Le mystère de la règlementation chinoise «s’éclaircit»

François Savary, Prime Partners

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L’environnement qui se dessine ne doit pas conduire à la prise de risque en adoptant une politique d’achat sur faiblesse.

En février dernier, dans le sillage des démêlés de J. Ma avec les autorités chinoises nous avions exprimé – dans ces colonnes – notre scepticisme sur la validité de l’argument selon lequel le retour naissant de la réglementation étatique en Chine était une «bonne» campagne pour lutter contre le pouvoir (économique) excessif des monopoles. Le moins que l’on puisse dire est que les derniers mois nous ont prouvé que la «correction de distorsions de marché» ne constitue pas la priorité de X. Jinping et de ses camarades du Parti Communiste Chinois!

En quelques mois, les prémices de la reprise en mains de l’économie par le pouvoir central n’ont cessé de se répandre, affectant l’ensemble des secteurs. A cet égard, la révélation récente du nouveau plan de 5 ans établi par le Conseil d’Etat chinois et le Comité Central du PCC est claire: la vague de retour au contrôle n’est de loin pas achevée! S’il fallait avoir une preuve que le combat engagé en fin d’année dernière contre J. Ma fleurait bon une «reprise en mains» de long terme du pouvoir central bien plus qu’une volonté de corriger l’impact négatif des situations de monopoles existantes, elle est désormais incontestable. Et ce au risque, comme nous l’évoquions en février, de nuire à la capacité d’innovation de la Chine de manière durable.

Au nom de quoi justifier un tel choix? Certes, Pékin a beau jeu de justifier ses actes par une volonté de lutter contre les inégalités sociales, de travailler au développement sain de nouvelles structures grâce à de bonnes lois et une solide gouvernance ou encore les besoins de la sécurité nationale, il n’en demeure pas moins que les arguments peinent à convaincre.

L’absence de clarté sur son objectif final ne peut conduire, en l’état, qu’à formuler des hypothèses qui laissent un goût d’incertain persistant.

Les plus sceptiques on beau jeu de mettre en avant des explications plus plausibles: reprise en mains idéologique à marche forcée face aux errances «individualistes», main basse sur le pactole des sociétés privées (très) rentables ou encore une volonté de se dégager de l’emprise des capitaux occidentaux, devenus trop «dangereux» dans un monde de tension sino-américaine croissante. A cet égard, les récentes informations sur la construction d’un nombre très conséquent de silos capables de recevoir des missiles (nucléaires) démontre une nouvelle fois la préparation des autorités de Pékin pour faire face à situation géopolitique tendue entre les deux rives du Pacifique.

Sommes-nous en train d’assister in vivo à la fossilisation du climat de «guerre froide» entre Pékin et Washington? Tous les moyens seront-ils mis en œuvre pour assurer la puissance du «réduit de l’Empire du Milieu» contre l’agressivité de l’Oncle Sam, au risque de nuire à la capacité d’innovation de l’économie chinoise? S’il est vrai que le complexe militaro-industriel peut conduire à des transferts technologiques importants dans le cadre d’une politique d’autosuffisance, les coûts globaux pour l’économie chinoise ne seront pas anodins et ils semblent peu compatibles avec la volonté (affichée) de réduire les inégalités!

Tout cela pour dire que si l’on assiste très clairement à une réglementation-reprise en mains majeure en Chine, que nous avons été trop lents à estimer à sa juste valeur peut-être. L’absence de clarté sur son objectif final ne peut conduire, en l’état, qu’à formuler des hypothèses qui laissent un goût d’incertain persistant. Dans un tel contexte, il n’y a rien d’illogique à ce que le marché des actions chinoises connaisse une «déroute» depuis février 2021, qui laisse les investisseurs sur une interrogation légitime: saisir l’opportunité qui s’est ainsi créée ou bien conserver une attitude prudente à l’encontre de ce marché?

Les entorses apportées par les autorités de Pékin à l’état de droit et le sentiment diffus que «tout est possible» doit inciter à pencher pour la seconde option, selon nous. Ce constat est encore renforcé par certains éléments qui semblent indiquer que si certains investisseurs privés peuvent être enclins à partir à la «pêche aux bonnes affaires», les institutionnels demeurent vendeurs malgré la baisse de 16% de l’indice CSI 300 depuis mi-février, qui a toutefois connu un rebond depuis 15 jours (6% environ).

Le mystère de la réglementation chinoise s’éclaircit donc, tout au moins pour ce qui a trait à son caractère global, durable et aléatoire. L’environnement qui se dessine ne doit pas conduire à la prise de risque en adoptant une politique d’achat sur faiblesse. Depuis 2012, nous sommes nombreux à tenter de comprendre où X. Jinping entend conduire son pays; force est de constater que le mystère est désormais moins opaque, ce qui ne veut pas dire plus prévisible. Dès lors, une position attentiste est amplement justifiée.

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