La Chine n’a pas attendu Trump

Jean-Christophe Rochat, Banque Heritage

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La Chine prépare sa montée en puissance: haute technologie, dédollarisation et alliances stratégiques annoncent un affrontement inévitable avec les États-Unis.

 

La suprématie des États-Unis dans les domaines de la défense, de l’économie et du système financier reste incontestée, mais l’écart avec l’Empire du Milieu se resserre. L’essor du Sud global, combiné à la consolidation d’une alliance stratégique entre la Chine, la Russie et l’Iran, accentue les tensions. Cette recomposition des rapports de force pèse lourdement sur l’équilibre géopolitique mondial.

Le désarrimage monétaire en phase finale

Depuis plus de dix ans, Pékin s’emploie à réduire sa dépendance au dollar pour l’achat de matières premières. Des accords bilatéraux, comme celui signé avec le Brésil pour des échanges en monnaies locales, ou la contractualisation en renminbi du gaz naturel liquéfié avec TotalEnergies, illustrent cette volonté d’autonomie. La multiplication des accords de swap de devises, notamment avec la Russie pour le règlement du pétrole en yuan, permet à la Chine de sécuriser ses approvisionnements tout en profitant de décotes par rapport aux prix internationaux.

Dans cette stratégie de dédollarisation, l’or prend une place croissante. Pékin en fait une réserve de valeur centrale afin de renforcer la crédibilité du yuan. Depuis fin 2022, la Banque populaire de Chine a fortement augmenté ses achats d’or, portant la part du métal jaune à 6% de ses réserves, contre seulement 2% auparavant. Le marché de Shanghai s’ouvre également aux particuliers, marquant une rupture nette avec les politiques antérieures de contrôle des capitaux. À terme, l’intégration de l’or au panier de référence du yuan - aujourd’hui composé uniquement de grandes devises comme le dollar, l’euro, le yen et la livre sterling - pourrait provoquer un séisme sur le marché des changes.

La haute technologie n’est plus la chasse gardée américaine

Longtemps l’apanage des États-Unis, l’innovation technologique connaît aujourd’hui un rééquilibrage majeur. Depuis plusieurs années, la Chine s’impose comme le leader mondial de dépôts de brevets, surpassant Washington tant sur la scène nationale qu’internationale. Ce changement de cap s’appuie sur des investissements colossaux dans les technologies de pointe, et les résultats sont désormais tangibles.

Dans des domaines stratégiques comme l’intelligence artificielle ou les semi-conducteurs, Pékin avance à pas de géant. La startup Deepseek a récemment créé la surprise en bousculant les leaders établis, tandis que Huawei poursuit sa croissance, malgré les sanctions américaines. Son système d’exploitation, HarmonyOS, est déjà installé sur plusieurs centaines de millions de smartphones en Chine et gagne du terrain dans toute l’Asie. Il s’impose désormais comme la première alternative crédible aux systèmes d’exploitation américains.

Autre domaine clé: le nucléaire civil. La Chine se prépare à prendre la tête du secteur au niveau mondial. Le pays exploite ou construit déjà plus de 100 réacteurs, et prévoit d’atteindre une capacité installée de 150 gigawatts d’ici 2035, ce qui nécessitera près de 100 nouvelles unités. Cette ambition repose sur une maîtrise croissante des technologies critiques, incarnée par le développement de réacteurs nationaux comme le Hualong One.

Le long chemin vers l’auto-suffisance alimentaire

Marquée par des épisodes tragiques de pénurie, la Chine garde en mémoire la Grande famine de 1959 à 1961, provoquée en grande partie par les politiques du Grand Bond en avant. Ce traumatisme a profondément influencé sa politique agricole. À la suite de cette crise, Pékin a progressivement mis fin à la collectivisation forcée et a assoupli le contrôle de l’État sur le secteur agricole.

Depuis, le pays a engagé un effort soutenu pour moderniser son agriculture. L’autosuffisance alimentaire est devenue un objectif stratégique. Pour y parvenir, la Chine investit massivement dans la mécanisation, l’innovation technologique et la revitalisation des campagnes. Parallèlement, elle cherche à sécuriser ses approvisionnements extérieurs en diversifiant ses partenaires: les importations venues des États-Unis ont été réduites au profit du Brésil, entre autres.

Mais la stratégie chinoise va plus loin: Pékin entend contrôler des segments clés de la chaîne agroalimentaire mondiale. L’acquisition du géant suisse Syngenta illustre cette ambition. Elle permet à la Chine de s’imposer comme un acteur incontournable de l’agrochimie, tout en accédant à des savoir-faire essentiels en biotechnologie.

Depuis plusieurs années, Xi Jinping prépare la Chine à une confrontation inévitable avec les États-Unis. En multipliant les initiatives dans des domaines stratégiques comme la haute technologie, l’agriculture et l’énergie, Pékin rend la tâche difficile à son son adversaire. La Chine, loin de se laisser dépasser, resserre les liens avec des alliés clés, comme la Russie et l’Iran, tout en diversifiant ses partenariats commerciaux pour réduire sa dépendance au dollar et renforcer son influence sur la scène mondiale. L’administration Trump, en cherchant à provoquer une rupture, ferait bien de ne pas surestimer ses avantages immédiats, ni sous-estimer la détermination de son adversaire. La Chine, en pleine montée en puissance, a parfaitement intégré les enjeux de cette guerre économique et géopolitique. Le chemin vers un affrontement direct semble tracé, mais l’issue demeure encore incertaine, tant les forces en présence sont désormais équilibrées.

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