L’heure des grandes idées est venue – Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

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Le football: «C’est comme les échecs, mais sans les dés»!

 

Il y a un an, nous avons lancé cinq «Supertrends» et posé ainsi de nouveaux jalons thématiques dans la gestion de fortune. La réédition de «la route de la soie», un projet pharaonique qui doit relier l’Asie et l’Europe, offre de grandes opportunités en matière d’investissements et met discrètement en place un nouvel ordre mondial. Les évolutions sur les marchés peuvent également être «décryptées», d’où quelques commentaires intéressants concernant les titres de croissance, de valeur, et les actions suisses.

Investissements thématiques: où en sommes-nous?

Il y a un an, ma collègue, Nannette Hechler-Fayd’herbe, a lancé des placements thématiques de grande ampleur pour le Credit Suisse. Ce que nous envisagions à l’époque s’est concrétisé avec succès depuis lors. Mais ce n’est pas une raison pour nous reposer sur nos lauriers. Il s’agit plutôt de faire le point de la situation.

Nannette Hechler-Fayd’herbe et son équipe ont identifié cinq «Supertrends» intéressants en termes de placements:

  1. Sociétés en colère – Monde multipolaire
  2. Infrastructure – Combler l’écart
  3. La technologie au service de l’être humain
  4. Économie des seniors – Investir en vue du vieillissement démographique
  5. Valeurs des Millennials

Ces Supertrends font penser à une citation connue de Victor Hugo: «Une idée dont l’heure est venue est plus forte que toutes les armées du monde», autrement dit: les Supertrends sont comme de puissantes vagues qui portent de nombreux bateaux. Mais ce qui nous intéresse en particulier, ce sont les tendances qui se développent dans les domaines de l’économie, de la société, de la technologie, de la politique ou de l’environnement, et qui y déploient une grande dynamique. Pour les investisseurs, les Supertrends revêtent au moins trois qualités particulièrement attrayantes:

Premièrement, grâce à leur apport de solutions innovantes, les Supertrends sont souvent plus stables que les cycles conjoncturels, car ceux-ci sont également exposés en permanence à d’importants facteurs psychologiques, comme l’a déjà souligné Franklin Roosevelt dans son célèbre discours d’investiture prononcé pendant la grande dépression: «Nous n’avons à craindre que la crainte elle-même».

Deuxièmement, l’apport de solutions innovantes dans le cadre des Supertrends favorise la croissance des bénéfices. Il s’agit souvent d’évolutions technologiques, sociales, politiques ou autres qui repoussent les limites, selon l’expression consacrée. Par exemple, la progression exponentielle des bénéfices des sociétés FANG (Facebook, Amazon, Netflix, Google, etc.) s’explique par le fait que leurs technologies associées à des modèles commerciaux judicieux répondent aux nouveaux besoins d’une multitude de personnes. Par conséquent, là où les Supertrends créent des marchés, c’est là que les pionniers fixent les prix et c’est là que les bénéfices augmentent, tout comme les parts de marché.

Troisièmement, les Supertrends sont souvent moins interdépendants que les régions économiques. Par exemple, les percées commerciales en technique médicale n’ont rien à voir avec l’envie de voyager des seniors, un groupe de population en forte croissance et aux moyens financiers élevés, ni avec les habitudes de consommation des Millennials («génération Y») de plus en plus influents. Cette indépendance entrepreneuriale des Supertrends exerce un effet régulateur et diversificateur sur les portefeuilles de placements.

En résumé, nos cinq Supertrends procurent de nouvelles sources de croissance des bénéfices, de rendement pour les placements et de diversification. Ensemble, ils ont surperformé l’indice boursier mondial MSCI de quelque 3,5% l’année dernière, un excellent résultat pour un portefeuille d’actions diversifié. Le graphique 1 illustre cet exploit:

Rencontres au sommet: même les petites voix ont un grand écho

La semaine dernière, le sommet du G7 a véhiculé l’image d’un groupe divisé. Il faut le souligner, car ce sont les représentants des économies les plus prospères du XXe siècle qui se sont réunis à cette occasion. Parallèlement s’est tenue la rencontre de l’Organisation de coopération de Shangaï (OCS)1, laquelle n’a pas bénéficié de la même couverture médiatique. L’OCS est une alliance de pays créée en 2001 par la Chine, la Russie, l’Inde et les États en «stan», à savoir le Kazakhstan, le Pakistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan et l’Ouzbékistan. Elle englobe une grande partie de l’Eurasie. Son rayonnement dans la région ressemble à celui d’une étoile montante. Un nombre croissant de pays cherchent à y participer ou à y être admis. La Turquie, qui est le deuxième État de l’OTAN (de par la taille de ses forces armées), a déjà annoncé qu’en cas de doute, elle avait l’intention de se détourner de l’Europe et de s’adresser à l’OCS. L’Iran, la Mongolie, la Biélorussie, l’Arménie, le Cambodge, le Sri Lanka, le Népal, la Syrie et l’Afghanistan y sont déjà associés d’une manière ou d’une autre. Parmi les membres figurent bien sûr également des pays économiquement pauvres, mais ils sont riches en capital humain et en histoire. En outre, la «réédition» de la légendaire route de la soie, un chantier pharaonique initié par la Chine, améliore la situation économique de ces États et contribue aussi à un développement pacifique. En sa qualité de communauté étatique, l’OCS dispose d’un statut propre auprès des Nations Unies depuis 2004. Unifiée par un nombre croissant d’initiatives – comme le projet «One Belt, One Road» (la ceinture et la route) lancé par Pékin – cette organisation poursuit une stratégie clairement définie. Il s’agit d’une collaboration régionale entre l’Est et l’Ouest destinée à régler les questions de sécurité et de développement durable. Plus de 80 conventions concrètes sur le libre-échange, les investissements, la protection de l’environnement et la sécurité ont été signées lors du récent sommet des chefs de ces États. Quelle différence par rapport au G7, dont les membres ont eu beaucoup de peine à s’accorder sur une déclaration finale peu souhaitée, qui était déjà de l’histoire ancienne le lendemain!

Trois phénomènes, qui transparaissent également dans nos Supertrends, étaient manifestes lors de ce «discret» sommet de l’Organisation de coopération de Shangaï.

Premièrement: bien que les États membres de l’OCS soient fortement dépendants de la Chine sur le plan économique, leur orientation stratégique semble actuellement plus homogène que dans le cas d’autres unions de pays. Et le Supertrend qui les soude, c’est le projet commun «One Belt, One Road»2 qui, avec un volume d’investissements supérieur à 1000 milliards de dollars, constitue le plus vaste programme d’infrastructures commerciales de notre époque.

Deuxièmement: les États associés à l’OCS représentent 50% de la population mondiale, contre 10% seulement pour le G7. Et cet écart va encore se creuser à l’avenir, en particulier lorsque des pays africains demanderont leur admission. Nul doute que cette évolution obligera également des organismes supranationaux comme l’ONU, l’Organisation mondiale du commerce et d’autres à changer. Cela créera des tensions, lesquelles sont déjà intégrées dans notre Supertrend «Sociétés en colère». Troisièmement: l’intérêt, voire la nécessité, de pouvoir convertir la monnaie chinoise va considérablement augmenter. En effet, les sanctions prononcées à l’encontre de certains partenaires commerciaux compliquent considérablement l’intégration économique de cette région, car de nombreuses transactions ne peuvent plus être réalisées en dollars américains. Or, comme l’heure de l’idée de l’intégration économique de l’OCS est venue, il semble que le clearing du Renminbi soit pratiquement la seule option possible. Et si c’est le cas, son évolution en monnaie de réserve internationale ne sera plus qu’une question de temps, comme me l’a expliqué très clairement un participant au sommet. Tandis que je l’écoutais, la métaphore du «sourire silencieux des vainqueurs» m’a traversé l’esprit.

Évolutions sur les marchés: manière de bien les décrypter

Plutôt que d’émettre des pronostics sur les évolutions des marchés, il vaudrait mieux tenter de «décrypter» ces dernières, car elles sont souvent plus éloquentes que de longs discours.

Le cuivre laisse prévoir une poursuite de la croissance

Le cuivre est un métal dont le cours permet souvent de prévoir les expansions et les récessions. Il donne généralement aux marchés financiers des diagnostics précis sur la conjoncture. Ce métal industriel est en hausse depuis 2015, et sa récente envolée suggère que l’économie mondiale est plus saine que sa réputation ne le laisse penser. Comme on le sait, ceux qu’on croyait morts vivent plus longtemps. Nous aussi, nous nous attendons de nouveau à une légère accélération de la croissance mondiale au second semestre. J’ai déjà exposé en détail notre analyse du cycle économique la semaine dernière.

Titres de croissance ou de valeur?

Si l’expansion de l’économie mondiale se poursuit, comme nous le pensons, la «croissance » en tant que style de placement devrait conserver une longueur d’avance. Ce principe s’est du moins imposé pendant ces neuf dernières années d’expansion de l’économie mondiale, comme le graphique 3 l’illustre.

Les placements dans la technologie, l’énergie, la santé, les pays émergents ainsi dans la plupart de nos «Supertrends» en tirent particulièrement profit.

Les bonnes choses demandent du temps

Les actions suisses, qui ont récemment souffert d’un regain de vigueur du franc, devraient à nouveau bientôt faire parler d’elles au vu de la croissance des bénéfices, car les leaders de marché helvétiques, notamment dans les secteurs de la santé et de la finance, profitent du cycle conjoncturel. Une bonne raison de les surpondérer, comme nous l’avons déjà mentionné la semaine dernière.

Le football: «C’est comme les échecs, mais sans les dés»!

En dehors des plaisirs de l’été, la Coupe du monde de football qui vient de commencer met également de l’ambiance. Sous mes fenêtres, la ville de Zurich a installé une gigantesque tente de «Public Viewing» ainsi qu’une tribune, et je vais y passer de nombreuses soirées. Et comme à l’ère des médias, les matchs ne commencent plus par un coup de sifflet mais sont introduits et conclus par un reportage exhaustif, ils dépassent largement 90 minutes. Quant aux perles des commentateurs, elles sont particulièrement drôles parce que bien souvent involontaires.

Par exemple, je me rappellerai toujours de la brève carrière de Paul Breitner à la télévision. En évoquant une séance de tirs au but, il a déclaré: «Il y a eu la séance de tirs au but. Nous avions tous les tripes nouées, mais pour moi, tout était fluide».

Par le passé, des joueurs ont été régulièrement invités à prendre le micro alors qu’ils maniaient mieux le ballon que la langue. C’est ainsi que l’ex-attaquant de l’équipe nationale autrichienne, Toni Polster, a dit: «J’embrasse mon père, ma mère, et tout particulièrement mes parents». L’ancien virtuose allemand du ballon Lothar Matthäus a quant à lui affirmé: «Klinsmann et moi, on forme un bon trio, pardon, un bon quartet». Mais il n’est peut-être pas très fair-play de rire de ceux qui ne maîtrisent pas toujours très bien la grammaire, comme Franck Ribéry: «On est des joueurs qu’on va vite avec le ballon».

Et même lorsqu’une formation médias intensive permet aux professionnels du football d’éviter certains lapsus, il est toujours plaisant d’entendre de profondes «vérités» sur les matchs, par exemple dans la bouche de Franz Beckenbauer dans son rôle de commentateur à la télévision: «Il n’y a qu’une seule possibilité: la victoire, le match nul ou la défaite», ou encore: «Les Suédois ne sont pas des Hollandais, on l’a bien vu», et: «Dans la phase finale du match, le poteau était le seul sur lequel nous pouvions totalement compter». Les explications de Beni Thurnheer étaient particulièrement utiles: «L’avant-bras, c’est une main», ou «Là, c’est vraiment le géant qui a joué contre Goliath». Quant à Harald Schmidt, il a dit sans ambiguïté ce qu’il pensait de l’ancienne règle du but en or: «Le but en or, c’est de la merde. On ne sait jamais s’il faut encore aller se chercher une autre bière». Et n’oublions pas non plus ce que Lukas Podolski confiait sur l’essence du jeu: «Le football, c’est comme ça: parfois on perd, parfois les autres gagnent» ou encore: «Le football, c’est comme les échecs, mais sans les dés.»

 

1 http://eng.sectsco.org
2 http://china.org.cn/business/node_7207419.htm

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