L’espoir d’une hausse fiscale

Christopher Smart, Barings

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Le nouveau cadre fiscal mondial pour les entreprises, validé par le G20, viendra renforcer la croissance.

©Keystone

Alors que les marchés peinent à déterminer à quoi ressembleront les modes de croissance durable et les taux d’intérêts une fois la pandémie de COVID-19 passée, l’évolution législative et politique en matière de fiscalité mondiale des entreprises constitue un facteur déterminant. Avec l’accord décisif conclu samedi dernier à Venise par les ministres des finances du G20, le niveau de coopération qui se dessine paraît presque plus important que les taux d’impositions eux-mêmes. 

Les investisseurs devraient encourager la réussite de ces efforts, et ce même s’ils pourraient résulter en une facture fiscale légèrement plus élevée pour les entreprises. Toute avancée vers une plus grande clarté et une meilleure prévisibilité compenserait largement les potentielles érosions de bénéfices. Peu d’évènements seraient d’ailleurs plus susceptibles de compromettre les taux de croissance postpandémique que le fait de voir les plus grandes entreprises du monde prises dans le feu croisé de ressentiments populistes de plus en plus hostiles et de disputes gouvernementales autour de leurs droits d’imposition. 

Le Royaume-Uni fait pression
pour que les plus grandes banques soient exemptées.
Des chiffres modestes

En s’en tenant aux seuls chiffres, l’affaire ne paye pas de mine. Le principe est que les pays imposent les bénéfices à un taux minimum de 15%, pour arrêter ce que la secrétaire d’Etat au Trésor américain Janet Yellen a défini comme la «course vers le bas» de juridictions se faisant concurrence pour séduire les investisseurs. En parallèle, certaines des plus grandes entreprises mondiales, notamment les géants de la tech, devront payer leurs impôts dans les pays où elles réalisent des bénéfices, et ce même si elles sont capables de mener des transactions transnationales sans laisser de traces. 

Malgré ces objectifs relativement modestes, certains pays demandent déjà la mise en place d’exceptions. Le Royaume-Uni fait pression pour que les plus grandes banques soient exemptées, en particulier celles qui se trouvent sous sa propre juridiction. Les pays européens à faible taux d’imposition comme l’Estonie, la Hongrie et l’Irlande menacent de saborder la participation de l’UE si elles n’obtiennent pas des concessions. Et le secteur du transport maritime réclame une exemption en vertu de la charge que représente déjà la taxe au tonnage. Et comme ce sont quelques 130 pays qui devront intégrer ces réformes à leur propre système juridique, on peut s’attendre à l’apparition de nouvelles demandes de dérogations. 

Et c’est là que réside la bonne nouvelle: au moins 130 pays, représentant plus de 90% de la production économique mondiale, ont déjà souscrit au projet. Et ce, après des années d’incitations stériles de la part de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE). 

Un signal politique fort

Cet accord représente un rare moment d’alignement politique mondial sur la manière dont les gouvernements prélèvent l’impôt, l’un des principaux déterminants de la croissance économique. Les politiciens populistes trouvent leur compte dans toute mesure qui vise à imposer plus lourdement les riches multinationales. C’est d’autant plus vrai en dehors des frontières américaines, où les grandes entreprises de la tech semblent particulièrement habiles pour minimiser leurs factures fiscales. L’administration américaine veut démontrer que le multilatéralisme peut produire des résultats concrets. Les multinationales tendent elles à vouloir éviter toute forme de chaos, y compris celui du monde actuel, où l’Europe taxe les revenus numériques et les Etats Unis menacent de riposter. Enfin, les pays en développement y voient une source de revenus supplémentaires pour des trésoreries saignées à blanc par la pandémie.

Il faudra encore des années de travail juridique pour pouvoir
traduire cette politique en législation, puis en règlementation fiscale.

«L’actuel système fiscal international a érodé la souveraineté nationale, d’une manière qui a eu des effets mesurables sur les classes moyennes et ouvrières du monde entier», a écrit Mme Yellen dans le Washington Post avec ses homologues de pays aussi divers que l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Indonésie et le Mexique. «Ensemble, nous pouvons faire en sorte que le capitalisme mondial soit compatible avec des systèmes fiscaux équitables et que les gouvernements soient en mesure de taxer les multinationales».

Un long chemin à parcourir

Si le contexte politique actuel rend cet accord possible, il faudra encore des années de travail juridique pour pouvoir traduire cette politique en législation, puis en règlementation fiscale. L’administration Biden doit déjà faire face à une forte opposition au Congrès. Sans compter les myriades d’avocats et de comptables qui trouveront toujours des moyens pour contourner les règles afin de minimiser leurs propres obligations.

C’est à ce moment seulement qu’il sera possible pour les analystes d’ajuster de manière significative les objectifs de prix sur ces prévisions de bénéfices. Il y a fort à parier que les impôts payés par de nombreuses entreprises seront plus élevés que prévu. En effet, l’administration Biden a déjà souligné qu’elle considérait le taux minimum de 15% comme un taux plancher. 

En attendant, dans un monde où les tensions géopolitiques augmentent et où les transformations technologiques s’accélèrent, les entreprises auront les outils nécessaires pour planifier l’avenir et investir de manière judicieuse. Les gouvernements, de plus en plus appelés à corriger les inégalités, auront de meilleures chances de percevoir les recettes nécessaires pour satisfaire une base électorale toujours plus exigeante.

Un cadre fiscal commun ne suffira pas à générer une croissance robuste. Mais l’alternative se soldera presque certainement par une reprise économique plus faible et bien plus morose. 

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