, comme viennent de le démontrer deux des principales débâcles financières survenues cette année – qu’il s’agisse des véhicules de placement dans la «supply chain finance» proposés par la société britannique Greensill ou de la liquidation forcée des positions détenues par le «family office» new-yorkais Archegos Capital Management -, les plus grands risques se cachent parfois justement dans des activités présentées comme peu risquées auprès des investisseurs ou pour les établissement qui les financent.

La société britannique fondée en 2011 par l’Australien Lex Greensill
a développé un modèle d’affaires qui a longtemps satisfait tout le monde.

L’exemple de Greensill est à cet égard riche en enseignements. Louée de toutes parts au milieu de la dernière décennie, la société britannique fondée en 2011 par l’Australien Lex Greensill – qui s’était vu attribuer le titre de «Commander of the British Empire for Services to the Economy of the UK» par la reine Elizabeth II en personne – a développé un modèle d’affaires qui a longtemps satisfait tout le monde: entreprises et PME pouvaient obtenir rapidement des liquidités sans devoir attendre de recevoir les paiements de leurs clients; de banques qui, comme Credit Suisse, alimentaient ces fonds; sans oublier les gérants de fortune et leurs clients qui ont pu investir dans des produits vantés comme offrant des rendements élevés et à faibles risques. Les fonds de Greensill offrent des «rendements stables et décorrélés», lisait-on dans leurs documents de présentation.

Des rendements largement supérieurs à ceux des obligations de catégorie investissement grade pour un risque faible et décorrélé des marchés, voilà qui avait de quoi convaincre de nombreux investisseurs, en particulier en Europe, désespérément en quête de nouvelles sources de rendement. Il est aussi intéressant de constater que Lex Greensill, lui-même, a souvent présenté ses fonds comme étant à «faible risque»: «Greensill a été le premier à créer une structure de ce type, offrant aux investisseurs non bancaires de pouvoir souscrire à un pool diversifié de placements dans la Supply Chain Finance, tous couverts par des fournisseurs d’assurance bénéficiant d’une note A ou plus élevée», déclarait par exemple Lex Greensill au magazine Scope en mai 2017. 

Rien ne remplace une procédure de «due diligence» approfondie.

C’est toutefois concernant ce dernier point que les manquements sont apparus en mars dernier. Lorsque Tokio Marine, la compagnie japonaise qui assurait ces instruments, a refusé de renouveler la couverture pour les produits de Greensill, Credit Suisse a alors dû commencer à liquider les fonds.

Que retenir de l’affaire Greensill? Le site spécialisé dans les placements alternatifs ZeroHedge, tirait récemment quelques leçons de la déroute des fonds de Greensill. Parmi celles-ci, le site rappelle, d’abord, que rien ne remplace une procédure de «due diligence» approfondie. Ensuite, des entreprises qui n’arrivent pas à se financer elles-mêmes ne peuvent pas se transformer en titres bénéficiant d’une note «AAA» par la magie de garanties apportées par des tiers. Surtout, tout ce qui promet une combinaison «faible risque / rendements élevés» grâce à des structures complexes et des innovations techniques doit être considéré comme suspect, conclut ZeroHedge. 

En ce qui concerne Archegos Capital Management, les activités financées sont différentes mais ce cas présente néanmoins quelques caractéristiques communes avec la précédent. En effet, si le hedge fund new-yorkais, qui se présentait sous l’appellation plus rassurante de «family office», investissait lui-même dans des titres relativement volatils - à l’exemple de la société de médias américaine ViacomCBS et des valeurs technologiques chinoises Baidu et Tencent Music Entertainment Group -, l’activité de financement, répartie entre plusieurs grandes banques d’affaires, n’était en soi pas nécessairement risquée pour les établissements impliqués, à condition de tirer le signal d’alarme à temps si les choses tournent mal. 

S’il semble que Credit Suisse et Nomura paieront l’essentiel de l’ardoise,
une dizaine d’autres banques d’investissement s’en sortiront à moindres frais.

En échange de commissions juteuses, ces établissements mettaient à disposition les fonds nécessaires à Archegos pour financer ses activités, via des instruments dérivés appelés «total return swaps». Grâce à ces instruments, Archegos, dont les actifs étaient évalués à environ 10 milliards de dollars, a pu investir jusqu’à 50 milliards de dollars, estimait l’agence Reuters la semaine dernière. Et si certaines positions du family office devaient perdre de leur valeur, il suffisait d’activer les fameux appels de marge pour récupérer sa mise. S’il semble que Credit Suisse et Nomura paieront l’essentiel de l’ardoise, une dizaine d’autres banques d’investissement s’en sortiront à moindres frais.

Un autre point commun de ces deux affaires qui ont fait les grands titres de la presse durant le mois de mars est qu’elles ne seraient certainement pas produites si les taux n’étaient pas aussi bas et les liquidités mises à disposition par les banques centrales si abondantes. Tant que le coût de l’emprunt est gratuit, ou presque, banques et investisseurs acceptent de financer toutes sortes de transactions, même si elles ne rémunèrent que faiblement les risques encourus.

Dans cette optique, la fin de l’ère des liquidités surabondantes qui s’annonce avec la remontée graduelle des taux pourrait bien révéler d’autres mauvaises surprises similaires à celles de Greensill ou d’Archegos. Comme le formule Warren Buffet, c’est lorsque la mer se retire que l’on voit qui était nu. Plus qu’une marée, la remontée graduelle des taux d’intérêt aux Etats-Unis pourrait se transformer en une vague susceptible d’emporter un grand nombre d’embarcations fragiles qui avaient été conçues pour naviguer par beau temps.

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