Les banques centrales entrent dans une nouvelle ère

Emmanuel Garessus

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La dette publique française inquiète les marchés. La BCE pourrait intervenir, dans le pire des cas. Mais elle devrait aussi modifier sa politique monétaire.

La France devrait à nouveau entrer en récession, si l’on en croit l’indice PMI. Le pays a subi la 17e baisse consécutive de son activité manufacturière. La situation inquiète logiquement les investisseurs. Elle intervient avant même que ne se concrétisent les craintes d’un gouvernement ne disposant pas d’une majorité absolue au sortir des élections législatives. Le spread entre les obligations françaises (OPAT) et allemandes (Bund) s’élargit dangereusement en réponse à l’incertitude. La politique monétaire viendra-t-elle au secours de la politique budgétaire française? La répartition des rôles entre la banque centrale et le gouvernement va-t-elle être durablement modifiée?

Les banques centrales pourraient pratiquer une politique monétaire accommodante en réaction à des turbulences majeures, avance Anatole Kaletsky, cofondateur de Gavekal Research dans une conversation avec Louis-Vincent Gave publiée sur le réseau X (ex-Twitter). L’investisseur profiterait alors de la protection de la Banque centrale européenne, le fameux «put» de la BCE, mais naturellement uniquement après une baisse significative des cours. Cet instrument permettant de garantir une certaine stabilité des marchés à court terme n’est pas vraiment nouveau. En revanche, à long terme, l’interaction entre politiques budgétaire et monétaire devrait durablement changer de cap.

«Nous sommes à un point de bascule de la politique monétaire», lancent d’ailleurs Charles Goodhart, professeur émérite à la London School of Economics, et Manoj Pradhan, fondateur de Talking Heads Macroeconomics, sur VoxEU, le portail du Centre for Economic Policy Research. Les deux économistes rappellent que les mesures de politique monétaire exercent un impact sur la gestion de la dette publique, non seulement à travers un assouplissement ou un resserrement quantitatif, mais aussi par le mode de variations des taux d’intérêt.  

«A long terme, l’interaction entre politiques budgétaire et monétaire devrait durablement changer de cap.»

Comme la dette publique des grands pays atteint des niveaux inquiétants, «la sensibilité des questions de gestion de la dette aux décisions de politique monétaire augmentera». Les auteurs s’appuient sur une comparaison des politiques de 1975 à 1980, quand la gestion de la dette publique jouait un rôle clé dans la politique monétaire, à celle des années 2008 à 2023, quand de telles interactions n’étaient pas à l’ordre du jour.

Hausses de taux plus rapides

La gestion de la dette sera «un élément clé des prochaines décennies», notamment en raison des «inévitables frictions» entre des banques centrales qui visent la stabilité des prix et des gouvernements qui mettent en œuvre des politiques budgétaires expansives à des fins électorales, avancent les deux auteurs.

Pour ces raisons, Goodhart et Pradhan pensent qu’à l’avenir les banques centrales relèveront les taux d’intérêt plus rapidement et les baisseront plus lentement que dans le passé: «la vitesse et l'ampleur des augmentations des taux d'intérêt pourraient être beaucoup plus importantes et plus rapides que ce qui a été observé dans la période allant de 2021 au pic (temporaire) de la fin de 2023». Par ailleurs, les «stress tests» des banques devraient se fonder sur des hypothèses plus extrêmes qu’auparavant.

Comme les banques centrales conditionnent donc de plus en plus leur action à la gestion de la dette, elles ne manqueront pas de commenter plus souvent qu’auparavant la gestion des finances publiques. La récente lettre de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, au président Emmanuel Macron s’inscrit dans ce contexte. L’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF) présente sur son blog une intéressante analyse de cette lettre.

François Villeroy de Galhau note que la progression du pouvoir d’achat qui a été de 26% en 25 ans en France, alors qu’elle n’a été que de 17% dans l’ensemble de la zone euro. Elle a été portée par des salaires réels dynamiques et par des transferts sociaux – «et donc des déficits publics», tient à préciser Villeroy de Galhau – qui restent plus importants que chez nos voisins.  

«Goodhart et Pradhan pensent qu’à l’avenir les banques centrales relèveront les taux d’intérêt plus rapidement et les baisseront plus lentement que dans le passé»

La dette publique française est passée de 20% en 1980 à 60% en 1999 et 111% en 2023.  Comme l’écrit l’IREF, «maintenant que les taux remontent, la charge de la dette publique française, qui s’élevait à 29 milliards d’euros en 2020 à environ 58 milliards d’euro en 2024, «soit davantage que le budget des armées, puis environ 80 milliards d’euro en 2027, presque autant que le budget de l’Education nationale!»

Les propositions du gouverneur de la Banque de France sont intéressantes. Ce dernier demande d’abord de présenter des prévisions plus réalistes sur la conjoncture.

Ne pas baisser les impôts

Sur les dépenses publiques, François Villeroy de Galhau propose leur «quasi stabilisation globale en volume» et de bloquer les dépenses sociales et celles des collectivités locales. On est loin d’un discours d’austérité. 

Sur les impôts, en bon keynésien, le gouverneur de la Banque de France demande d’arrêter leur baisse, et peut-être d’élargir certaines assiettes. «Cela pourrait passer par la taxation des rentes, des élargissements d’assiette, un meilleur ciblage des allègements de cotisations sociales et la suppression de déductions ou exonérations qui participent encore d’une «fiscalité brune» anti-écologique.»

L’IREF observe la similitude des propositions à celles de Pierre Moscovici, le président de la Cour des Comptes. «Tous les deux sont d’ardents défenseurs du keynésianisme». Comme l’écrit Villeroy de Galhau dans sa lettre, «la théorie d’un échec keynésien ne résiste guère à l’analyse des faits»!  L’IREF préconise au contraire une réduction massive des dépenses publiques et des baisses d’impôts. 

Le prochain gouvernement français, peu importe son parti, ne disposera pas d’une réelle marge de manœuvre, tant les besoins d’emprunts et le niveau de la dette se sont envolés. Et si les premières initiatives n’étaient pas du goût des marchés, une contrainte supplémentaire s’imposerait, y compris sur les banques centrales.

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