Double crise dans l’horlogerie

Salima Barragan

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«Les titans se livrent bataille», estime Alain Guttly de la Maison de l’horlogerie.

Disparition progressive des salons, domination de quelques grands groupes: l’horlogerie montrait déjà des signes d’affaiblissement avant la crise du COVID-19 qui pèse encore lourdement sur les ventes de montres. L’effondrement des achats des touristes chinois friands de montres suisses résonne comme une onde de choc finale. Les petites marques trinqueront les premières. Le point avec Alain Guttly, directeur de la Maison de l'Horlogerie.

Un marché de plus en plus concentré

Parmi les 400 marques sur le marché, une dizaine d’entre elles se partagent quatre-vingt pour cent du chiffre d’affaires mondial. Ces enseignes bien établies disposent de généreuses réserves de liquidité qui leur permettront de traverser la crise du coronavirus sans devoir réduire leur personnel. Rolex, qui produit un quart des montres vendues, ou les maisons sous la coupe de LVMH ou de Richemont seront certainement à l’abri de la débâcle. En revanche, les 380 marques suivantes – non moins prestigieuses – qui se partagent les miettes d’un marché érodé par le repli de la demande chinoise, sont plus vulnérables.

De même, les grands groupes qui ont les moyens de promouvoir leur image, deviennent toujours plus visibles. Bulgari, une marque du portefeuille de LVMH, vient de lancer une collection de montres «low-cost» comme elle l’avait déjà fait dans le passé. Non seulement elle cherche à créer «le buzz», mais elle tente aussi de séduire une toute nouvelle clientèle: les millénials. «Aujourd’hui, les jeunes recherchent les Rolex et les autres marques cherchent également à les attirer», explique Alain Guttly.  

Depuis deux ans, il y a de moins en moins de salons alors que
ces derniers apportent une véritable aura sur les marques suisses.

Cependant, ce type de collection de montres abordables ne s’inscrit pas dans une nouvelle tendance. Ces dernière années, l’horlogerie s’est positionnée sur les garde-temps exclusifs, d’où une envolée du prix moyen d’une montre de luxe. «Le chiffre d’affaires global a doublé mais le volume des quantités vendues a été divisé par deux. Nous sommes sur un segment de montres de patrimoine ou artistique», souligne-t-il.

Disparition progressive des salons de l’horlogerie

Le déclin des salons de l’horlogerie - qui attisent l’intérêt des acheteurs étrangers -, est antérieur à la pandémie. «Depuis deux ans, il y a de moins en moins de salons alors que ces derniers apportent une véritable aura aux marques suisses», relève Alain Güttly qui dénonce les manœuvres des grands groupes compétitifs dominant le marché: «Richemont qui a la mainmise sur Palexpo empêche certaines petites marques d’exposer».

Enfin, le déclin de la demande chinoise – principal débouché des montres suisses - est venu se greffer aux difficultés auxquelles le secteur était déjà confronté. «Les Chinois achètent une montre vendue sur deux, mais 80% sont acquises lors de séjours à l’étrangers», commente Alain Guttly avant de préciser que cette clientèle asiatique se replie aujourd’hui sur les boutiques de luxe domestiques: «la part des ventes sur le sol chinois a doublé mais ne compense toujours pas les ventes du passé».

Les enseignes commencent à repenser leur structure de coûts pour absorber la baisse du volume de ventes qui pourrait perdurer.  Nombre d’entre elles sont fragilisées par des investissements récents. «Elles ont développé des projets dont la rentabilité est 50% en-dessous des attentes», poursuit le spécialiste. Les experts s’attendent à des programmes de licenciement étalés dans le temps. «Nous ne verrons pas de rebond avant 2022 puis trois ou quatre ans supplémentaires seront nécessaires afin de retrouver un niveau correct», prévient-il.

Tout comme Patek Philippe qui a survécu à la première puis à la seconde guerre mondiale, les marques de luxe peuvent surmonter une crise.  Mais il leur sera plus difficile de gérer une double crise et certaines marques disparaîtront probablement. De nouvelles marques artisanales émergeront-elles ensuite? Possible, si un grand groupe les prend sous son aile.

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