Maximiser l’impact positif sur la société et l’environnement

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Ariane Dehn, responsable de la gestion d’actifs pour la Suisse chez BNP Paribas AM, souligne le rôle grandissant des critères ESG.

Comment intégrer la dimension de l’investissement durable dans la gestion d’actifs au sein d’un grand groupe international? Ariane Dehn, responsable de la gestion d’actifs pour la Suisse chez BNP Paribas Asset Management, souligne les avantages de pouvoir s’appuyer sur les ressources d’un grand groupe bancaire international tout en conservant un esprit de «boutique». Entretien.

Vous êtes à la tête des activités suisses de BNP Paribas Asset Management depuis 2019. Quels ont été les éléments les plus marquants durant cette période frappée par la pandémie?

Quand on travaille depuis plus d’un quart de siècle dans la gestion d’actifs, on est habitué à naviguer à travers les crises. Comme le dit si bien l’un de nos dictons en finance: «Après la crise, c’est avant la crise». Survenue de manière imprévisible, cette pandémie nous permet de tirer plusieurs leçons, dont une en particulier. 

«De nombreux clients, surtout les plus jeunes générations,
veulent aujourd’hui savoir comment leur argent est investi et à quoi il sert.»

La crise du COVID-19 a été un vrai accélérateur de changements dans la manière dont les investisseurs abordent leurs prises de décisions, et notamment en faveur d’un investissement de long-terme plus responsable afin de maximiser l’impact positif sur notre société ou l’environnement. Ainsi, de nombreux clients, surtout les plus jeunes générations, veulent aujourd’hui savoir comment leur argent est investi et à quoi il sert. L’approche classique en matière d’allocation d’actifs va aujourd’hui bien au-delà d’une simple répartition par classe d’actifs - obligations, actions ou autre – il est désormais primordial d’incorporer la dimension ESG qui permet aux clients de contribuer à faire changer les choses positivement.

Dans quels secteurs d’activité cela s’observe-t-il?

On voit notamment un engouement de nos clients pour les causes telles que la lutte contre le changement climatique, la transition énergétique ou encore la lutte contre les inégalités sociales. Cela se voit dans la manière dont leurs comportements et habitudes évoluent mais aussi dans leurs approches en matière d’investissement. Durant la pandémie, les émissions de CO2 ont diminué d’environ 8% à travers le monde. C’est positif pour l’environnement et implique de réfléchir à comment l’on voyagera demain, à quelle fréquence, avec quels moyens de transport? Les mêmes questions se posent pour l’alimentation: à savoir, d’où proviennent les produits qu’ils consomment afin d’assurer une chaine d’approvisionnement plus responsable et de consommer des produits locaux. Ces nouvelles habitudes auront des impacts en termes d’investissements.

«Des thèmes comme les technologies ‘cleantech’, le ‘smartfood’
ou la robotisation intéressent toujours beaucoup les investisseurs.»
Les changements des habitudes des consommateurs et les choix des clients en matière d’investissements évoluent-ils toujours dans la même direction?

Dans l’ensemble, oui. Beaucoup des changements qui ont été mis en lumière récemment avaient déjà été initiés auparavant. Depuis une dizaine d’années, on voit une évolution vers des choix d’investissements plus responsables. Et notamment par le biais d’investissement thématiques, comme par exemple le climat, la diversité, les énergies renouvelables, la biodiversité. Dans l’alimentation, par exemple, une société comme Beyond Meat, qui fabrique notamment des burgers végétariens, n’est pas apparue du jour au lendemain. Son succès reflète l’importance croissante que les clients accordent à diminuer leur consommation de viande, aussi dans le but de réduire leur empreinte carbone. En tant qu’investisseur ou gérant d’actifs, il faut tenir compte de ces évolutions.

Observez-vous une grande différence d’attitude entre générations en matière d’investissement durable?

Même s’il faut éviter de trop schématiser, on constate que les millénials sont plus sensibles à ces questions. Parmi les différents critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), les plus de 60 ans se montrent plus attentifs aux aspects de gouvernance. Cela notamment parce qu’ils ont eu l’occasion, au cours de leur vie, d’observer les conséquences désastreuses qui peut résulter d’une mauvaise gouvernance sur la valeur d’une entreprise. Il suffit de penser à des situations telles que l’accident survenu en 2010 sur la plateforme pétrolière Deepwater Horizon au large du Mexique ou encore aux données truquées de Volkswagen au milieu de la dernière décennie.

«Tous nos fonds obligataires disposent
de mécanismes d’intégration des critères ESG.»

De leur côté, les plus jeunes ont une sensibilité beaucoup plus élevée aux questions environnementales, qui se reflète dans leurs habitudes de consommation également. Il y a trente ans, beaucoup de jeunes adultes voulaient, dans l’ordre, passer leur permis de conduire, acheter une voiture puis investir le reste de leur l’argent dans des spoilers. Aujourd’hui, le permis de conduire est souvent repoussé à plus tard, et plutôt que d’acheter une voiture, les jeunes ont recourt au co-voiturage. 

Depuis le début de la crise du coronavirus et jusqu’au début de cette année, les valeurs technologiques ont connu une progression spectaculaire. Récemment, on a toutefois observé une rotation vers d’autres secteurs. Les clients privilégient-ils avant tout des thèmes liés à la croissance et aux nouvelles technologies - ou recherchent-ils désormais des placements plus défensifs?

La construction d’un portefeuille est toujours déterminée en fonction du profil de risque du client et de son horizon de placement. Indépendamment des fluctuations des marchés, on observe que des thèmes comme les technologies «cleantech», le «smartfood» ou la robotisation intéressent toujours beaucoup les investisseurs. Nous proposons de telles thématiques dans le cadre de nos fonds consacrés à la technologie disruptive, à la transition énergétique ou à la croissance inclusive.

Est-il possible d’investir dans de tels thèmes aussi via des obligations?

Bien sûr, avec les produits obligataires, les possibilités d’investir dans de tels thèmes sont un peu plus restreintes. Il existe moins d’offres dans l’investissement à impact ou de fonds thématiques sous la forme d’obligations qu’avec les actions. Malgré tout, il existe des approches innovantes dans le domaine de la durabilité via les obligations vertes, ou «green bonds», ou avec les obligations sociales, ou «social bonds». Tous nos fonds obligataires disposent de mécanismes d’intégration des critères ESG.

«Lancer un fonds est tout sauf trivial,
notamment lorsqu’on intègre des critères ESG!»
Ces dernières années, on a vu apparaître beaucoup d’acteurs de niche spécialisés uniquement dans la finance durable. Les banques universelles ou les grands gérants d’actifs ont-ils encore des atouts à faire valoir face à cette nouvelle concurrence?

La concurrence favorise toujours l’innovation. Et on observe souvent que des projets innovants émanent de petites structures. Je pense qu’il est toutefois plus facile pour des plus petites sociétés de niche de se profiler dans des segments tels que le «private equity» ou le capital-risque. La gestion d’actifs est aujourd’hui très encadrée et elle est aussi soumise à des exigences très élevées sur le plan réglementaire. Cela implique la mise à disposition de nombreuses informations, d’établir un prospectus, un reporting régulier…, etc. Lancer un fonds est tout sauf trivial, notamment lorsqu’on intègre des critères ESG! Cela requiert notamment des capacités technologiques de pointe mais aussi une expertise d’analyse des critères ESG de chaque entreprise de l’univers d’investissement. Un de nos avantages est justement de parvenir à attirer des gens talentueux en leur mettant à disposition l’infrastructure nécessaire en arrière-plan. Nos gérants peuvent ainsi évoluer dans une structure qui garde un esprit de «boutique» mais qui s’appuie néanmoins sur le soutien d’une grande infrastructure.

A lire aussi...