L'Union Européenne semble enfin sortir du creux de la vague et amorcer lentement sa reprise. Les investisseurs anglo-saxons, échaudés par les turbulences américaines, cherchent depuis quelques semaines à revenir sur les marchés européens. Un potentiel de rattrapage pour les actifs européens se dessine, mais les décideurs européens sauront-ils saisir cette opportunité sans la laisser filer?
Profond et rapide mouvement de plaques tectoniques
C'est un euphémisme: tout va de plus en plus vite depuis la fin de la pandémie et la guerre en Ukraine. Et c’est particulièrement vrai pour l’Union Européenne (UE). Le couple franco-allemand, pilier historique du Vieux-Continent, semble en plein déclin. Et la cause ne réside pas uniquement dans les tensions, récurrentes mais réversibles, entre les deux pays, mais plutôt dans leurs problèmes de longue date.
Le modèle économique allemand a brutalement marqué le pas ces dernières années. En France, la crise politico-institutionnelle s’aggrave, et le modèle d’État-providence vacille sous la pression. L’arrivée de l’administration Trump, avec sa posture disruptive et anti-establishment, n’a fait qu’intensifier cette dynamique. Le risque de marginalisation se profile clairement, notamment à travers les tensions avec l’OTAN, les menaces de droits de douane, et les négociations de paix en Ukraine.
Mais un enjeu majeur reste en suspens: l’énergie. À l’heure actuelle, l’UE n’a toujours pas de politique énergétique commune cohérente.
Dans les années 1940, l’économiste tchèque J. Schumpeter avait théorisé le concept de "destruction créatrice" pour les entreprises: l’innovation, en renversant l’ordre établi, entraîne une réorganisation des modes de production. Ce concept prend aujourd'hui tout son sens avec l’essor de l’intelligence artificielle. Tandis que les États-Unis en sont de fervents promoteurs, l’Europe peine à en saisir les opportunités, cherchant plutôt à l’encadrer et à la réguler. L’écart entre les deux se creuse, malgré les efforts d'Emmanuel Macron pour positionner la France au cœur de cette dynamique.
Transmutation du leadership européen
L’analogie schumpetérienne peut également être appliquée au niveau géopolitique. L'irruption de Trump 2.0 marque un tournant radical dans les relations internationales. En Europe, l’effritement du couple franco-allemand ouvre la voie à une montée en puissance de l’Italie de Giorgia Meloni et de la Pologne, tout en consolidant le rôle d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.
La question de la défense commune, autrefois taboue, est désormais devenue une priorité. L’adoption de la boussole stratégique en 2022 a établi une feuille de route pour la sécurité et la défense, et a permis le lancement du fonds européen de défense, visant à financer des projets militaires multilatéraux. Les dépenses militaires sont désormais intégrées au budget européen.
Les élections législatives prévues fin février en Allemagne sont particulièrement scrutées. Une grande coalition pourrait affaiblir le fameux frein à l’endettement, ouvrant la voie à une levée des obstacles pour le grand plan d’investissement Draghi / Letta 2024, destiné à renforcer la compétitivité européenne.
Sous les spotlights à court terme
Les vieux démons nationalistes, eux, n’ont pas totalement disparu. L’Allemagne, par exemple, bloque actuellement l’OPA d’Unicredit sur Commerzbank, un geste qui témoigne des réticences profondes envers toute concentration bancaire transnationale. Pourtant, la création d’une véritable union bancaire européenne pourrait permettre la naissance de groupes financiers géants, capables de rivaliser avec les titans américains. Mais pour l’heure, cet idéal reste un mirage.
Dans un autre registre, post-Brexit, l’Union Européenne semble renouer des liens plus sereins avec le Royaume-Uni, notamment en matière de défense. Le gouvernement Starmer, moins réfractaire que ses prédécesseurs, envisage de reconstruire des relations plus solides avec l’UE, au-delà des seules questions militaires. Une dynamique qui pourrait faire évoluer les rapports entre les deux bords de la Manche.
Mais un enjeu majeur reste en suspens: l’énergie. À l’heure actuelle, l’UE n’a toujours pas de politique énergétique commune cohérente. L’Allemagne a démantelé ses centrales nucléaires au moment où d’autres pays renforcent leur engagement dans cette source d’énergie, tandis que les Pays-Bas ont fermé leurs vastes champs de gaz naturel. Lors de la pandémie, l’Europe a certes trouvé un répit grâce aux importations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain, mais à quel prix? Aujourd’hui, la dépendance énergétique vis-à-vis des États-Unis a remplacé celle qu’elle entretenait avec la Russie, un renversement préoccupant.
Dans ce contexte, l’Europe semble marcher à reculons. La facture énergétique, en constante hausse, pèse lourdement sur la compétitivité des entreprises européennes. L’UE se trouve à un carrefour critique: jusqu’à quand pourra-t-elle se contenter de solutions temporaires? Un sursaut est-il encore possible pour éviter de se laisser distancer?