Faisons simple!

Christopher Smart, Barings

3 minutes de lecture

Les marchés et les données sont si contradictoires qu’il est facile de s’y perdre.

«Trouvez-moi un économiste manchot!», s’écriait Harry Truman, exaspéré par ces économistes lui répondant toujours par un «d’un côté…. mais de l’autre…» (de l’expression anglaise «on the one hand… but on the other hand»). Le président américain aurait partagé notre frustration face aux signaux contradictoires émanant dernièrement des marchés financiers. Les détenteurs d’obligations semblent redouter une erreur de politique monétaire ou des craintes inflationnistes qui viendraient étouffer la reprise actuelle. Les investisseurs en actions, eux, voient un monde en pleine effervescence générer des bénéfices suffisamment réguliers pour justifier des niveaux de valorisations historiques.

Pour vous aider à y voir un peu plus clair dans ce chaos, nous avons développé un test simple, qui pourrait vous aider à décider laquelle de ces «mains» vous convainc le plus. Pour cela, il suffit de commencer chacun des postulats suivants par «je pense que», et choisir ensuite l’affirmation qui vous paraît la plus véridique.

Offre en biens

… l’arrêt et la reprise brutale de la demande mondiale ont interrompu temporairement les chaînes d’approvisionnement. Le sujet ne sera plus d’actualité d’ici la fin de l’année. (Levez un doigt de la main gauche)

OU

… nous sommes arrivés au bout des bienfaits de la mondialisation. Les politiques et les pandémies futures vont obliger les entreprises à mettre en place des chaînes d’approvisionnement plus proches et plus coûteuses, entraînant une pression à la hausse persistante sur les prix. (Levez un doigt de la main droite)

Certaines entreprises pourraient voir leurs bénéfices
diminuer, mais uniquement sur le court-terme.
Offre en matières premières

… les prix des matières premières se stabiliseront au fur et à mesure que l’Opep clarifiera sa politique et que l’offre s’ajustera à la demande. Certaines entreprises pourraient voir leurs bénéfices diminuer, mais uniquement sur le court-terme. (Gauche)

OU

… l’agenda écologique rend la construction de toute nouvelle aciérie ou mine de cuivre impossible, alors même que la demande en infrastructures et en véhicules électriques explose. Or, ces derniers nécessitent cinq fois plus de cuivre que les véhicules classiques. Les coûts élevés des intrants nuiront aux bénéfices, alors même que la Fed se verra contrainte d’appliquer une politique de resserrement agressive. (Droite)

Offre en travailleurs

… les chèques du gouvernement et les inquiétudes persistantes vis-à-vis du COVID ont créés une pénurie temporaire de serveurs et de cuisiniers qui se résorbera d’ici l’automne. Entretemps, une offre de main d’œuvre mondiale abondante et une technologie permettant d’automatiser certaines tâches permettront de garder les salaires sous contrôle. (Gauche)

OU

… la pandémie a transformé de manière permanente la masse des travailleurs, poussant les baby-boomers à la retraite et les autres à reconsidérer leurs priorités professionnelles. Une pénurie durable de main d’œuvre aux Etats Unis et les tensions commerciales avec la Chine déclencheront un nouveau paradigme de hausse des salaires et d’attentes inflationnistes. (Droite)

Demande à court-terme

… la réouverture ne fait que commencer et qu’il reste encore beaucoup de consommation compensatoire à venir, surtout que les ménages disposent aujourd’hui d’une épargne abondante. En parallèle, une politique fiscale et monétaire généreuse va encourager un nouveau cycle d’expansion des entreprises, alors que les banques recommencent tout juste à prêter de l’argent. (Gauche)

OU

… les nouveaux variants du Covid et les éventuelles déceptions quant à l’ampleur des dépenses d’infrastructure en Amérique ou en Europe provoqueront une fin anticipée du cycle actuel. (Droite)

La mondialisation et la technologie
continueront à faire baisser les salaires et la demande.
Demande à long-terme

… des politiques sociales, alimentées en partie par la pandémie, ont consacré de nouveaux modèles de politique monétaire et fiscale, bien plus généreux qu’auparavant. Les gouvernements qui ne sauront pas dire «non» ouvriront la voie vers un monde où les dépenses, la dette et l’inflation seront en nette augmentation. (Gauche)

OU

… les forces économiques qui nous ont offert quatre décennies de baisse de l’inflation et de croissance ralentie demeurent intactes. La mondialisation et la technologie continueront à faire baisser les salaires et la demande, tandis que les populations vieillissantes et les pays en développement continueront à préférer l’épargne aux dépenses. (Droite)

Si vous avez levé plus de doigts de la main droite, vous êtes à l’aise avec les dernières évolutions du marché obligataire et vous estimez probablement que les actions auraient dû subir une correction majeure depuis déjà bien longtemps. Cela fera également de vous un invité peu réjouissant lors de vos prochaines soirées cocktails – si ces dernières devaient effectivement reprendre cet automne -. Mais vous vous êtes probablement déjà faits à cette idée. 

Au contraire, si vous avez levé plus de doigts de la main gauche (comme moi), vous estimez que la croissance ralentit mais devrait rester forte au cours des 12-18 prochains mois. L’inflation actuelle est surtout court-termiste et les banques centrales du monde entier ont tout intérêt à dépasser leurs propres objectifs de prix. Une vague de dépenses de consommation et en immobilisations est encore à venir, de même qu’un réendettement important des banques. Ce qui devrait favoriser le marché actions, les marchés émergents et les actifs privés. 

Mon seul doigt droit levé concerne le dernier point, et le monde auquel il faudra faire face au-delà de 2022. Les forces déflationnistes des dernières décennies restent puissantes et imperméables au choc de la pandémie, à moins que les taux d’intérêt extrêmement bas et la générosité de l’Etat ne déclenchent une nouvelle vague d’attentes inflationnistes auto-réalisatrices.

Je reste un gaucher convaincu pour le moment. Mais si les politiques et les données devaient se modifier, ma main droite est prête à prendre le relais.

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