Passif et gratuit, vraiment?

Bernard Lalière, DPAM

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Tous frais compris, l’indiciel n’est pas aussi intéressant qu'il n'y paraît à première vue, du moins pour la gestion obligataire.

Les ETF ont connu une croissance ininterrompue depuis leur lancement dans les années 1990. On en dénombre actuellement 12'000 dans le monde et leurs actifs sous gestion sont de l’ordre de 13'000 milliards de dollars. Le succès de ces véhicules de placement peut être attribué à divers facteurs tels que le coût, les avantages des stratégies indicielles, la facilité d’accès et la liquidité. Bien que ces atouts paraissent incontestables, une analyse poussée amène à les nuancer.

Pour ce qui concerne les mérites de l’indiciel, rappelons que les ETF peuvent être très hétérogènes et suivre des indices, donc des segments de marché, différents des indices standard.  Le haut rendement en est un bon exemple. Les ETF passifs sur le marché de l’obligataire à haut rendement cherchent à reproduire des indices différents de ceux utilisés par la plupart des fonds de placement gérés de manière active. Et ces indices ne représentent que la partie la plus liquide des indices du marché du haut rendement.

Indices suivis par les ETF et les SICAV pour le segment des obligations à haut rendement : comparaison des performances


Source : DPAM, 2024

 


Tous concernés par l’illiquidité

La plupart du temps, ils tendent à sous-performer les indices élargis suivis par les fonds à gestion active. En outre, malgré le fait que les ETF se focalisent sur les obligations les plus liquides, certaines d’entre elles restent néanmoins difficiles à négocier (après leur émission, elles sont rarement échangées sur le marché secondaire). Or, si les gérants actifs peuvent garder ce type de titres dans leurs portefeuilles, les ETF ne peuvent que s’efforcer de répliquer les performances de ces obligations illiquides. Par conséquent, de nombreux ETF optimisent leurs portefeuilles, optimisation qui se traduit inévitablement par une erreur de suivi et entraîne une sous-performance par rapport à l’indice sous-jacent.

Qu’ils soient passifs ou actifs, tous les gérants sont confrontés au problème d’illiquidité de certaines obligations incluses dans les indices. Examinons les performances pondérées par unité de risque et comparons les résultats des trois plus gros ETF européens en obligations à haut rendement avec ceux des principales SICAV européennes du secteur(1): il s’avère que les ETF tendent à être plus volatils que les fonds, par conséquent leur ratio risque/rendement est moins bon. Il ne semble donc pas y avoir avantage à investir dans les ETF (ceci est encore plus vrai pour les investisseurs qui ont accès aux parts institutionnelles des SICAV qui bénéficient de commissions de gestion inférieures à celles appliquées aux parts destinées aux particuliers).

Cette observation vaut également lorsque l’on examine les baisses enregistrées durant une phase de repli du marché: les ETF affichent des reculs généralement plus marqués que ceux de l’indice. Ceci se vérifie aussi bien pour le haut rendement que pour le segment «investment grade».

Même si les ETF ont gagné du terrain ces dernières années, les ETF obligataires n’ont rien du Graal pour la gestion de portefeuilles de titres à taux fixes.

Les écarts de performance entre les fonds de placement actifs et les ETF peuvent également s’expliquer par le fait que les ETF ne peuvent pas investir sur le marché primaire. Or, les fonds actifs profitent de cette occasion pour engranger la prime habituellement proposée lors de l’émission d’une nouvelle obligation.

Il est également intéressant d’examiner la structure des coûts des ETF. Cette structure est particulière dans la mesure où elle présente à la fois les caractéristiques de la SICAV (frais de souscription/rachats de parts) et celles d’une action ou d’un fonds fermé (négociation en continu sur le marché boursier).  Sur le marché primaire, les parts d’ETF sont créées ou rachetées par les «participants autorisés», puis elles sont négociées sur le marché secondaire comme des actions ordinaires, avec un cours acheteur et un cours vendeur. Pour les ETF les moins échangés, l’écart entre ces cours tend à être important: sur le segment européen des obligations à haut rendement, il n’est que de 0,13% pour les 3 plus gros ETF, alors qu’il atteint 0,21% en moyenne pour l’ensemble des ETF actifs sur ce segment. Par ailleurs, cet écart n’est pas constant et il tend à s’accentuer durant les krachs boursiers, périodes durant lesquelles les ordres des vendeurs dominent. Par conséquent, la liquidité, fréquemment invoquée par les acheteurs d’ETF, n’est pas gratuite.

Primes et décotes

A l’instar des fonds de placement traditionnels, les ETF publient la valeur nette d’inventaire (VNI) de leurs parts à la fin de chaque journée de cotation. Cependant, à la différence des SICAV, leurs parts peuvent être échangées tout au long de la journée de cotation, ce qui donne lieu au calcul d’une VNI intrajournalière ou VNII basée sur les cours des titres détenus par l’ETF. Ainsi, la valeur réelle de la part d’un ETF fluctue autour de cette VNII. Comme pour n’importe quelle action traitée en bourse, si les acheteurs sont plus nombreux que les vendeurs, le cours de la part d’ETF augmente. Si cette augmentation est supérieure à celle des cours des titres sous-jacents, les «participants autorisés» achètent les titres sous-jacents et créent de nouvelles parts d’ETF cotées à leur juste valeur, puis ils vendent les parts d’ETF qui s’échangent avec une prime (il en va de même lorsque les vendeurs sont plus nombreux que les acheteurs).

A la suite de cet arbitrage, la part d’ETF se négocie avec une prime ou une décote. Pour des titres très liquides tels que les actions américaines du S&P 500, ces primes ou décotes sont réduites. Par contre, pour des valeurs telles que les obligations à haut rendement, la prime peut être conséquente. Pour les trois plus gros ETF européens en obligations à haut rendement, cette prime a été de 0,42 point de base en moyenne ces cinq dernières années (0,19 pb pour les obligations d’entreprise qui ont une meilleure liquidité). Dans leur ensemble, les parts d’ETF se négocient avec une prime 70% du temps. Ceci amène en penser que les «participants autorisés» estiment qu’ils ne sont pas en mesure de se fournir en obligations sous-jacentes afin d’arbitrer la prime en créant de nouvelles parts.

Par conséquent, même si les ETF ont gagné du terrain ces dernières années, les ETF obligataires n’ont rien du Graal pour la gestion de portefeuilles de titres à taux fixes. Le premier inconvénient des ETF obligataires réside dans le fait que leur univers d’investissement est différent de celui des indices habituellement utilisés pour les fonds de placement traditionnels. En outre, leurs performances tendent à être inférieures à celles de leurs indices et ils sont plus volatils que ces derniers. A première vue, leurs commissions de gestion peuvent paraître intéressantes comparées à celles des fonds actifs. Mais lorsqu’on additionne tous les coûts qui leur sont imputés, y compris le spread entre cours acheteur et cours vendeur ainsi que la prime moyenne, ils s’avèrent moins concurrentiels qu’on ne le prétend ordinairement.

 


(1) Performances calculées pour les parts de fonds destinées aux particuliers

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