Chaque année à cette période, les stratégistes publient leurs perspectives pour l’année à venir. C’est une figure imposée, qui est surtout un exercice de biais de confirmation, rapidement périmé, et qui s’inscrit dans une séquence calendaire, ce qui n’est pas toujours pertinent.
L’agrégation de dizaines de perspectives annuelles, de banques, sociétés de gestion, et brokers, permet d’extraire le consensus suivant: une performance du S&P500 attendue à 10% en 2025 (en prix), soit la performance historique moyenne observée depuis 1980. Cette performance repose sur une prévision de 2,2% de croissance du PIB aux Etats-Unis en 2025 (2,8% sur le plan global, 1,0% dans la zone euro), une progression des EPS de 13% (bottom/up) après +9,6% en 2024. Le narratif est le suivant: un changement de régime économique mondial, influencé par l’agenda économique de Trump, susceptible d’entraîner une hausse de la volatilité des marchés et une forte dispersion des taux de croissance (guerre commerciale). L’environnement reflationniste devrait soutenir les actifs risqués, dont les actions. La préférence pour les Etats-Unis est confirmée, au moment où l’Europe et la Chine font face à des problèmes structurels et des aléas politiques ou géopolitiques. La toile de fond reflationniste soutient les secteurs cycliques, les S&MidCaps, au détriment des secteurs défensifs comme la santé et les utilities. Les thèmes privilégiés sont l’IA, la modernisation des infrastructures (électrification), et la déréglementation.
La prime de risque sur les actions US est désormais négative, la plus basse depuis 2002.
Ce consensus a été élaboré après les élections américaines, ce qui explique la forte homogénéité du discours. L’anti-consensus semble dès lors un exercice clé pour préparer 2025. La première préoccupation porte sur la valorisation. Il y a une incompatibilité entre le scénario économique de reflation et la valorisation des actifs risqués (actions, dette High Yield), qui sont sur un haut de cycle, et le début d’un cycle de baisse des taux. Les spreads de crédit n’offrent aucune marge de sécurité (260pb pour le High Yield US vs. un spread historique de 490pb). La prime de risque sur les actions US est désormais négative, la plus basse depuis 2002. Une mesure de valorisation composite est revenue sur le précédent pic de 2021, avec une prime qui va de 32% (P/E fwd) à +83% (Price-to-Sales). Au milieu de range, le multiple EV/EBITDA affiche une prime historique de 46%. Pour contourner l’écueil de la valorisation, le consensus met en avant une opportunité historique pour le stock picking après le carnage de la gestion active en 2024. Même si les marchés non-US affichent une décote historique, le consensus maintient une aversion à l’Europe et à la Chine.
La deuxième incompatibilité est le maintient d’un cycle de baisse des taux de la Fed (taux attendu à 3,70%, en baisse de 90pb), dans un contexte de croissance nominale du PIB soutenue (+4,5%) et de relance fiscale. Le conflit entre la Fed et la Maison Blanche et la menace de dominance budgétaire ne sont pas intégrés dans la prévision de taux 10 ans à 4,10% en 2025 (et une pente 10/2 ans à 54pb).
Finalement, il y a de fortes chances que 2025 s’inscrive en dehors du sentier très étroit des prévisions 2025. Les Etats-Unis ont une capacité de surprendre à la hausse le consensus, surtout avec la concomitance de trois leviers puissants: révolution de l’IA (dont l’intensité sera plus forte qu’internet), le choc de la dérégulation (comparable à celui des années Reagan), et la détente fiscale couplée avec une détente monétaire globale. Les investisseurs américains sont déjà très investis en Actions, notamment après les flux nets de 1 trillion dans les fonds Actions cette année. Toutefois, l’encours record des fonds monétaires aux Etats-Unis (7 trillions) plaide pour une poursuite du mouvement de réallocation. A l’inverse, la menace de relèvement des tarifs douaniers affichée par Trump est une réminiscence de la Grande dépression des années 30, qui avait eu comme catalyseur une hausse de taxes à l’importation de même ampleur (Hawley-Smoot tariffs). Le dernier point est le risque de résurgence de l’inflation, qui est dans les esprits, mais pas dans les prévisions.
Au total, le consensus 2025, largement influencé par la dynamique reflationniste observée depuis le mois de septembre et amplifiée par l’élection de Trump, devrait maintenir son momentum au moins jusqu’à l’investiture de Donald Trump le 20 janvier. Par la suite, une actualisation du scénario 2025 sera sans doute nécessaire: «tout peut arriver dans ce monde et singulièrement ce que nous n'avons pas prévu» (Boris Vian). Au cours des 20 dernières années, l’erreur médiane de prévision sur la performance du S&P500 est de 5,9% en cas de sous-estimation et de 7,7% en cas de surestimation. En valeur absolue, l’erreur moyenne de prévision est de 10%, ce qui est exactement la performance moyenne annuelle du S&P500 au cours des 20 dernières années. En d’autres termes, l’erreur moyenne de prévision est égale à l’espérance de rendement. Chaque exercice annuel de prévision est ainsi l’occasion de nous rappeler le caractère fragile et futile de la prévision et l’impératif de se préparer au certain et surtout à l’incertain.