Elon Musk, les bons et les mauvais milliardaires

Emmanuel Garessus

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Tandis que les rémunérations des entrepreneurs augmentent rapidement, ils ne reçoivent que 2% de leur contribution innovante tandis que 98% vont aux consommateurs.

L’approbation par les actionnaires de Tesla d’un plan de rémunération record de quelque 50 milliards de dollars couplé à un déménagement du Delaware au Texas a fait coulé beaucoup d’encre. Sergio Ermotti, le patron d’UBS, devrait travailler 3000 ans pour obtenir un tel montant, observe la NZZ. Les actionnaires du constructeur automobile ont fait fi de l’opposition des conseillers ISS-Corporate et Glass Lewis. A ce niveau de bonus, peut-on encore parler de coup de pouce à la motivation? Comment les actionnaires ont-ils pu accepter un tel montant? Et plus largement, que retirent les riches entrepreneurs de leurs innovations et les consommateurs finaux?

Les montants en jeu sont toujours plus impressionnants et traduisent une accélération: l’agence AWP indique lundi qu’entre 2017 et 2023, la rémunération médiane d'un dirigeant d'une entreprise cotée au S&P 500 a progressé de près de 40%, selon le cabinet Equilar, contre seulement 27% pour la moyenne des salariés aux Etats-Unis. L’AWP rappelle que la loi Dodd-Frank oblige, depuis 2011, les sociétés cotées à soumettre la rémunération des dirigeants au vote des actionnaires au moins une fois tous les trois ans («Say on Pay»). En fait, les plans de rémunération n’ont été refusés par l’assemblée générale qu’à deux reprises cette année selon ISS-Corporate.

La défense des riches

«Trois fois bravo à la bonne catégorie de riches», applaudit Daniel Mitchell sur son blog International Liberty. Sa défense des riches s’accompagne d’un avertissement. Ils ne sont justifiés qu’à condition d’être le résultat «d’échanges volontaires dans une économie libre». Les riches ne méritent que «le mépris si leur richesse résulte de subventions, de sauvetages étatiques, du protectionnisme ou de politiques industrielles». Daniel Mitchell classe la grande majorité des Américains les plus riches dans la première catégorie et de nombreux milliardaires russes dans la deuxième. 

«William Nordhaus a montré qu’«une minuscule fraction (seulement 2%) des rendements sociaux des progrès technologiques» a profité aux innovateurs eux-mêmes.»

Symbole de la montée en force du populisme de gauche ou de droite, dans l’Europe d’aujourd’hui, les riches sont perçus comme des «ennemis» si bien que les programmes électoraux sont toujours plus nombreux à pomettre des hausses d’impôts. Nous devrions plutôt nous réjouir de l’augmentation du nombre de riches entrepreneurs, écrit Michael Strain, de l’American Enterprise Institute pour Project Syndicate. Michael Strain se réfère aux travaux de recherche du prix Nobel d’économie William Nordhaus. 

Dans un travail de recherche publié il y a vingt ans, «Schumpeterian profits in the american economy», (NBER, WP 10433, avril 2004), qui analyse la période de 1948.à 2001, William Nordhaus a montré qu’«une minuscule fraction (seulement 2%) des rendements sociaux des progrès technologiques» a profité aux innovateurs eux-mêmes. Tous les autres bénéfices (c'est-à-dire la quasi-totalité) sont allés aux consommateurs». 

Extrapolant ces travaux, Michael Strain calcule que Jeff Bezos, le patron d’Amazon, a créé 8000 milliards de dollars de richesses. Le montant correspond au tiers du PIB des Etats-Unis. Il n’est certes pas possible de comparer un stock, soit la fortune d’une personne, avec un flux tels que le PIB annuel, mais cette estimation situe tout de même la performance de ce milliardaire. Grâce à ce champion de la logistique, «Amazon a réduit le prix de nombreux biens de consommation et a permis à des millions d'Américains de gagner énormément de temps», poursuit Michael Strain. Le même raisonnement peut être employé pour Elon Musk, qui, avec Tesla, a révolutionné le transport automobile. 

Les critiques portent souvent aussi sur les bonus obtenus à Wall Street et sur les fortunes créées sur les marchés financiers, au point de créer une (fausse) distinction entre l’économie réelle et l’économie financière. Mais, comme le montre Michael Strain, les innovateurs de Wall Street ont permis une allocation plus efficiente des capitaux qui conduit à une baisse des coûts et une hausse de la productivité qui profite aux consomateurs. A la lumière des crises dues à la fin de certaines grandes banques, la question devrait porter sur l’asymétrie des gains, à savoir sur les conséquences pour un directeur de la chute de son établissement pour l’économie.

L’impact de l’innovation

Mais plutôt que de croire que l’économie est un jeu à somme nulle dans laquelle ce que les riches gagnent serait pris aux plus pauvres, une vision omniprésente en politique et dans certains médias, la recherche académique n’a cessé de mettre en avant les mérites de l’innovation et de l’entrepreneuriat pour la prospérité du plus grand nombre.

Revenons ainsi à Elon Musk. La capitalisation boursière de Tesla s’élève à 558 milliards de dollars (en hausse de 1100% sur cinq ans, même si le titre a reculé de 35% en un an). Elon Musk n’est évidemment pas le seul, dans ce groupe de 140 000 collaborateurs, à avoir participé à la création de valeur ajoutée et à l’innovation. Mais on peut comprendre la majorité d’actionnaires qui a accepté le plan de rémunération record de ce chef d’entreprise d’exception. Elon Musk n’a-t-il pas satisfait les conditions requises lors de l’établissement du plan de rémunération en 2017? A cette époque, Tesla produisait 100 000 véhicules et le nombre est passé à 1,8 million l’an dernier. En exerçant ses options, Elon Musk peut accroître participation à 20% du capital. Ce ne sont pas les actionnaires qui s’en plaignent.

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