La COP16.2 de Rome n’a pas été une énième conférence sur la biodiversité, car elle a permis de poursuivre les travaux de la COP16 qui s’est tenue à Cali en Colombie en octobre 2024 et qui n’avait pu aboutir à un accord sur le financement et la finalisation d’un cadre de suivi des progrès en matière de biodiversité. L’espoir était grand que la COP 16 de Rome arrive à résoudre les problèmes de financement et de responsabilisation et ainsi à pouvoir mettre en œuvre du cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal.
A Rome, les négociations ont abouti à des progrès considérables, notamment en ce qui concerne l’adoption tant attendue de la stratégie de mobilisation des ressources, le lancement du Fonds Cali et la finalisation du cadre de suivi. Ces avancées devraient permettre de combler le déficit de financement de la biodiversité et d’améliorer la transparence des engagements en matière de biodiversité. Elles démontrent également que la coopération entre les Etats peut maintenir sa dynamique, indépendamment du fait que les Etats-Unis participent ou non (aucune délégation américaine n’était présente à Rome).
La stratégie de mobilisation des ressources: une feuille de route claire
L’une des principales avancées de la COP16.2 a été l’adoption très attendue d’une stratégie de mobilisation des ressources. Il s’agissait d’établir une feuille de route pour mobiliser 700 milliards de dollars par an d’ici 2030 afin d’atteindre les objectifs en matière de biodiversité au plan mondial. La stratégie détaille les actions à entreprendre pour mobiliser toutes les ressources, qu'elles soient publiques, privées ou mixtes ou provenant de mécanismes novateurs tels que le Fonds Cali. Par ailleurs, la réaffectation des subventions qui nuisent à la biodiversité ainsi que l’intégration de la biodiversité dans les décisions financières seront essentielles pour s’assurer que les flux financiers concordent avec les objectifs de biodiversité.
La décision de la Commission européenne de limiter l’application de la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises témoigne d’une certaine ambiguïté vis-à-vis de la durabilité.
Les investisseurs favorables à un engagement du secteur privé se sont clairement prononcés pour l’adoption de mesures politiques et réglementaires qui encouragent le financement de la biodiversité. Ces mesures comportent notamment la publication d’informations relatives à l’impact sur la nature, des réformes des incitations économiques ainsi que l’engagement accru des banques centrales. Mais alors que les objectifs et les mesures prises dans le cadre de la stratégie de mobilisation des ressources sont ambitieux, la récente décision de la Commission européenne de limiter l’application de la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) (exclusion de 80% des entreprises actuellement soumises à la CSRD) et d’alléger le suivi environnemental (révision et simplification des normes de publication des entreprises en matière de développement durable – ESRS) témoigne d’une certaine ambiguïté vis-à-vis de la durabilité.
Vers un partage équitable des bénéfices des ressources génétiques
L’un des résultats les plus novateurs de la COP16.2 a été le lancement du Fonds Cali, un mécanisme de financement qui vise à un partage équitable des bénéfices issus des informations de séquençage numérique (IDS) sur les ressources génétiques. Ce fonds sera alimenté par les entreprises qui bénéficient des IDS, notamment dans les secteurs de la pharmacie, de la biotechnologie et de la cosmétique. Ses recettes iront pour moitié au moins aux peuples autochtones et aux communautés locales.
La création de ce fonds témoigne d’un virage dans le financement de la biodiversité au plan mondial dans la mesure où il s’assure que les entreprises qui tirent parti des ressources génétiques contribuent à leur conservation. Pour les investisseurs, le fonds Cali constitue un précédent important: dorénavant, les coûts liés à la biodiversité devront être intégrés dans les modèles d’affaires et les entreprises se devront d’évaluer leur dépendance à la biodiversité et aux risques qu’elle représente. Même si cette contribution reste volontaire, les entreprises qui utilisent les ressources génétiques seront censées reverser au fonds 1% des bénéfices ou 0,1% des revenus qu’elles en tirent. Ce mécanisme, qui pourrait conférer une certaine matérialité financière à la biodiversité, a été critiqué par la Fédération internationale des associations et des fabricants de produits pharmaceutiques qui y voit un frein à l’innovation et à la recherche médicale.
Un cadre qui assure la responsabilisation
L’accord portant sur les indicateurs de suivi, outils essentiels pour s’assurer de la réalisation effective des cibles de l’Accord de Kunming-Montréal, peut également être considéré comme un succès de la COP 16.2. Au nombre des cibles clés, on peut mentionner la cible 15 portant sur l’impact et les dépendances des entreprises (évaluation et publication régulière de leurs risques, dépendances et impact sur la biodiversité) ou encore la cible 18 concernant les subventions néfastes à la biodiversité (qui doivent être réduites d’au moins 500 milliards de dollars par an d’ici 2030).
Les contributions financières émanant de privés feront l’objet d’un suivi au moyen de l’indicateur D3 qui sert à mesurer les flux financiers destinés à favoriser et conserver la biodiversité ainsi que ceux consentis pour des usages durables. La finalisation du plan de route sert à la fois la transparence et la responsabilisation des parties. D’ici à la COP 17 programmée pour 2026, les gouvernements devront prouver qu’ils sont parvenus à mieux accorder leurs contributions financières aux objectifs en matière de biodiversité, une contrainte qui sert de fondation à une mise en œuvre ambitieuse.
Un jour ne suffit pas
Rome n’a pas été construite en un jour et il en va de même pour le financement du maintien de la biodiversité. Pour les gouvernements, la prochaine étape consistera à traduire les engagements pris lors de la COP16.2 en politiques nationales. Quant aux institutions financières, elles devront intégrer les cadres de financement de la biodiversité dans les portefeuilles. Toutes les parties prenantes, les gouvernements, les institutions financières et les entreprises se doivent de traduire leurs engagements en actions concrètes afin de juguler la perte de biodiversité et de renverser cette tendance. En fin de compte, même si tous les chemins mènent à Rome, le véritable défi consistera à s’assurer qu’ils conduisent au changement, aussi bien pour la nature que pour les populations.