Le marché poussera-il les banquiers centraux à la faute?

François Savary, Prime Partners

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L’ajout des incertitudes monétaires est peut-être plus fort que ce que l’on pouvait anticiper il y a quelques mois encore.

Le marché obligataire ne cessera pas de nous étonner en cet été 2021; alors que l’inflation atteint des niveaux qui n’avaient plus été observés depuis bien longtemps et ce même au niveau des indices «core», le rendement des obligations US à 10 ans se languit autour des 1,3% et il s’est même offert le luxe de reculer dans le sillage de la publication des indices CPI et PPI la semaine dernière. Tout se passe donc comme si les opérateurs de marché étaient convaincus que l’inflation ne durerait pas ou que la croissance américaine est mûre pour une forte décélération, voire un peu des deux peut-être.

Prédire l’inflation est un art compliqué à l’image des vingt dernières années durant lesquelles les grands argentiers ont connu bien des déboires sur ce front. Pour ce qui est de l’activité, les choses semblent a priori «plus aisées» tant il est vrai qu’un certain nombre d’indicateurs avancés ont démontré, récemment encore, leur capacité à anticiper les évolutions conjoncturelles de manière très satisfaisante; à cet égard, il faut reconnaître que les derniers chiffres dont nous disposons sur les indices PMI sont loin de valider l’idée que nous sommes à l’aube d’un ralentissement marqué de la conjoncture, aux USA ou en Europe par exemple.

Il n’y a rien d’étonnant que les incertitudes conjoncturelles augmentent dans la phase actuelle de la reprise, à un moment où la vaccination contre la Covid-19 est largement engagée et alors qu’une forme de normalisation de l’activité est due après les mouvements erratiques des derniers trimestres. Cependant, l’ajout des incertitudes monétaires est peut-être plus fort que ce que l’on pouvait anticiper il y a quelques mois encore. En Europe, le changement d’objectif d’inflation par la BCE (passage d’une cible asymétrique à un objectif de plus ou moins 2%) alimente les questionnements sur sa mise en œuvre et les risques de voir augmenter les dissensions au sein de l’organisme monétaire entre les faucons anti-inflation et les décideurs plus enclins à laisser les prix filer quelque peu. A cet égard, Monsieur Rogoff a été on ne peut plus clair sur les vertus d’une progression légèrement plus forte des prix (autour de 3%) dans un article récent (Financial Times du 17 juillet); certains membres (du bloc «nordiste») ne manqueront pas de considérer les arguments de K. Rogoff; les entendront-ils? c’est une autre histoire.

Les Etats-Unis ne sont pas en reste. A l’image des propos totalement dissonants de Messieurs Powell et Bullard cette semaine, alors que tous deux siègent au conseil de la Réserve Fédérale; si le second milite pour une réduction rapide des achats d’actifs, justifiée selon lui par la bonne santé économique, le premier n’a eu de cesse de prôner la patience et le pragmatisme face aux incertitudes économiques qui ne justifient pas de changer de cap trop rapidement. En matière de politique monétaire, il y a toujours un pilote dans l’avion mais il peut être dangereux que les dissensions s’étalent au grand jour, au risque de voir les opérateurs de marché ou ce que certains qualifieront de «spéculateurs» jouer avec ces dernières.

Que l’on apprécie ou non l’action des banquiers centraux depuis une vingtaine d’années dans le combat contre les crises que nous avons connues et même si nous sommes désormais dans un contexte où la politique fiscale a clairement pris une place centrale dans l’architecture économique mondiale, la politique monétaire demeure une carte importante dans l’organisation pour tenter de remettre l’économie globale sur les rails de la croissance «pérenne». On peut discuter longtemps sur la question du niveau de crédibilité dont les grands argentiers disposent encore mais une chose demeure: ces derniers restent mus par la volonté de demeurer aussi crédibles que possible!

Dans un tel contexte, la Fed pourra se rassurer en se disant que les opérateurs semblent avoir parfaitement intégré l’idée que l’inflation ne durera pas mais que se passera-t-il si tel n’est pas le cas? Monsieur Bullard pourra alors se prévaloir du fait qu’il avait lui perçu les dangers de la poursuite des achats d’actifs! A contrario, si J. Powell cède aux injonctions de Monsieur Bullard et que l’activité économique freine plus fortement qu’escompté, on peut imaginer ce que cela pourrait signifier pour les marchés financiers qui ont largement intégré le «scénario rose» pour l’avenir.

Alors que l’on sait que la Réserve Fédérale va réduire ses achats d’actifs dans un avenir assez proche, la question difficile du timing de sa mise en œuvre est chaque jour plus pressante; ce dernier phénomène est logique puisque la «date butoir» du début 2022 approche. Comme en bien des matières, le timing monétaire est une chose compliquée et a de quoi nourrir les incertitudes sur les marchés; pour l’heure, les bourses ne se sont guère inquiétées même si l’on note quelques signes récents de fragilité (volumes en baisse, réduction des titres soutenant la progression des indices, volatilité accrue etc…). Dans un tel contexte, les dissonances affichées par les banquiers centraux ne sont pas les bienvenues en espérant que les réunions de la BCE, cette semaine, les décision de la Fed, fin juillet, et  le symposium  de Jackson Hole, en août, nous permettront d’y voir un peu plus clair et de disposer d’un cap plus précis sur ce que les grands argentiers ont à l’esprit.  

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