L’effet de ciseaux

Alan Mudie, Société Générale Private Banking

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Confinement et récession: quelles implications pour les finances publiques et quels effets sur les marchés financiers?

Les mesures de confinement contre la COVID-19 et la récession qui a suivi sont à l’origine d’une réponse politique massive des banques centrales et des gouvernements. Les premières ont réduit les taux d’intérêt et augmenté les achats d’actifs, tandis que les seconds ont lancé de nombreux plans d’aide fiscale et de relance. Quelles sont les implications pour la santé des finances publiques? Et quels seront les effets sur les marchés financiers?

Cette année a été marquée par une détérioration exceptionnelle des finances publiques. La croissance s’est effondrée, et avec elle les recettes fiscales. Le Fonds monétaire international (FMI) table sur une chute de 4,4% du PIB mondial en 2020, les économies avancées (en baisse de 5,8%) étant particulièrement touchées. Afin d’atténuer les effets négatifs sur les ménages et les entreprises, les gouvernements ont emprunté massivement pour financer des programmes d’aide sociale et d’investissement, proposant dans de nombreux cas de payer les salaires des travailleurs plutôt que de les voir perdre leur emploi. Et avec la montée en flèche du numérateur et le plongeon du dénominateur, les ratios dette/PIB ont explosé. La récente publication du rapport Global Debt Monitor par l’Institute of International Finance (IIF) offre une mise en perspective de ces tendances.

Rien ne laisse présager un affaiblissement
de l’appétit des entreprises pour la dette.

Selon l’IIF, la dette mondiale (à l’exclusion du secteur financier afin d’éviter un double comptage lorsque les banques prêtent aux entreprises et aux particuliers) a atteint un plus-haut historique au troisième trimestre 2020 à 206’400 milliards de dollars, en hausse de 9% sur les douze derniers mois. Le ratio dette globale/PIB augmente ainsi de 32 points de pourcentage (pp), passant de 241% à 273%. Par ailleurs, un grand nombre d’économies étant susceptibles de retomber en récession au quatrième trimestre, les chiffres de fin d’année pourraient paraître encore plus alarmants. L’augmentation de la dette provient pour l’essentiel des économies avancées où la dette non-financière a atteint 141’900 milliards de dollars, s’inscrivant en hausse de 11’800 milliards de dollars sur douze mois et faisant grimper le ratio d’endettement de 38 pp à 312% du PIB. La plus forte contribution à la hausse dans le monde développé est venue des Etats-Unis où la dette a augmenté de 6’300 milliards de dollars, soit une progression de 47 pp à 297% du PIB.

La forte hausse de la dette mondiale cette année couronne l’augmentation la plus rapide jamais enregistrée sur quatre ans. Les économies se sont endettées, stimulant la demande à court terme au détriment du potentiel de croissance à plus long terme. Cette situation est problématique pour les gouvernements, les entreprises et les particuliers. Lors du cycle précédent, de 2012 à 2016, les économies développées hors Etats-Unis se sont désendettées, réduisant ainsi la charge de leur dette de 10 400 milliards de dollars uniquement pour assister à la surperformance de l’économie américaine alimentée par la dette. Peu de gouvernements semblent être disposés à réinstaurer des programmes d’austérité. En revanche, l’ampleur de la récession de cette année a renforcé leur détermination à poursuivre des politiques de relance. Et rien ne laisse présager un affaiblissement de l’appétit des entreprises pour la dette. D’après Moody’s, les émissions d’obligations d’entreprise américaines devraient s’envoler de 45% pour atteindre un niveau record de 2’500 milliards de dollars cette année.

Les obligations arrivant à échéance, toujours plus grandes,
sont refinancées à des rendements plus bas.

Pour l’heure, le lourd fardeau de la dette est rendu supportable par des taux directeurs et des rendements d’obligations d’Etat faibles, conjugués à des spreads de crédit serrés. Comme l’indique le graphique ci-après, les coûts du service de la dette en pourcentage des recettes publiques dans les économies avancées devraient encore baisser ces prochaines années. De fait, les obligations arrivant à échéance, toujours plus grandes, sont refinancées à des rendements plus bas. Bien évidemment, tout cela a été rendu possible par les politiques monétaires accommodantes poursuivies par les banques centrales. Les taux ont été fixés près de zéro ou en territoire négatif, tandis que les programmes d’achat d’actifs ont poussé les rendements et les spreads de crédit à des niveaux historiquement bas.

La Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne ont clairement indiqué qu’une politique monétaire accommodante restera la norme dans les années à venir. Il est donc peu vraisemblable que les rendements et les spreads augmenteront fortement dans les années à venir, ce qui maintiendra un environnement de liquidités abondantes sur les marchés financiers. S’il n’est absolument pas certain que cela permettra aux banques centrales d’atteindre leurs objectifs d’inflation, cela réduira de toute évidence le coût du service de la dette. Bien évidemment, la question des niveaux d’endettement devra être abordée un jour, mais au vu des politiques monétaires prévisibles à moyen terme, elle pourrait être remise à un jour lointain.

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