La sphère privée se réduit à nouveau en matière financière. Aux Etats-Unis, le Département du Trésor (Financial Crimes Enforcement Network) a décidé d’abaisser la limite des transactions en cash et de les porter de 10 000 à 200 dollars, selon un communiqué du 11 mars. La mesure répond aux promesses de campagne de Donald Trump en matière de lutte contre la drogue et contre l’immigration illégale. Mais elle réduit aussi la sphère privée.
La décision de la FinCEN concerne des régions comprenant environ un million de personnes résidant en Californie et au Texas (30 Zip codes). Elle vise à lutter contre les activités criminelles à la frontière sud-ouest des Etats-Unis. La FinCEN cite le blanchiment d’argent sale et les pratiques des cartels mexicains. La question n’est pas de critiquer une politique qui s’en prend au crime organisé mais à ses effets sur les autres citoyens. Si l’objectif est compréhensible, elle constitue une atteinte au libertés civiles et à l’économie au sens large, observe Alex Nowrasteh, vice-président des recherches économiques et sociales à l’institut libéral Cato. Une analyse s’impose.
Une question de définition
Sur le fond tout d’abord. Alex Nowrasteh critiquait en février déjà l’autorité accrue accordée au président par le Congrès «pour poursuivre une guerre contre le terrorisme sans un contrôle suffisant de la part du corps législatif et des tribunaux». La critique portait sur le moyen utilisé, celui d’une modification de définition. Selon l’institut Cato, «en désignant les cartels de la drogue de «Foreign Terrorist Organizations» (FTO), l'administration Trump s'octroie de nouveaux pouvoirs, crée un nouveau récit qui pourrait en tromper plus d'un et renforce le reste de son programme anti-immigration et d'application des lois sur les frontières». Le 20 janvier, donc dès son entrée en fonction, un décret de Donald Trump a en effet désigné du nom d’organisation terroriste étrangère (FTO) des organisations criminelles internationales et des cartels de la drogue. Selon l’analyse de Cato, les cartels de la drogue pourraient ne pas être des FTO du fait qu’elles sont des organisations criminelles motivées par le profit et non pas par une violence à but politique. Une définition large telle que celle adoptée par le nouveau décret abolit la distinction entre cartels et terroristes. Les actes de violence résultant du trafic de drogue deviennent ainsi de plus en plus souvent qualifiés d’actes terroristes. Un problème? En réalité, ces dernières années, durant l’administration Biden, il est apparu qu’aucun assassinat lié au terrorisme n’avait été commis sur le sol américain, note cet institut libéral.
«Le gouvernement américain n'a cessé de s'attaquer à la confidentialité financière des Américains au cours des 50 dernières années».
Le décret du 20 janvier, selon Nowrasteh, accroît aussi les risques juridiques pour les immigrés. L’entrée illégale aux Etats-Unis est une infraction pénale de faible gravité, mais comme les migrants font souvent appel à des passeurs liés à des cartels, le fait de donner de l’argent à un membre d’une FTO devient un crime grave associé à une longue peine de prison. L’impact de ce décret touche aussi la politique d’asile. Dans son analyse, Alex Nowrasteh observe que la désignation des cartels comme FTO aura pour conséquence qu'un plus grand nombre de demandeurs d'asile verront leur demande rejetée.
Une prise de contrôle
Cette annonce est d'autant plus troublante, selon l’Institut Cato, que le seuil de 10 000 dollars fixé pour la déclaration des transactions en espèces aurait dû être réformé depuis longtemps. Un article du Bipartisan Policy Center datant de 2016 s’étonnait déjà que le montant de 10 000 dollars n’avait pas été ajusté de l’inflation depuis 1972 et le Currency Transaction Report. Mais plutôt qu’un relèvement de la limite nous assistons à une forte réduction. C'était déjà le cas lorsque l'administration Biden avait essayé de surveiller des comptes bancaires dont l'activité ne dépassait pas 600 dollars, et c'est vrai maintenant que l'administration Trump surveille une activité de seulement 200 dollars dans certaines régions.
La tendance à la réduction de la sphère privée est un phénomène de long terme. «Le gouvernement américain n'a cessé de s'attaquer à la confidentialité financière des Américains au cours des 50 dernières années, selon une étude de l’analyste politique Nicholas Anthony publiée en 2022 (The right to Financial privacy; Cato).
Tout a débuté à l’époque du président Richard Nixon, avec le Bank Secrecy Act du 26 octobre 1970, en réponse au «secret des comptes bancaires étrangers». C’est avec cette loi, selon Nicholas Anthony, que les institutions financières américaines sont devenues de facto des «enquêteurs responsables de l’application de la loi».
On s’est rapidement rendu compte que la loi était en contradiction avec le quatrième amendement de la Constitution des États-Unis, selon l’étude, étant donné qu'elle obligeait les institutions financières à communiquer des informations que le gouvernement aurait dû obtenir par mandat. Au nom des critiques, on trouvait la California Bankers Association, la Security National Bank et l’American Civil Liberties Union. En 1974, la Cour Suprême estima que le Bank Secrecy Act ne violait pas le quatrième amendement parce qu’il portait sur des montants «anormalement élevés» de 10'000 dollars ou davantage. Cette même année 1974, vint la publication du Privacy Act, critiqué en raison des nombreuses exceptions qu’il prévoyait.
Puis en 1976, la même Cour Suprême décida que les Américains n'avaient pas droit au respect de leur vie privée lorsqu'ils partageaient des informations avec un tiers, tel qu’une institution financière ou une banque. Il fallut attendre 1978 et le Right to Financial Privacy Act destiné à corriger les lacunes du Bank Secrecy Act, mais qui finalement protégeait moins les citoyens que son intitulé le promettait. Comme le montre l’étude de Nicholas Anthony, la loi américaine a conduit à une érosion persistante de la protection de la sphère privée.
A la recherche d’un équilibre
Depuis la création de la loi sur le secret bancaire de 1970 jusqu'à la surveillance de 150 millions d'enregistrements de transferts d'argent en 2023, le gouvernement américain a régulièrement utilisé le spectre du blanchiment d'argent et du terrorisme pour justifier l'érosion de la protection de la vie privée, avance l’Institut Cato.
Il précise que le coût de la compliance s’est élevé à 45,9 milliards de dollars en 2022 pour les institutions financières. Il n’y a pourtant eu que 752 condamnations à la prison pour des auteurs de blanchiment d'argent en 2021.
Faut-il supprimer les exceptions qui se sont ajoutées au fil du temps au Right to Financial Privacy aAct de 1978?
Un équilibre est à trouver sur le droit à la confidentialité financière, entre le droit d'un individu à mener ses affaires sans intrusion gouvernementale et les besoins d'informations du gouvernement dans l'application de la loi», rappelle Nicholas Anthony dans une étude (The right to Financial privacy, Cato Institute 2022). Mais cet équilibre semble en danger. La protection de la vie privée dans le domaine financier également.