Le durable au centre des débats

Larissa Joubert, DPAM

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Les Etats-Unis se lassent de l’ESG et l’Europe pourrait leur emboîter le pas, mais rien n’est encore joué.

©Keystone

 

Les problématiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) seront au centre des débats en cette année 2024 marquée par une présidentielle cruciale pour les Etats-Unis. Par ailleurs, phénomène nouveau en Europe, les pratiques durables dont l’acceptation avait constamment gagné du terrain ces dernières années commencent à se heurter à des réactions hostiles, similaires à celles que l’on avait déjà pu observer outre-Atlantique.

Multiplication des mesures anti-ESG

Le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat en 2019 avait joué le rôle de catalyseur de la résistance aux critères ESG dans cette partie du monde. Et même si, à la suite de l’élection du président Biden en 2020, les Etats-Unis ont réintégré l’accord de Paris, les actions hostiles aux pratiques durables ont continué à se manifester.

Parmi les plus emblématiques, on peut mentionner l’exigence formulée par le parlement texan en 2021 et selon laquelle les acteurs publics doivent sortir des sociétés d’investissement ouvertement favorables aux pratiques ESG au prétexte que ces sociétés boycotteraient les entreprises énergétiques.  On peut également rappeler qu’en 2022, l’Etat de Floride a introduit une réglementation anti-ESG qui interdit à ses caisses de pension d’investir dans des stratégies qui prennent en compte les facteurs ESG pour des raisons autres que celle de maximiser les performances. En 2023, ce ne sont pas moins de 49 nouvelles réglementations défavorables aux pratiques ESG qui ont été introduites aux Etats-Unis.

L’intensification du mouvement anti-ESG observée cette année s’explique très certainement par l’incertitude du résultat de la présidentielle de 2024.

Sur le plan réglementaire, la bataille autour des problématiques ESG résulte de luttes de pouvoir entre deux partis dont la mission est de ne jamais être d’accord. Une nouvelle vague bleue démocrate se traduirait par le maintien, voire par un éventuel élargissement de réglementations historiques telles que la loi de réduction de l’inflation (Inflation reduction act), les nouvelles normes CAFE (Corporate Average Fuel Efficiency) édictées par l’Agence fédérale pour la protection de l’environnement ou encore les règles récemment adoptées par la SEC. En revanche, une vague rouge pourrait limiter la portée de ces réglementations, voire les abolir.

L’intensification du mouvement anti-ESG observée cette année s’explique très certainement par l’incertitude du résultat de la présidentielle de 2024, car c’est de ce dernier que dépendront les mesures prises pour ou contre les projets de lois en préparation. Par ailleurs, le fait que le secteur privé soit totalement dépourvu de sensibilité tant en matière de promotion des pratiques durables au sein des entreprises que pour ce qui concerne la protection des parties prenantes contre les impacts négatifs des activités des entreprises peut également expliquer la multiplication des mesures anti-ESG. Sur le marché américain, l’absence de responsabilisation devient particulièrement palpable lorsque l’on en vient à considérer le fait que la piètre gouvernance d’une entreprise n’affecte pas nécessairement ses résultats financiers à court, moyen ou long terme. D’ailleurs, nombre d’entreprises américaines qui comptent parmi les plus rentables sont fréquemment pointées du doigt par les agences spécialisées dans l’analyse ESG.

Des conséquences jusqu’en Europe?

Plus étonnant est le fait que le scepticisme vis-à-vis de la durabilité gagne également du terrain dans l’Union européenne. Ce phénomène peut difficilement être dissocié des élections à venir ainsi que d’un contexte où l’on voit d’un côté les Etats européens membres de l’Alliance atlantique planifier une augmentation de leurs dépenses militaires (les 380 milliards de dollars prévus correspondent à 2% de la somme de l’ensemble de leurs PIB, ce qui constitue un record historique) et de l’autre l’UE amenée à réduire de 30% son objectif de réduction des émissions pour 2040 du fait des récentes manifestations des agriculteurs. Même si sur le plan de la durabilité les Etats-Unis ont toujours été considérés comme un cas particulier, il n’en reste pas moins vrai que toute décision prise à Washington aura des implications pour l’Union européenne. On ne peut donc que s’interroger pour savoir si les mesures prises aujourd’hui doivent être considérées comme préventives par rapport aux barrages qui pourraient être mis en place dès la fin de cette année.

Ce retour de manivelle en matière d’ESG entraîne un affaiblissement des mesures prises par l’UE dans ce domaine. Il pourrait donc bouleverser toute la politique de durabilité qu’elle a mis des années à mettre en place et qui était ambitieuse. Jusqu’à très récemment, il paraissait impensable de prendre la moindre liberté par rapport à la stratégie de décarbonisation établie dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, pourtant, nous nous trouvons déjà aujourd’hui confrontés à l’échec imminent de la loi sur la restauration de la nature (adoptée fin février 2024 par le parlement européen). Et, plus préoccupant encore, si l’industrie de l’armement historiquement considérée comme «sale» ou non durable selon la taxonomie de l’UE, devient une priorité absolue sur le plan politique, cela signifie que toutes les restrictions auxquelles les investisseurs ont été confrontés au fil des ans risquent d’être remises en question. 

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