Tout est dans la tête – Weekly note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

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Il convient de rappeler que les exagérations créent des opportunités et qu’il est judicieux de prendre un peu de recul.

Il n’y a rien à craindre - excepté la peur. Actuellement, les marchés et les médias semblent être obnubilés par une seule chose. Et pourtant, personne ne sait précisément ce qui relève de la réalité et ce qui est pure imagination, le résultat étant le même en bourse puisque vendeurs et acheteurs agissent toujours en fonction de leurs attentes. Voilà pourquoi ils oscillent entre espoir et inquiétude depuis deux semaines, tandis que les mesures sanitaires, monétaires et d’autres dispositions d’urgence tentent de normaliser une situation extrêmement complexe. Dans ces périodes mouvementées, il convient de rappeler que les exagérations créent des opportunités et qu’il est judicieux de prendre un peu de recul. C’est ce que démontre également notre nouvelle étude portant sur les données de 120 années d’histoire des marchés financiers.

1. Incroyable: le tour du monde en 80 jours

Le pari fou de Phileas Fogg dans le célèbre roman de Jules Vernes, qui semblait impensable au XIXe siècle, est devenu réalité dans le cas de la propagation mondiale du Covid-19 (SARS-Cov-2) depuis la première infection sur un marché de Wuhan. Ce virus s’est diffusé en l’espace de 80 jours seulement, et la panique qu’il a provoquée sur les marchés financiers s’est répandue nettement plus vite encore. Ce qui est vraiment fou, c’est qu’à l’époque comme aujourd’hui, l’écho médiatique a été modéré au début pour prendre ensuite une dimension hystérique, de sorte que bien des choses ont dérapé, dans le roman comme dans la réalité. Néanmoins, les krachs boursiers et les hystéries liées à des épidémies n’ont rien de nouveau. La crise des tulipes, la crise asiatique, la crise Internet, la crise bancaire et les crises immobilières tout comme le SIDA, le SRAS, la grippe aviaire, la peste porcine et Ébola ont déclenché des psychoses qui se sont révélées parfaitement démesurées a posteriori. Celles-ci ont toutes un point commun: dès que les hommes agissent ensemble, espoirs et inquiétudes les envahissent. Ces comportements séculaires induisent parfois des exagérations qui entraînent l’euphorie ou la panique.

Points communs des krachs et des reprises

Une étude plus approfondie met en évidence des points communs. Voici trois réflexions à cet égard:

  1. C’est la psychologie de foule, non les «fondamentaux», qui donne le ton d’un krach et d’un redressement. Tout investisseur qui se concentre uniquement sur l’actualité ou sur les données fondamentales interprète la panique de façon erronée et rate les opportunités de positionnement créées par une crise. Ce principe est toujours valable actuellement.
  2. Aucun krach ne dure indéfiniment. Les investisseurs expérimentés savent que les crises offrent les meilleurs créneaux pour prendre des positions. La nuit est la plus sombre avant le lever du soleil. Ce principe s’applique également en bourse. C’est pourquoi la première reprise procure généralement le plus gros gain en une seule journée. C’est ce qu’il s’est passé ce lundi, lorsque l’indice Dow Jones a enregistré, en points, la plus forte progression de son histoire en une séance. De tels gains récompensent les courageux, car ceux-ci investissent avant que les médias n’annoncent le redressement.
  3. Lorsque les marchés boursiers semblent capituler et que l’économie est grippée, les mesures de relance monétaire puis budgétaire interviennent. Les investisseurs performants y voient là un signal précieux: encore faut-il être positionné.

La crise boursière actuelle est-elle différente?

Il est bien sûr possible d’estimer que la panique actuelle des investisseurs constitue une exception à la règle. Mais l’histoire s’oppose de tout son poids à cette hypothèse. Les hommes, les entreprises et les sociétés ont toujours été extrêmement flexibles, élaborant des stratégies pour éviter les risques, les gérer ou s’en accommoder. Il est par conséquent erroné d’extrapoler à l’avenir la stagnation économique des dernières semaines.

Il faut bien retenir une chose: selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 1,35 million de personnes meurent dans des accidents de la route chaque année, soit 3700 en moyenne par jour, mais nous nous sommes habitués à de tels risques. Le nombre de cas confirmés d’infection par le coronavirus est probablement inférieur à la réalité, tandis que le nombre de décès recensés est exact, ce qui laisse penser que la propagation réelle pourrait être nettement plus importante aujourd’hui déjà et le risque de décès bien plus faible que ne le suggèrent les statistiques. Lors d’hystéries antérieures liées à une épidémie, les grands titres alarmistes se sont révélés être, après coup, des contre-indicateurs boursiers. Dans les années 1980, de nombreux médias avaient annoncé que le virus du SIDA décimerait la population africaine. Voici quelques mises en garde médiatiques réunies par Yardeni Research qui ont été généralement suivies par une évolution favorable de la bourse:

  • 22 mai 1995, Newsweek: «Killer Virus: Beyond the Ebola Scare: What Else Is Out There?» (Virus mortel: au-delà de la peur d’Ébola, qu’y a-t-il d’autre?)
  • 26 avril 2003, The Economist: «The SARS virus: Could it become China’s Chernobyl?» (Le virus du SRAS pourrait-il devenir le Tchernobyl chinois?)
  • 5 mai 2003 Time: «The Truth About SARS» (La vérité sur le SRAS)
  • 5 mai 2003 Time (Asie): «SARS NATION: How this epidemic is transforming China» (NATION DU SRAS: comment cette épidémie transforme la Chine)
  • 29 septembre 2014, Bloomberg Businessweek: «Ebola Is Coming» (Ébola arrive)
  • 13 octobre 2014, Time for Kids: «Chasing Ebola in America; in West Africa» (À la recherche d’Ébola en Amérique; en Afrique occidentale)
  • 10 décembre 2014, Time: «Time’s person of the year: the Ebola fighters» (Les combattants d’Ébola élus personnalités de l’année par le Time)
  • 11 mars 2016, Newsweek: «Zika Bites» (Zika mord)
  • 1er février 2020, The Economist: «How bad will it get?» (À quel point la situation va-t-elle se détériorer?)
  • 10 février 2020, Bloomberg Businessweek: «Man vs. Microbe—The Coronavirus is just the beginning. We are so not ready for this» (Homme vs microbe: le coronavirus n’est que le début. Nous ne sommes absolument pas préparés)
  • 27 février 2020, The Economist: «It’s going global» (L’épidémie devient mondiale)

Implications pour les investisseurs

  1. Les crises mettent en évidence le bien-fondé de la diversification. Toute personne ayant souscrit un mandat de gestion de fortune profite de la résistance de celui-ci aux turbulences ainsi que des opportunités dans les périodes favorables. À long terme, c’est la voie royale des placements d’actifs.
  2. Les stratégies «core-satellites» permettent de tirer parti des nouveaux bénéficiaires d’une reprise après un krach. Cette fois encore, ce sont les actions les plus performantes des dernières années qui ont dévissé le plus fortement. La valeur boursière des titres du secteur informatique, par exemple, a chuté de 700 milliards USD la semaine dernière.
  3. L’économie numérique est celle qui profite le plus de cette crise. Qu’il s’agisse de la numérisation du secteur de la santé ou de l’automatisation des procédés de production, la numérisation aide toujours les entreprises et leurs employés à mieux se protéger contre les maladies infectieuses et à renforcer leurs processus commerciaux. Comme l’essor de l’économie numérique est dopé par la crise actuelle, les investisseurs devraient en profiter.
2. Encourageant: quatre jours en Afrique

Cette semaine, j’ai passé quatre jours en Afrique. Prendre du recul m’a fait du bien, je l’avoue. Après un week-end passé en Ouganda, où j’ai créé il y a vingt ans «Kids of Africa», une fondation d’aide à l’enfance, j’ai rendu visite à des clients dans la capitale kenyane. Il s’agit d’entrepreneurs ayant une grande expérience de la vie et de l’international, qui surveillent également les marchés de près en tant qu’investisseurs. La plupart dirigent avec succès des entreprises familiales, et bon nombre d’entre eux constituent déjà la deuxième ou la troisième génération.

Lors de ces brefs voyages dans des endroits qui me sont familiers, j’apprécie de nombreuses choses, et parfois également la distance intérieure que je peux prendre par rapport à l’agitation qui nous préoccupe régulièrement ici. Pour moi, cette distance intérieure ainsi qu’une faculté générale d’abstraction comptent parmi les vertus fondamentales de la gestion de fortune, en particulier dans les périodes mouvementées. Et pour entretenir ces vertus, il n’est bien sûr pas nécessaire de changer de décor ou de voyager dans des pays lointains. Il s’agit bien plus d’une attitude fondamentale.

J’aimerais exposer ici brièvement trois réflexions en lien avec ce séjour en Afrique.

  1. Le virus. Les perturbations qui y sont liées se ressentent (encore) peu au quotidien en Afrique pour trois raisons: premièrement, les «groupes à risque» (c.-à-d. les personnes âgées, les fumeurs ou les diabétiques) y sont nettement moins nombreux. Deuxièmement, le système de santé y est confronté à des défis plus importants que les épidémies de grippe. Selon les estimations de l’OMS, la malaria y fait encore 400 000 victimes chaque année. La peur du virus Ébola est toujours présente. Et actuellement, des sauterelles en essaims gigantesques dévorent quotidiennement la nourriture de 35 000 personnes. Elles parcourent 150 kilomètres en une seule journée et se multiplient à une vitesse vertigineuse, de sorte que 25 millions de personnes souffrent déjà d’une pénurie alimentaire selon les rapports de l’ONU. Une plaie qui rappelle celle de l’Ancien Testament. Troisièmement, aucun pays d’Afrique ne dispose d’infrastructures médicales ni de systèmes de prévention des épidémies comparables à ceux que l’on trouve en Occident ou en Asie, ce qui n’est pas favorable bien entendu. Mais l’état d’esprit qui en découle est différent de celui de l’Europe par exemple.
  2. L’économie. Les métropoles africaines sont des creusets dynamiques qui se mondialisent de plus en plus. Dans bien des pays, le revenu moyen par habitant augmente, la classe moyenne connaissant une rapide expansion depuis plus de dix ans. Les «Perspectives économiques régionales» pour l’Afrique établies par le Fonds monétaire international (FMI)1 en dressent un tableau impressionnant. Il n’y a pratiquement rien que l’on ne puisse trouver là-bas. La dynamique entrepreneuriale d’économies en plein boom comme le Kenya, le Nigeria ou l’Éthiopie est parfaitement décrite par l’abréviation «FMCG» – «Fast Moving Consumer Goods» (essor rapide des biens de consommation). C’est la même dynamique qui a préparé un terreau fertile pour l’entrepreneuriat en Asie ces vingt dernières années. Bien sûr, la corruption, les défaillances de gouvernance et la dégradation de l’environnement sont les graves corollaires de cette évolution. Mais les chefs d’entreprises familiales (je l’ai observé en Suisse comme en Asie et en Afrique) pensent et agissent généralement à long terme, de manière responsable et durable, sans quoi leurs sociétés ne pourraient pas rester performante au fil des générations. Prudence entrepreneuriale, flexibilité et esprit d’innovation sont les principaux facteurs de succès de toute économie compétitive. Et c’est particulièrement vrai en Afrique. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que de nombreux entrepreneurs africains parlent avec une grande estime de leur collaboration de longue date avec des entreprises industrielles suisses, tout comme les entrepreneurs helvétiques ne tarissent pas d’éloges sur les sociétés familiales africaines. En résumé, l’essor de ce vaste continent offre une grande opportunité dont les entreprises et les investisseurs suisses peuvent profiter.
  3. Comment investir? Je distingue un réel potentiel économique en Afrique, mais la plupart des entreprises appartiennent à des familles et ne sont pas cotées en bourse. Il existe néanmoins d’intéressants investissements thématiques qui permettent de tirer parti de certaines de ces grandes opportunités. Le Credit Suisse Responsible Consumer Fund, par exemple, s’intéresse à la dynamique «Fast moving consumer goods» d’une classe moyenne montante. Les fonds de microcrédits tentent de profiter de l’inclusion financière croissante en Afrique, mais aussi dans d’autres régions du Sud de la planète. Les obligations vertes offrent une alternative aux emprunts traditionnels. En outre, elles sont souvent garanties par des institutions supranationales comme la Banque mondiale et soutiennent d’importants projets d’infrastructures tels que des centrales hydro-électriques. Et le Credit Suisse Edutainment Fund mise sur les évolutions démographiques, économiques et technologiques en Afrique ainsi que dans d’autres pays émergents.
3. Rassurant: 120 années d’histoire des marchés financiers mondiaux

Le «Credit Suisse Investment Return Yearbook»2, un compendium actualisé chaque année et prisé des investisseurs et des stratèges, est paru cette semaine. Sa date de publication semble idéale, car ce qu’il enseigne à partir de chiffres couvrant 120 années d’histoire des marchés financiers est rassurant3:

  1. La patience est payante en matière de placements. En termes réels, les actions mondiales ont dégagé des rendements annuels de 6,6% sur cette longue période. Un dollar américain investi en bourse aurait rapporté jusqu’à présent 58'191 USD en valeur nominale et 1937 USD en valeur réelle.
  2. La bourse est le miroir de son époque. Au début du XXe siècle, le marché anglais constituait 20% de la capitalisation boursière mondiale, se taillant ainsi la part du lion. Aujourd’hui, ce sont les États-Unis qui se classent en tête avec 54%, contre 4% pour la Chine. Vers 1900, les actions des chemins de fer représentaient deux tiers de la capitalisation boursière, suivies par les titres bancaires. À présent, les deux plus grands secteurs boursiers sont la santé et la technologie.
  3. La performance des actions est généralement deux à trois fois supérieure à celle des obligations. Tandis que le rendement moyen des premières s’est élevé à 6,6%, celui des secondes était de 2,5%. En moyenne historique mondiale, les primes de risque des actions se sont établies à 4,3%. Aujourd’hui, elles sont supérieures de plus de 50%.
  4. La bourse helvétique affiche une longue «success story». Au cours des 120 dernières années, aucun pays n’a disposé d’une monnaie plus forte, n’a enregistré une inflation plus faible et n’a émis des emprunts d’État plus performants que la Suisse. Le rendement moyen des obligations helvétiques s’est établi à 2,4% par an au cours de cette période, et celui des emprunts de la Confédération à long terme a même atteint 3,1% en USD. En dépit de la vigueur du franc, les entreprises suisses ont affiché elles aussi des résultats supérieurs à la moyenne. Leur capitalisation boursière est plus importante que celle de leurs homologues allemandes.
  5. L’engouement pour la durabilité révolutionne la gestion de fortune. Plus de 31'000 milliards de francs sont déjà gérés selon les principes ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). La nouvelle édition de notre Yearbook prévoit une augmentation à 40'000 milliards USD cette année. Cette évolution explique peut-être en partie la sous-performance persistante du secteur de l’énergie et d’autres titres de valeur abordés dans cette lettre d’information il y a deux semaines déjà.

 

3 Les indications de performances historiques et les scénarios de marchés financiers ne constituent pas une garantie des résultats futurs.

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