La stagflation, la menace fantôme

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland SA

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Le leadership de marché a radicalement changé depuis la mi-janvier. La dégradation du mix croissance – inflation doit conduire à des ajustements dans la stratégie d’investissement.


Depuis peu, la dynamique des marchés aux Etats-Unis s’est déplacée de la reflation à la stagflation. En effet, le mix croissance – inflation s’est altéré depuis les premières annonces de l’administration Trump. D’abord, le relèvement des tarifs douaniers et les menaces de réciprocité s’apparentent à un choc d’offre, qui commence à se traduire par une dégradation des perspectives d’activité dans les enquêtes aux Etats-Unis. Les risques baissiers sur les perspectives d’activité sont de plus en plus alimentés par le DOGE (Department of Government Efficiency). Il pourrait conduire assez rapidement à 1 million de licenciements et des couples dans les budgets fédéraux. Parallèlement, les perspectives d’inflation sont revues en hausse, dans le secteur manufacturier mais aussi dans les services. La divergence récente à la baisse des taux d’intérêt réels aux Etats-Unis (-50pb à 1.9% depuis mi-janvier) et la hausse des breakevens d’inflation (+20pb à 2,4%) reflète le réajustement des anticipations de marché, vers plus d’inflation et moins de croissance.

L’inflation résulte d’un excès de demande, la stagflation provient d’un choc d’offres et de choix économiques inadéquats. 

On reparle de la stagflation. «Si ça ressemble à un canard, si ça nage comme un canard et si ça cancane comme un canard, c'est qu'il s'agit sans doute d'un canard». Le concept de stagflation revient donc au premier plan. Cela explique la rotation de marché à l’œuvre depuis le début de l’année, à l'exact opposé des attentes du consensus pour 2025, qui extrapolait le thème de la domination américaine. En fait, depuis le début de l’année, les marchés actions américains sous-performent l’Europe et les Emergents, le dollar est en repli, les Mega Tech sont en baisse, avec une rotation défensive aux Etats-Unis. La Fed confirme son statu quo, alors que la BCE demeure en phase d’assouplissement monétaire. Les craintes de stagflation aux Etats-Unis se matérialisent donc par un aplatissement de la courbe des taux (bull flattening), quand l’Europe est en phase de pentification (bull steepening). Il est dès lors assez logique d’avoir une divergence en matière de rotation Cycliques / Défensives entre les Etats-Unis et l’Europe. Les marchés Actions européens sont en outre soutenus par une amélioration du news flow (perspectives d’un cessez le feu en Ukraine, élections en Allemagne) et une amélioration relative du momentum de révisions des bénéfices. La baisse du dollar depuis le début de l’année traduit le risque d’erreur de politique économique, à un moment où le positionnement des investisseurs était à son maximum. Les discussions autour d’un projet de dévaluation compétitive du dollar («Mar-a-Lago Accord») à l’instar des accords du Plaza (1985), rajoutent de l'instabilité à la politique commerciale unilatérale des Etats-Unis.

L’inflation résulte d’un excès de demande, la stagflation provient d’un choc d’offres et de choix économiques inadéquats. Ce terme de stagflation est difficile à gérer pour les policy makers. Une action limitée au resserrement monétaire serait très procyclique, transformant la stagnation en récession. Le repli assez brutal du facteur momentum (les titres qui ont le mieux performés sur les 3 à 12 derniers mois) illustre la fragilité du marché au risque stagflationniste en raison de valorisations excessives. Actuellement, les Actions américaines se traitent à un multiple de P/E prospectif de 22.6x, soit une prime de 43% par rapport à la médiane des 20 dernières années. Les titres de mauvaise qualité, sensibles à une remontée de la volatilité et au retournement conjoncturle, sont également vulnérables (profil high beta, probabilité de défaut élevée).

En régime de stagflation, l’allocation d’actifs doit préventivement évoluer dans trois directions: 1. dérisquer l’exposition 60/40 (Actions, Obligations); 2. pivoter vers les Matières premières et les autres actifs réels; 3. Avoir une allocation alternative maximale avec un profil antifragile.

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