Le luxe, une occasion en or?

Bruno Jacquier, Atlantic Derivatives SA

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Une partie des investisseurs cherchent à vendre leurs actions LVMH, Hermès ou Kering. Le dernier épisode de volatilité sur le marché des actions les a incités plus encore à réduire leur exposition.

La baisse du pouvoir d'achat des ménages commence à se faire sentir à l'échelle mondiale et pèse désormais sur les ventes de biens et services. Après plusieurs années marquées par une inflation galopante et des taux d'intérêt élevés, les consommateurs ont utilisé une large partie de l'épargne accumulée durant la pandémie de Covid et ils sont devenus réticents à souscrire des crédits devenus onéreux. Ce double phénomène impacte négativement les résultats financiers des géants de l'agroalimentaire, des constructeurs automobiles… mais aussi ceux des maisons de luxe.

L'époque où les maisons de luxe connaissaient une croissance spectaculaire de leurs bénéfices semble révolue. En conséquence, une partie des investisseurs cherchent à vendre leurs actions LVMH, Hermès, Kering, Richemont ou Burberry. Le dernier épisode de volatilité sur le marché des actions, au début du mois d’août, les a incités plus encore à réduire leur exposition, comme ils l'ont fait aussi pour d'autres grandes capitalisations de croissance. La saison de publication des résultats du deuxième trimestre a confirmé le ralentissement de la demande pour les produits haut de gamme. LVMH, leader mondial du luxe, dont les activités s'étendent de la maroquinerie au champagne, a enregistré une faible croissance de ses ventes, notamment sur un de ses marchés cruciaux: la Chine. Toutefois, les marques qui s'adressent à une clientèle très fortunée, comme Hermès, ont relativement mieux résisté. La situation a été plus difficile pour les autres, comme en témoigne la série d'avertissements sur résultats de Burberry, Hugo Boss et Kering, propriétaire de Gucci. Tour à tour, les analystes ont abaissé leurs prévisions de bénéfices, les ramenant ainsi au niveau du consensus de février 2023. Il n'en fallait pas davantage pour que les stratèges des banques d'investissement, telles que Barclays, BNP Paribas ou JP Morgan, déclassent le secteur dans son ensemble.

La correction boursière des derniers mois a été si puissante (cf. graphique 1) que, même en tenant compte de la baisse des prévisions bénéficiaires, elle est parvenue à ramener sur terre les ratios de valorisation. Les actions des sociétés stars comme LVMH, Kering et Richemont se négocient toutes en dessous de 20x les bénéfices escomptés pour 2025, un ratio proche de la moyenne des dix dernières années. Il devient de plus en plus probable que le secteur du luxe puisse émerger comme un investissement «contre la tendance». Non seulement, les sociétés ne sont plus hors de prix mais elles pourraient surprendre positivement au cours des prochains mois. Un rebond du volume de crédits, déclenché par des réductions de taux plus rapides et plus fortes que prévu, permettrait de soutenir la demande.

Dans tous les cas de figures, les multinationales du luxe devront résoudre leur casse-tête chinois. En effet, une question demeure: les ventes chutent-elles parce que la crise économique pousse les Chinois à se serrer la ceinture, ou est-ce que certaines marques perdent de leur attractivité? La réponse à cette interrogation sera capitale car elle aura une incidence sur les perspectives à long terme des maisons de luxe. S'il s'agit simplement d'un problème conjoncturel, la faiblesse des bénéfices peut être interprétée comme un incident temporaire. En revanche, si les consommateurs chinois se mettent à considérer les produits de luxe, non plus comme des objets de collection, mais comme des marchandises ordinaires, alors les marques devront réduire leur offre, de manière à restaurer l'effet de rareté.

Les investisseurs ont en tête que de nombreux Chinois achètent des produits de luxe (aussi) à des fins d'investissement. Les marques ayant une meilleure valeur de revente ont tendance à attirer les nouveaux acheteurs et à générer davantage de revenus. Les sacs à main Chanel, par exemple, sont très appréciés en raison de leur valeur de revente. Cela a permis à la marque d'accélérer la hausse de ses prix de vente. Le prix de son sac à rabat classique de taille moyenne, a plus que doublé entre 2016 et 2024, passant de 4'900 à 10'800 dollars. Avec l'essor des plateformes de vente en ligne, de nombreux consommateurs ont pu profiter des hausses de prix de Chanel et vendre leurs articles d'occasion en réalisant un bénéfice. Tant que ce phénomène perdurera, la demande demeurera forte. Parmi les sociétés cotées, les prix des produits d'occasion d'Hermès ont continué d'augmenter au cours des derniers trimestres, alors que de nombreuses autres marques de luxe, dont Louis Vuitton et Dior, ont connu une baisse. Kering, quant à elle, se trouve en bas du tableau. Sa marque phare, Gucci, dispose de trop de canaux de vente à prix réduits, des ventes privées aux magasins d'usine, principalement en Asie. L'effet de rareté ne s'applique pas. Gucci se vend d'occasion sans prime, mais avec une décote d'environ 40%.

Les sociétés comme Hermès et, dans une moindre mesure Richemont et LVMH (cf. graphique 2), devraient continuer à afficher une plus faible volatilité de leurs revenus. Leurs marques emblématiques étant plébiscitées, elles disposent d'un puissant pouvoir de fixation des prix et les consommateurs misent sur une revente d'occasion rentable. Elles seront certainement privilégiées par les investisseurs dans cette phase de diminution du pouvoir d'achat et de coût élevé du crédit. En revanche, les autres grandes marques de luxe (cf. graphique 3) continueront de comporter davantage de risque.

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