Le jeu (vidéo) en vaut la chandelle

Bruno Jacquier, Atlantic Derivatives SA

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Dans un monde où les frontières entre réel et virtuel deviennent de plus en plus floues, le secteur des jeux vidéo est en train de se transformer en un colosse économique.

Malgré le durcissement de la réglementation en Chine, le nombre de joueurs ne cesse d'augmenter à travers le monde. De surcroît, le profil des joueurs est de plus en plus diversifié et l'amélioration de la connectivité mobile facilite l'accessibilité aux jeux vidéo. Cette industrie est aujourd'hui en plein essor, au cœur d'une bataille où innovation et créativité dictent la valorisation de sociétés. Malgré cela, la performance boursière du secteur ne cesse de décevoir. Depuis la bulle financière de février 2021, artificiellement gonflée par les périodes de confinement durant la pandémie de Covid-19, les ETF qui regroupent les principales sociétés du secteur (HERO US, GAMR US, NERD US) sous-performent de -45% à -60% l'indice MSCI World. Jusqu'en octobre 2022, la contre-performance pouvait sembler justifiée, mais depuis huit mois le mouvement semble exagéré (cf. graphique).

Graphique – Depuis les confinements, le secteur des jeux vidéo est tombé dans l'oubli

Le cloud gaming qui est en train de bouleverser l'industrie. Cette technologie permet aux joueurs d'accéder à des jeux de haute qualité sans avoir à investir dans du hardware coûteux, tandis que les sociétés du secteur peuvent développer des modèles d'abonnement semblables à ceux de Netflix. Anticipant une transformation du marché comparable à celle qu'a connue l'industrie de la musique ou du cinéma avec le streaming, Google (Stadia), Microsoft (Xbox Cloud Gaming) et Sony (PlayStation Now) investissent massivement dans cette voie. La transition vers le cloud gaming et les modèles économiques associés a des implications significatives pour la valorisation des sociétés cotées. Plus que les ventes de hardware et de jeux physiques, c'est dorénavant la capacité des entreprises à attirer les joueurs et à monétiser les services numériques qui a de l'importance. Les revenus récurrents, par définition plus prévisibles et plus stables, sont plus chèrement valorisés par les investisseurs. De la même manière, la réalité virtuelle, l'intelligence artificielle (IA), la blockchain, le eSport, les streamers et les forums en ligne ont un impact crucial sur la promotion et le succès des jeux vidéo.  

Le secteur est confronté à plusieurs défis réglementaires et éthiques, notamment en termes de protection des données, de propriété intellectuelle, de défis sociaux et environnementaux (durabilité, inclusion, santé mentale). De nombreux pays examinent de près ces questions, ce qui a déjà commencé à entraîner des changements dans la réglementation et donc dans les pratiques commerciales. En Chine, les mesures prises entre 2021 et 2023, destinées à lutter contre les phénomènes d'addiction, ont restreint le temps d’écran accordé aux enfants pour jouer. Pékin a également limité le montant mensuel maximum que les mineurs ont le droit de dépenser en microtransactions, alors qu'auparavant ils avaient tendance à débourser des sommes colossales pour progresser plus rapidement dans les jeux. Ce type de mesures freinent le développement des jeux vidéo et permettent d'expliquer la forte correction des cours boursiers des sociétés du secteur, au premier rang desquelles le géant national Tencent. Le secteur a également connu d'importantes vagues de licenciements: 10'000 emplois perdus en 2023 et déjà 8'000 en 2024. Ces chiffres confirment l’ampleur de la crise qui touche l’industrie, particulièrement en Amérique du Nord et en Europe. L'augmentation des coûts de développement, le retour à la normale post-pandémique et les acquisitions ambitieuses permettent d'expliquer ce mouvement. Revers de la médaille, les sociétés disposent aujourd'hui d'un appareil productif nettement plus efficient, et sont susceptibles de dégager des bénéfices en croissance.

Pourtant et de manière contre-intuitive, la contraction du pouvoir d'achat des ménages se révèle être un facteur positif pour le secteur. Malgré le fait que les jeux vidéo soient considérés comme des biens de consommation discrétionnaires, la crise économique contraint les consommateurs à arbitrer dans leurs dépenses de loisirs. Lorsque les budgets sont serrés, les jeux vidéo sont perçus comme une forme de divertissement abordable, au détriment des restaurants, musées ou cinémas, et plus encore des voyages ou des vacances. Cherchant à maximiser la valeur de chaque dépense de loisirs, les ménages perçoivent les jeux vidéo comme une source de divertissement rentable. Pour 40 à 70 euros, ils peuvent passer plusieurs centaines d'heures à jouer et à trouver une forme d'évasion et de socialisation. Mieux encore, le contexte de crise économique va favoriser le déploiement des offres d'abonnement payantes, comme le Xbox Game Pass ou le PlayStation Plus.

Dans cet environnement, les fabricants de matériel et les éditeurs de jeux devraient pouvoir faire croître leurs profits. Après deux ans de contre-performance notoire sur les marchés boursiers, en lien avec le durcissement des contraintes réglementaires, les sociétés pourraient de nouveau attirer les investisseurs et amorcer une progression significative.

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