La fin de l’espoir d’une convergence salariale

Emmanuel Garessus

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Une nouvelle étude révèle une détérioration des rémunérations des jeunes hommes plutôt qu’une amélioration de la condition des femmes. La convergence est une question de cohorte.

Contrairement aux attentes, la convergence des rémunérations entre hommes et femmes n’est pas seulement ralentie. Elle n’interviendra pas de sitôt. Du moins dans les pays industrialisés.  La thèse est audacieuse et à contre-courant pour ce sujet hautement actuel. 

L’angle de recherche se penche le plus souvent sur l’analyse des conditions socio-économiques. Il conduit à croire que l’écart se réduira progressivement avec le temps. 

Mais il existe d’autres angles d’attaque possibles. L’étude qui révèle qu’il n’y aura pas de convergence salariale entre homme et femmes a pour titre «One Cohort at a Time: A New Perspective on the Declining Gender Pay Gap (NBER WP32612, Juin 2024)», de Jaime Arellano-Bover, Nicola Bianchi, Salvatore Lattanzio & Matteo Paradisi. 

Que penser de cette étude iconoclaste? L’analyse est remarquable, indique Tyler Cowen, l’essayiste et professeur à l’Université George Mason, sur son blog marginal revolution: «Cette étude est l'une des meilleures et des plus intéressantes que j'ai vues depuis un certain temps, et c'est un bon exemple de la manière dont les milieux académiques produisent encore des résultats utiles.  Le sujet est important, l'hypothèse est plausible, des preuves plaident en sa faveur, l'idée est intelligente (dans le bon sens du terme), elle est liée aux «problèmes des jeunes hommes», aux questions d'écart entre les genres, et elle ose faire une prévision, à savoir qu'il n'y aura pas de convergence totale des salaires entre les genres de sitôt».

Une course vers le bas

Les statistiques démontrent en effet qu’un changement de tendance est en cours. Elles mettaient en lumière jusqu’au tournant du siècle une réduction de l’écart entre les rémunération de hommes et des femmes. La baisse de cette discrimination est ici observée à l’aune des rémunérations en des différentes cohortes et non de l’ensemble du cycle de vie d'une cohorte donnée.

«Une amélioration des conditions du marché du travail pour les seniors peut avoir un coût pour les jeunes».

La réduction de l’écart s’est grippée au tournant du siècle non pas du fait d’un ralentissement de la hausse des rémunérations des femmes mais de la détérioration de la situation de jeunes employés masculins. Selon les auteurs, c’est le résultat d’«une course vers le bas» qui se vérifie dans les quatre pays analysés.

Aux États-Unis, «le rang moyen des jeunes hommes à l'âge de 25 ans est passé du 50e centile de la distribution des salaires en 1976 au 39e centile en 1995, tandis que la position moyenne des femmes de 25 ans est restée relativement stable autour du 30e centile au cours de la même période». Le modèle utilisé se penche non seulement sur les différentes cohortes de salariés américaines mais il est confirmé par les statistiques du Royaume-Uni, du Canada et de l’Italie.

L’une des originalités de l’étude vient notamment de la mise en exergue de l’interconnexion entre le sort des jeunes salariés (dont la rémunération est de moins en moins différente des jeunes femmes) et celui des seniors. En l’occurrence, une amélioration des conditions du marché du travail pour les seniors peut avoir un coût pour les jeunes qui entrent sur le marché du travail. Un effet d’éviction se produit alors à travers une augmentation du nombre de seniors occupant les meilleures fonctions, ce qui ralentit la progression des jeunes, en particulier dans les grandes organisations. Selon les auteurs, «la convergence de l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes à l'entrée sur le marché du travail (par souci de concision, convergence à l'entrée) peut expliquer un tiers de la diminution totale de l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes au cours des quarante dernières années, tandis que le reste s'explique par la sortie des cohortes plus âgées du marché du travail (convergence à la sortie). Sur les vingt dernières années de données, l'écart de rémunération s'est réduit presque exclusivement en raison de la convergence à la sortie, étant donné que la convergence à l'entrée s'est arrêtée au milieu des années 1990.» Les auteurs concluent que la convergence ne se produira pas dans les pays analysés «étant donné que l'exode des cohortes plus âgées ne réduira l'écart qu'au niveau observé parmi les cohortes plus récentes».

Le cas de la Chine

L’écart de rémunération entre les genres peut être analysée de nombreuses autres manières et pour d’autres pays. Une intervention politique peut par exemple profondément modifier les équilibres, ou les déséquilibres. L’analyse ci-dessus ne tient pas compte de la Chine, un cas intéressant notamment du fait de la politique de l’enfant unique, qui a débuté en 1979 et a pris fin en octobre 2015. 

Dans son livre «The New China Playbook», Keyu Jin, professeure associée à la London School of Economics, montre que la politique de l’enfant unique s’est révélée, de façon contre-intuitive, un âge d’or pour les femmes. La raison? Les filles ont ensuite été fortement encouragées à faire des études. Elles ont même atteint de meilleurs résultats que les hommes durant leurs études. Aujourd’hui, l’écart d’enseignement entre les genres est nul. 

La sous-représentation des femmes qui résultait de la politique de l’enfant unique a permis à ces dernières d’accroître leur pouvoir dans le choix du moment du mariage et d’avoir un enfant. Par ailleurs, comme, en Chine, il appartient habituellement à l’homme d’acheter l’appartement de la famille et de l’aménager, il est devenu plus facile pour les parents d’investir dans la formation de leur fille. Et comme les filles ont davantage d’options que par le passé, les familles urbaines chinoises sont maintenant plus intéressées à avoir une fille qu’un garçon, avance l’auteure. 
Sur le plan économique, pour la cohorte née dans les années 1990, aujourd’hui 42% des managers sont des femmes. La situation s’est toutefois modifiée avec la fin de la politique de l’enfant unique. Le statut des femmes a subi une réelle érosion, estime l’auteure. 

Les décisions politiques sont ainsi susceptibles de modifier profondément les écarts d’opportunités entre les genres. 

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